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par Alain Lipietz | 3 juin 2004

Libération
Dans les urnes, l’Europe citoyenne en jeu
Dans la moiteur de mai, entre les ponts, la campagne européenne s’éveille telle la Belle au Bois Dormant...mais en pièces détachées. Il y a un petit débat sur la Constitution à la rubrique “Europe”. Un débat sur les OGM à la rubrique “Économie” ou “Société”, c’est selon. Un autre sur la Charte de l’Environnement à la rubrique “France”. Et ainsi de suite.

Pourtant, jamais comme aujourd’hui le fond et la forme n’ont été aussi étroitement unis dans une élection européenne.

Sur la forme : profitant de la vacance du Parlement et du blocage de la Constitution, en décembre dernier, par les partisans de l’actuel traité de Nice (qui donne un droit de veto à n’importe quel gouvernement et fige donc l’Europe en un marché néo-libéral), les exécutifs, nationaux ou européen, se déchaînent. Ils contredisent, par un véritable coup de force, la nouvelle directive sur les OGM, qui ne permet pas, en l’état, de lever le moratoire. Ils votent le principe de la brevetabilité des œuvres de l’esprit (les logiciels), alors que le Parlement vient de voter le contraire. Ils s’empaillent pour rétablir des minorités de blocage au Conseil Européen, alors que la Convention, dans la première partie de la Constitution, les avait supprimées. Ils s’échangent la présence ou non de Dieu dans la Constitution contre la sortie ou non de la Charte des Droits Fondamentaux de cette même Constitution.

En France, le gouvernement impose une Charte de l’Environnement édulcorée, qui ignore le Principe Pollueur-Payeur, châtre le Principe de Précaution... alors que, six mois auparavant, le Parlement avait adopté une directive sur la Responsabilité Environnementale qui la définit en toutes lettres de façon parfaitement claire. « Il convient de mettre en oeuvre la prévention [nom européen de la précaution] et la réparation des dommages environnementaux en appliquant le principe du "pollueur-payeur" inscrit dans le traité, et conformément au principe du développement durable. Le principe fondamental de la présente directive devrait donc être que l’exploitant dont l’activité a causé un dommage environnemental ou une menace imminente d’un tel dommage soit tenu pour financièrement responsable [...]. On appelle "menace imminente de dommage" : une probabilité suffisante de survenance d’un dommage environnemental dans un avenir proche [et]"mesures préventives" toute mesure prise en réponse à un événement, un acte ou une omission qui a créé une menace imminente de dommage environnemental, afin de prévenir ou de limiter au maximum ce dommage ». Il est évident que les associations de défense de l’environnement ou les victimes d’accidents du type AZF iront en justice en se référant à cette directive européenne et pas à la médocre Charte française. Le débat français sur la Charte est donc sans objet.

Comment expliquer cette divergence systématique entre les exécutifs et le Parlement ? Tout simplement par le fait que le Parlement exprime par construction la volonté des citoyennes et citoyens d’Europe, et les exécutifs, dès qu’ils sont hors-contrôle, l’intérêt des lobbys industriels nationaux ou européens. Ainsi, brevetage du logiciel et brevetage du vivant (OGM) sont les deux faces d’un repositionnement de l’économie européenne impulsé par le commissaire socialiste français Pascal Lamy dans les négociations à l’OMC. Puisqu’il va bien falloir abandonner un jour nos criminelles subventions aux exportations agricoles (qui tuent les agricultures du tiers Monde), alors il faut faire bloc avec les Etats-Unis pour obtenir des compensations du côté de la propriété intellectuelle, forme moderne du contrôle de l’économie mondiale. Problème : ni les consommateurs d’Europe, ni les petits entreprises informatiques, ni les paysans d’Europe ne souhaitent servir de monnaie pour un tel marchandage.

L’enjeu sur la forme rejoint donc exactement l’enjeu sur le fond : il n’y aura pas d’Europe, ni sociale, ni environnementale, ni au service de la paix, ni au service de l’innovation et de la culture, sans une citoyenneté européenne, sans que les batailles politiques et même judiciaires ne prennent la dimension que la mondialisation nous dicte aujourd’hui. C’est-à-dire (au moins !) européenne. Et ça ne sert à rien de se gargariser d’Europe sociale, ou écologique, ou de la paix. Si on ne dit pas « comment », on se paie de mots. Et le « comment », c’est l’Europe citoyenne.

D’où l’importance du débat sur la Constitution. On le sait maintenant : elle représente un pas en avant décisif, sous trois chapitres :
- elle lève, on l’a dit, la minorité de blocage au Conseil ;
- elle double les compétences du Parlement européen (notamment en matière de Police et de Justice) ;
- elle offre aux citoyens une « fenêtre d’initiative législative » sur pétition d’un million de signatures.

Mais en même temps, en l’état actuel de sa troisième partie, elle maintient gravées dans le marbre des actuels traités les politiques économiques libérales, tels que l’irresponsablilité de la Banque Centrale, le pacte de stabilité « stupide » (dixit Prodi), l’unanimité en matière de taxation des profits et des pollutions.

Toutes les forces politiques et sociales qui pensent déjà leur action au niveau européen, comme les écologistes, la Fédération Européenne des Droits de l’Homme, la Confédération Européenne des Syndicats, ont proposé face à ce piège la même solution : adopter la première partie et la seconde (la Charte des Droits Fondamentaux), requalifier la troisième partie dans un statut législatif (c’est-à-dire modifiable à la majorité).

Réciproquement, on ne gagnera pas une telle bataille institutionnelle sans expliquer, d’un même mouvement, à quoi ça sert. Quels amendements futurs aux traités, quelles lois européennes voter. Quelle politique sociale (mettant la politique budgétaire et fiscale au service du plein emploi et du développement soutenable, harmonisant vers le haut les législations sociales), quelle politique environnementale (une vigoureuse directive contre les molécules chimiques « tueuses », le moratoire sur les OGM, l’application de l’Accord de Kyoto), quelle politique pour les Droits Humains (la citoyenneté de résidence), quelle politique pour la paix, notamment vis-à-vis du conflit israélo-palestinien (offrir au compromis de Genève la garantie de l’Union européenne)...

Comment faire ? En anticipant sur la Constitution ! Trois pétitions européennes sont déjà lancées (pour l’Europe sociale, pour la citoyenneté de résidence, contre les OGM). Comme au début du XIXe siècle, quand le mouvement chartiste anglais réclamait par pétition et le suffrage universel et les lois sociales qu’il permettrait.

Le vote du 13 juin apparaîtra dès lors, à qui sait rapprocher les différentes pages des journaux, comme ayant la portée de l’élection d’une assemblée constituante. En votant pour un parti, de la Finlande à Malte, on votera à la fois pour un processus (des outils constitutionnels) et pour un contenu. Encore faut-il que chaque parti joue le jeu. Et c’est là que le bât blesse.

À l’exception du Parti Vert Européen, qui décline le même programme en 44 mesures, sur la constitution et sur les politiques, de l’Irlande à l’Estonie, le sens du vote pour les autres partis dépend... de la circonscription où l’on vote ! La droite française est pour la constitution, elle sera noyée au Parlement avec la droite espagnole qui veut en rester au traité de Nice. L’UDF et le PS français se disent (enfin !) pour l’Europe sociale, ils seront noyés avec les libéraux et les travaillistes britanniques qui sont contre !

C’est le rôle éminent de la presse européenne de soulever ces véritables enjeux, en détaillant qui veut quoi et comment... au niveau européen ! Il apparaîtra que seuls les Verts européens ont compris qu’une juxtaposition de programmes nationaux n’a aucun intérêt. Restera aux électeurs le choix souverain d’adopter au non leur programme Il reste deux semaines.




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