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> Construire l’europe : allons-y, Joschka (http://lipietz.net/?article196)
par Les eurodéputé-es Verts français 1999 (Danièle Auroi, Alima Boumédiene-Thiery , Dany Cohn-Bendit, Hélène Flautre, Marie Anne Isler Béguin, Alain Lipietz, Gérard Onesta, Didier-Claude Rod, Yves Piétrasanta) , Dominique Voynet , Marie-Christine Blandin , Guy Hascoët | 18 mai 2000 Libération Construire l’europe : allons-y, Joschka
Aujourd’hui, l’ambition des Verts se retrouve au centre du débat public : " Plus d’Europe pour mieux d’Europe, une Europe écologique, solidaire et citoyenne, ouverte à l’Est comme au Sud ", comme nous l’avons répété ensemble à chaque campagne électorale, depuis 1984. La Conférence intergouvernementale s’enlisait dans le ronron des prudences habituelles, qui avait déjà accouché du fiasco d’Amsterdam : elle est aujourd’hui publiquement relancée. Bien sûr, nous ne sommes pas forcément d’accord avec telle ou telle proposition de la perspective que tu traces. Mais l’essentiel est là : il nous faut le grand bond en avant de l’Europe politique, de l’Europe efficace, qui décide, pour ce qui la concerne, à la majorité de ses citoyens. Bref une Europe fédérale, que le nom plaise ou non. Tu en développes une raison majeure : l’Union européenne comme garante de la paix. Cette zone de paix qu’il faut étendre aujourd’hui vers l’Est (et qui ne songerait aux Balkans ?). Or, l’Europe à 30 s’effondrerait sous les blocages qui déjà la paralysent à 15. Excellente raison. Nous en ajoutons une autre. L’Europe s’est construite comme un " marché commun ", comme une " union économique et monétaire ", et non comme une Europe des droits et de la démocratie. L’Union européenne fut donc le fer de lance de la mondialisation libérale, privant les peuples d’Europe de cet antidote à l’étrange dictature des marchés qu’est la démocratie politique. Faire aujourd’hui reculer la dictature des marchés, c’est faire l’Europe politique des citoyens. Tout immobilisme, tout moratoire sur l’Europe politique fait aujourd’hui le jeu de notre ennemi, qui ne demande que ça, qui fera tout pour ça : la finance globalisée et son représentant en Europe, la City londonienne. Non, il n’est plus possible de refuser l’Europe politique, au nom de ces communautés historiques appelées nations, quand cela signifie le statu quo libéral. Est-ce " l’intérêt national " que l’on défend quand le droit de veto au Conseil, c’est le droit pour la " nation britannique " de s’opposer à la taxation des revenus du capital, le droit pour la " nation française " d’abattre les oiseaux migrateurs de passage, le droit pour la " nation espagnole " de refuser la lutte contre l’effet de serre, et, demain, le droit de la " nation maltaise " de refuser le contrôle des navires-épaves dont les naufrages massacrent nos littoraux ? On nous a dit : " Faites l’Europe économique, et l’Europe politique deviendra une nécessité ". Nécessité ? Oui, mais sa réalisation est bloquée. Nous avons le libéralisme économique mais pas la démocratie. L’idéal d’une évolution démocratique de l’Europe des Quinze dans le cadre du traité de Maastricht a échoué à Amsterdam devant la règle de l’unanimité des intérêts nationaux. A l’égoïsme des États qui se ménagent des dispenses, des " opting out " pour bloquer l’intégration, tu opposes, avec sagesse, ce second choix, ce recul pour mieux sauter : les " opting in ", les " coopérations renforcées " entre ceux qui voudront aller plus loin vers l’Europe écologique, sociale et citoyenne. Cette " avant-garde ", ce " centre de gravité ", tu as encore raison de l’ouvrir à tous les volontaires : peut-être comprendra-t-il la République Tchèque et pas la Grande-Bretagne ! Reste deux problèmes : parfaire le projet, éviter les pièges sur la route. Le projet, c’est évidemment une vraie fédération, avec un gouvernement et deux vraies chambres. " Une chambre des citoyens et une chambre des Nations ", dis-tu, " car celles-ci sont des réalités historiques indispensables, apportant sécurité et abri moral ". L’une de ces chambres, élue au suffrage universel, sur des listes nationales et transnationales, ne peut être que l’actuel Parlement européen, qui devra s’affirmer comme première chambre. L’autre devra représenter les " réalités historiques " territorialisées. Est-ce celle que tu proposes à partir d’un échantillon des Parlements nationaux ? Mais pourquoi ne pas partir des régions d’Europe ? Pourquoi pas une représentation de la Corse en tant que telle ? Du Pays Basque transfrontière ? Tu sembles oublier l’existence du Comité des régions : il est aussi l’embryon de la seconde chambre. En tout cas, tu as raison sur un point : l’actuel Conseil, monstrueuse chambre législative composée d’exécutifs nationaux, devra se fondre dans un vrai exécutif européen ou disparaître au profit de cette seconde chambre. L’articulation au sein de celle-ci entre représentation nationale et régionale devra être réfléchi. Par ailleurs, tu choisis de ne pas parler des " défis opérationnels ", c’est-à-dire l’an 2000, sa Conférence intergouvernementale, sa Charte des droits fondamentaux (en cours de négociation). Tu le sais pourtant : le résultat dépend du chemin bien plus que du projet, et l’histoire européenne, aujourd’hui bloquée par l’épuisement de la " tactique Monnet ", le confirme. La CIG que doit conclure, en décembre, le traité de Nice, est le cap à franchir, non pour l’élargissement à l’Est (il y aura sans doute d’autres CIG), mais pour la fixation des règles du jeu, en quelque sorte " constitutionnelles ", qui permettront demain d’aller plus loin. On ne peut faire l’impasse sur deux nécessités absolues :
Enfin, et par-dessus tout, l’Europe politique, c’est-à-dire l’accord de fond entre des hommes et des femmes pour vivre ensemble et décider solidairement de leur destin, doit s’incarner dans la Charte des droits fondamentaux à laquelle serait conférée une sur-éminence par rapport à la " construction d’une économie de marché où la concurrence est libre ". Car de ce socle (droits de la personne, y compris droits sociaux et droit à un environnement sain, aujourd’hui et pour les générations futures) dépendra toute la jurisprudence à développer ultérieurement. Faute d’une telle base (procédurale et substantielle), mieux vaudrait six mois de négociation supplémentaires qu’un mauvais accord à Nice. Car c’est tout le rêve européen qui s’effondrerait... Nous devons donc aujourd’hui allier l’audace du prophète à la méticulosité de l’alchimiste. L’histoire ne nous laissera sans doute pas de troisième chance. Mais nous avons confiance. Dominique Voynet, ministre de l’Aménagement du territoire et de l’Environnement. |
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