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Accueil  > Vie publique > Articles et débats > Agriculteurs et écologistes : pour un nouveau pacte (http://lipietz.net/?article1220)

par Alain Lipietz | 6 mars 2004

Performances, revue du groupe coopératif céréalier In Vivo
Agriculteurs et écologistes : pour un nouveau pacte
Entretien avec François Grosrichard.

Les sujets ne manquent pas sur lesquels agriculteurs et écologistes s’opposent. Pourquoi et quels sont-ils ?

Rappelons d’abord qu’écologistes et agriculteurs sont solidaires sur bien des sujets ! Beaucoup d’agriculteurs sont écologistes et vice - versa ! René Dumont, père de l’écologie politique, n’était-il pas agronome ? Les uns et les autres reconnaissent dans l’agriculture la forme la plus fondamentale du rapport entre la société et la nature dans le but de nourrir le maximum d’individus au prix du minimum de peine pour celles et ceux dont c’est le métier. Cela implique le respect de ce moyen de production qu’est la terre, et du travailleur qu’est l’agriculteur - donc une juste rémunération. Par ailleurs, l’organisation de la profession en producteurs indépendants organisés en structures solidaires (coopération, mutuelles, GAEC, etc.) semble aux Verts un modèle pour d’autres branches économiques !

Au fond, les problèmes entre écologistes et agriculteurs sont les mêmes qu’avec les autres professions : la critique du modèle technique dominant dans la seconde moitié du siècle dernier, un modèle insoutenable. Ce modèle productiviste, avec les excès d’engrais de pesticides, de remembrements, de concentrations foncières qu’il a entraînés, menace aujourd’hui la nature, l’agriculteur lui-même, ses clients, ses riverains, les autres usagers de la terre et de l’eau.

Il est difficile d’infléchir un modèle technico-social, matérialisé dans des immobilisations physiques, des engagements financiers, des habitudes et même des rigidités de l’enseignement agricole. Il ne faut pas opposer écologistes et agriculteurs. Ils doivent lutter ensemble - et avec le reste de la société - pour infléchir profondément tout un système.

Peut-on concilier agriculture performante et de qualité avec agriculture soucieuse des équilibres écologiques et de la biodiversité ?

Le piège serait d’opposer "agriculture performante" et "agriculture de qualité soucieuse des équilibres écologiques et de la biodiversité". Qu’est-ce au fond que la performance ? C’est la capacité d’utiliser au mieux le patrimoine qu’est la terre et que nous empruntons aux générations futures. Si la dégradation de ce patrimoine est visible à l’œil nu, dans les excès de l’agriculture "moderne" en milieu tropical (déforestation, érosion, épuisement de la couche d’humus), elle est tout aussi réelle quoique insidieuse dans nos agricultures européennes. On bat des records de rendement à l’hectare, mais l’artificialisation de notre agriculture, avec l’effondrement de sa biodiversité, la rend très fragile face à tout parasite qui surgirait. Et je ne parle même pas de l’affadissement général des produits sous le palais des consommateurs, de l’appauvrissement, voire de l’enlaidissement de nos campagnes aux yeux des touristes et du promeneur. Considérations qu’on aurait pourtant bien tort d’exclure de la mesure de la performance, tant la multi-fonctionnalité de l’agriculture contribue à légitimer ses subventions aux yeux des autres citoyens.

L’espace rural européen est rare et précieux, le travail européen est hautement rémunéré : il est contre-performant d’utiliser l’un et l’autre pour produire en excédant des grains en vrac que l’on brade sur les marchés mondiaux, à des prix qui ne couvrent pas le coût des importations correspondantes en produits chimiques et matériels agricoles !

L’agriculture doit aujourd’hui passer un contrat précis avec le reste de la société. En échange d’une juste rémunération de la part de la société, l’agriculteur doit offrir celle-ci un service à haute valeur ajoutée : une alimentation de haute qualité gustative, tout en entretenant rigoureusement sa propre pérennité par le maintien de la biodiversité et sans polluer les autres activités (tourisme, usage des eaux en aval, etc.). Vœux pieux ? Pas du tout. Pour l’essentiel, il s’agit de régler différemment le système des incitations financières qui orientent l’activité agricole.

La politique agricole commune (PAC) va-t-elle dans le sens d’une agriculture plus , proche des désirs des consommateurs et de nature à maintenir des espaces ruraux vivants ?

Justement les quarante premières années de la PAC sont allées dans le sens contraire ! Par des primes à la quantité produite, elle a éliminé la grande masse des paysans et contraint les survivants à l’agriculture productiviste, dont elle a fait peser le coût financier sur les citoyens, le coût écologique sur les autres usagers de la terre et de l’eau, et le coût géopolitique sur la diplomatie européenne. Car l’obligation de subventionner la braderie des excédents sur le marché mondial nous a mis en opposition, dans les négociations internationales (à l’OMC, à Kyoto) avec nos alliés naturels, le Brésil, l’Afrique, l’Inde...ceux dont nous avons besoin pour contrer l’hégémonisme des États-unis.

Le nouveau pacte entre l’agriculture et la société que nous proposons, qui permettra lui-même un nouveau compromis entre l’Europe et le Tiers-Monde, implique une réforme de la PAC. Le Commissaire Fischler (maintenant appuyé par J. Chirac) propose de passer des subventions à la production aux subventions à l’hectare ! Cela supprimerait en effet une incitation à l’intensification agricole, mais cela va relancer la course à la concentration des exploitations.

Les Verts européens proposent une solution beaucoup plus économe et plus juste, socialement et écologiquement : la subvention aux postes de travail créés, selon une charte d’usage sain des sols et de production "soutenable".Le temps presse pour ce nouveau pacte : la vieille PAC est maintenant déconsidérée, elle risque un jour d’être abandonnée au profit du pur libéralisme !




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