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par Alain Lipietz | 27 février 2015

Sortir de la « trappe à liquidités ».
Politis, 25 février 2015
Le tournant monétaire de M. Draghi à la Banque Centrale Européenne est tardif mais massif : taux d’intérêts négatifs, monétisation de la dette publique… Peut-on en attendre une relance productive ?

Cette politique a théoriquement trois effets. 1 : Le coût des emprunts futurs diminue pour les consommateurs et les investisseurs. 2. On hésite moins à dépenser, ce qui ranime la hausse des prix, et réduit le coût des emprunts passés. 3. L’euro s’affaiblit relativement aux autres monnaies : M. Draghi répudie « l’euro fort » et vise en réalité une dévaluation compétitive.

De fait, ce troisième objectif est atteint. En un an l’euro est passé de 1,38 dollars à 1,12. Une dévaluation de combat dont on espère une relance de l’exportation, donc de l’emploi… si la croissance mondiale ne ralentit pas trop ! Qu’en est-il des deux autres espoirs ?

Eh bien, ne rêvons pas trop. Offrir des crédits à taux zéro ne signifie pas qu’ils vont être sollicités. Il faut d’abord que les ménages aient des perspectives de revenus stables pour rembourser, ce qui est de moins en moins le cas. Que les États et collectivités locales acceptent de s’endetter davantage, ce que justement leur interdit le Traité de Stabilité, de Convergence et de Gouvernance. Que les entreprises aient des perspectives de débouchés croissants, ce qui n’est pas le cas pour les deux raisons précédentes. Et enfin que les banques, qui seules ont accès à la politique « accommodante » de la BCE, acceptent de prêter à ceux qui en ont besoin, et qui le leur demandent ! Or depuis 2008 elles ont développé une aversion pour le moindre risque, et ne prêtent qu’aux riches, qui ont déjà de l’épargne oisive.

Bref, pour le moment, la hausse de prix ne repart pas (on entre même en situation de déflation), et l’activité non plus. C’est ce que Keynes appelait « trappe à liquidité » : la Banque centrale émet de la monnaie, mais personne ne s’en sert. Elle s’accumule en réserves.

Deux exemples personnels. Ayant besoin d’installer des fenêtres plus isolantes, je souhaite emprunter 3000 euros. Or le Crédit Lyonnais, qui ne sait pas quoi faire de l’argent de Draghi, propose depuis janvier des prêts sur deux ans, jusqu’à 60 000 euros, au taux de… 1,99 %, pile l’objectif d’inflation de la BCE. C’est donné ! Mon banquier vérifie que je peux rembourser : mon « reste à vivre » le rassure. Je peux demander ce que je veux, et le placer sur une assurance vie où, en « jouant » un peu avec les placements proposés, on dégage facilement une rentabilité de 6 % par an. Il me prête mon épargne de deux ans, sans nouvelle consommation. Si tout le monde en fait autant, l’argent de Draghi ne va servir qu’à faire monter le cours de actions : ce qu’on appelle « l’inflation des actifs ».

Inversement : un de mes proches possède une petite entreprise industrielle, ultra pointue, l’une des trois boites mondiales qui équipent l’industrie de l’aluminium et du magnésium. 200 salariés en France, 90% du chiffre d’affaire à l’exportation… Le type de la PME à l’allemande dont la France à besoin. Le ralentissement mondial retarde le paiement de quelques clients chez les « émergents ». Panne de trésorerie. Comme la boite a ses usines réparties sur trois régions du nord de la France, ça ne préoccupe aucune des Banques Publiques d’Investissement (régionales), qui acceptent tout juste de garantir les prêts éventuels de banques privées. La BNP est engagée à hauteur de 9 millions, mais ne veut rien miser de plus, car ses crédits sont garanties par la Coface : ça ne lui coûte rien de laisser tomber la boite (ce qu’on appelle « alea moral »). La boite est liquidée.

La politique monétaire est seulement « permissive ». Elle ne suscite pas une croissance de l’activité, et encore moins ne la guide vers un développement écologiquement soutenable. Seule un politique budgétaire permet de « tirer » la demande effective. La fenêtre ouverte par Draghi ne sera utile que si elle est mise politiquement à profit pour consommer et investir, et ce de façon écologiquement responsable (mais c’est encore une autre histoire).

Je suggère un exemple. Quels sont les agents qui réduisent massivement leurs investissements du fait de la politique nationale d’austérité budgétaire ? Les collectivités locales, dont la plupart bouclent actuellement leur budget. Particulièrement handicapées sont celles qui souffrent, en plus, des « crédits structurés » ou indexés sur le franc suisse contractés il y a des années. Cela concerne aussi des municipalités « de gauche » ! En même temps que le PCF et le PS critiquaient l’économie casino, ils acceptaient des banques des prêts à bas prix, fondés sur des spéculations de traders. En même temps qu’ils critiquaient l’euro fort, ils empruntaient en franc suisse, alors que l’application de la politique qu’ils proposaient (l’euro faible) allait rendre ces emprunts beaucoup plus chers à rembourser… Passons.

Aujourd’hui, ces collectivités pourraient rembourser d’un coup ces emprunts toxiques, en empruntant les sommes correspondantes à taux quasi nul. « Pourraient », car il faudrait payer des lourdes pénalités pour remboursement anticipé. Or ces emprunts toxiques ont déjà ruiné la banque Dexia. Les titres correspondants sont logés dans une structure de « défaisance » propriété de l’État, la Sfil. Le gouvernement peut donc faire le geste commercial de dispenser les collectivités de payer ces indemnités… Libérées de cette « double peine », elles budgéteraient immédiatement ces investissements, déjà programmés, mais auxquels elles ont dû renoncer !




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