Bilan morose de la lutte pour le climat

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Dimanche 14 décembre 2008

Petit à petit, la crise se déploie, et on n’a pas l’impression que l’Europe soit à la hauteur. Il faut dire que cette espèce de confédération qui a refusé il y a 3 ans et demi de se transformer en fédération, et en outre actuellement perturbée par l’animosité réciproque du Président français et de la Chancelière d’Allemagne, n’a pas vraiment les moyens institutionnels de sa politique. Victime n°1 ? La lutte contre l’effet de serre.

EMAC

Lundi, la commission Economique et monétaire (EMAC) auditionne Jean-Claude Trichet, président de la BCE (Banque centrale européenne) et le commissaire à l’économie, Almunia. Manifestement, ça va mieux sur le front financier : l’intervention massive des Etats et de la BCE, plus ou moins coordonnée par le Conseil européen, a enrayé la crise interbancaire (c’est à dire la situation où les banques refusaient de se prêter les unes aux autres). Mais, malgré la baisse du taux d’intérêt de la Banque centrale, elle n’a pas enclenché une vague de prêts massifs aux investissements qui permettraient de lutter contre le changement climatique. Quant à la réforme du rapport salarial, pourtant indiquée par la Cour de justice européenne elle-même, et qui permettrait de faire de l’Europe un level playing field (terrain de foot bien aplani, traduction anglaise de "concurrence non faussée"), sans dumping social attirant les délocalisations, elle n’a évidemment pas avancé d’un pouce. Bref, la forme paroxystique de la crise financière est enrayée (mais ce n’est pas fini et peut être faudra-t-il aller jusqu’à la renationalisation totale des banques), mais le fond de la crise du libéral-productivisme n’est pas encore abordé.

J’interviens pour faire remarquer à Jean-Claude Trichet que sa politique revient à faire de la création monétaire de plus en plus massive, en commençant par échanger contre de la monnaie "banque centrale" les titres sur la dette des Etats, en monétisant la dette publique, (conformément à l’article 104 du traité de Maastricht*) mais aussi, de plus en plus, en monétisant des titres financiers privés de plus en plus toxiques. C’est évidemment un critère qui a ses justifications : il vaut mieux transformer en monnaie des dettes sures (comme celles des Etats) que les montages abracadabrants de la finance privée. Mais ne vaudrait-il pas mieux, demandé-je, changer les critères de monétisation des dettes ? Par exemple : refinancer les crédits offerts par la Banque européenne d’investissement pour les grands travaux de lutte contre le changement climatique, et d’application de la stratégie de Lisbonne ?

Jean-Claude Trichet reconnait que c’est effectivement ce que fait la Banque centrale : elle transforme en monnaie d’abord les dettes les plus sures, celles des Etats, puis celles de moins en moins sures, et qu’effectivement on pourrait se poser la question d’une sélectivité plus qualitative de la création monétaire par refinancement des dettes. Mais ça, ce n’est pas dans les traités. Certes.

Je refais la même proposition au commissaire Almunia, qui se montre tout aussi intéressé, mais tout aussi évasif.

* Je me rends compte que je n’ai pas fait la note pédagogique promise il y a un certain temps sur la nature de la monnaie. On peut se reporter par exemple aux éléments donnés en réponse à un lecteur de ce blog

CAN

Jours suivants assez cahotiques : interviews avec des étudiants journalistes (faut bien) et avec des journalistes de TF1 sur la directive "pièce détachées automobiles" (expliquer que les constructeurs grugent les consommateurs en leur faisant acheter beaucoup plus cher les pièces de rechange que les sous-traitant sont prêts à les vendre directement), rédaction d’une lettre au nouvel observateur sur "l’affaire Lipietz", visite de l’ambassadeur de l’Equateur...

Jeudi matin réunion impromptue de la Délégation pour la communauté andine pour recevoir le ministre des Affaires étrangères de Bolivie, David Choquehuanca. Je lui redis avec fermeté, et en présence d’une représentante de la Commission européenne, ce que j’ai dis dans ma lettre au président Barroso : notre délégation désapprouve totalement l’idée de négocier avec la communauté andine pays par pays, et en séparant les aspects commerciaux des deux autres piliers du futur accord d’association (dialogue politique, notamment en matière de Droits de l’Homme, et développement). Mais je ne lui cache pas que la façon dont la Bolivie avait entamé les négociations a fait le jeu de la Colombie, du Pérou et de ceux qui au sein de la Commission européenne, ne souhaitaient pas vraiment une négociation de bloc à bloc.

Pétrole

Puis je cours à la commission Economique et monétaire qui est en train de passer aux votes.

D’abord, on vote le plancher de garantie des Etats sur les dépôts bancaires à 100 000 euros. J’ai expliqué la semaine dernière quel était l’enjeu : empêcher une concurrence faussée entre les banques, suivant le niveau de garantie qu’offriraient leurs Etats. En réalité, ce niveau assez élevé (100000 euros) est sans doute beaucoup trop fort pour ce que peuvent vraiment garantir des petits Etats hors de la zone euro comme les pays baltes. Déjà l’Islande, la Hongrie, l’Estonie, bientôt la Lituanie, sont en quasi faillite à cause des garanties qu’elles offrent à leurs banques, elles-mêmes au bord de la faillite, et ne comptent plus que sur l’Union européenne pour les sauver.

On passe ensuite au vote de mon rapport sur le prix du pétrole. Vote très serré car les libéraux démocrates se partagent entre la gauche et la droite. Celle-ci combat, dans mon rapport, la dénonciation des aspects structurels de la hausse du prix du pétrole mais aussi la critique des fonds spéculatifs pour les hauteurs vertigineuses atteintes par le prix du pétrole dans les années 2007-2008. L’équilibre, dans la commission, s’établit à 15 voix pour mes analyses contre 16 pour la droite. La droite réussit même à introduire, pour réponde au caractère épuisable des ressources pétrolières, la nécessité du recours à l’énergie nucléaire ! On se doutait bien que le tapage sur le pic de Hubbert était inspiré par le lobby nucléaire, en voici un témoignage direct.

A l’issue du vote, j’annonce que je retire mon nom de ce rapport. Non seulement à cause de cet appel au nucléaire. Masi parce que, une fois fini dans quelques mois mon mandat de député européen, je redeviendrai un économiste ordinaire et que je ne tiens pas à assumer le ridicule d’avoir nié la composante fortement spéculative du pic pétrolier, que dénonce ... le Financial time du jour même, en s’appuyant sur un récent rapport de la Banque mondiale portant, au delà du pétrole, sur la flambée des prix de l’ensemble des ressources naturelles en 2007-2008 !

Bilbao

Aussitôt après le vote, je fonce à l’aéroport pour Bilbao, où m’a invité l’ONG Bakeaz et derrière elle, les Verts du Pays basque.

Une interview pour le principal journal du Pays basque, une interview pour une radio locale, et on court jusqu’à la réunion débat. J’y expose les thèmes de la révolution Verte comme solution à la crise, que je développe avec les Verts depuis de nombreux mois.

Les Verts sont au Pays basque (comme en Corse !) dans une situation assez difficile, tant est forte la polarisation entre nationalistes et espagnolistes. Même le débat sur le tracé des trains à grande vitesse est polarisé par cette opposition... Pourtant, les choses semblent avoir beaucoup évolué depuis ma dernière visite au Pays basque : je peux, sans provoquer de grondement, prononcer les mots « España » (et non Estado español) ou « español » (et non « castillano »).

On a évidemment un gros débat sur l’urgence relative de régler l’aspect « libéral » de la crise, c’est à dire la question des bas salaires et de la flexibilité salariale, ou l’aspect écologique de la crise... L’Espagne est aujourd’hui célèbre par la prolifération des « mileuristas », c’est à dire ces jeunes qui, ne gagnant que 1000 euros par mois malgré leurs études, sont obligés de rester chez leurs parents. Je leur fais observer qu’en Grèce, toute la jeunesse « 600eurista » est en révolte, ce qui montre la relativité du salaire minimum nécessaire. Mais en tout cas, il est sûr qu’on ne peut parler de décroissance de l’empreinte écologique, et d’amélioration de l’habitat, que pour des gens qui ont de quoi vivre et habiter de façon autonome.

C’est pourquoi il faut toujours penser à la lutte pour la décroissance de l’empreinte écologique en lien avec la lutte la lutte pour un meilleur partage des richesses, des revenus et du temps de travail, comme le font justement les deux nouveaux porte-parole des verts Français à propos de la révolte de la jeunesse grecque.

Retour en France , il me faut encore participer à un débat organisé par Café-Babel à Scinces-Po sur "la directive de la honte".

Je peux enfin lire les journaux et le rapports qui me parviennent par mail. Je découvre l’ampleur des compromis passés par Sarkozy sur le "paquet climat " afin d’obtenir l’unanimité en Conseil "sous SA présidence" avant même que le Parlement ait voté (alors que ces directives relèvent de la codécision et de la majorité). Sans doute s’y est-il si mal pris avec Merkel que celle-ci a privilégié l’intérêt des industriels allemands de l’automobile (sous couvert de défendre leurs sous-traitants en Europe orientale). Mais au vu des résultat, la lutte pour maintenir le réchauffement climatique au dessous de 2° est abandonnée. On est parti pour les scénarios B ou C du GIEC : +3 ou +4 °C.

Adresse de cette page : http://lipietz.net/?breve328

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Forum du blog

Il y a 2 contributions à ce blog.
  • Bilan morose de la lutte pour le climat

    Merci pour ces infos et analyses.

    Une connaissance qui travaille chez Renault m’a confirmé que les constructeurs font plus de bénéfices avec les pièces de rechange qu’avec les voitures neuves !
    il faut donc dénoncer cette arnaque permanente...

    A part ça un buzz du Net en ce moment concerne le nouveau référendum qui va avoir lieu en Irlande ; on raconte ici que la commission aurait promis de ne pas imposer le droit à l’avortement et autres principes consignés dans le traité de Lisbonne... qu’en est-il exactement ?

    Il va falloir aux pro-européens une argumentation solide pour les élections qui s’annoncent, vu la constitution des pôles nonistes : parti de gauche+PCF, NPA, etc.


    Vendredi 19 décembre 2008 à 04h39mn41s, par kawouede
    lien direct : http://lipietz.net/?breve328#forum3231
    • Le compromis irlandais sur l’avortement

      Il y aurait une déclaration rappelant que les questions sociétales (avortement, mariage gay...) ne sont pas de compétence communautaire. C’est l’évidence même, mais ça n’a pas empêché Murdoch et Ganlay de marteler le contraire.

      Cela dit, ce n’est pas un pur fantasme. Les Irlandais, très liés aux USA, savent bien qu’une fédération finit toujours par imposer la volonté populaire majoritaire globale aux entités fédérées, même par un artifice (l’avortement est autorisé aux USA par arrêt de la Cour suprême, même dans les États qui sont majoritairement contre). Sur ce point, cf mon intervention au colloque La clause de l’Européenne la plus favorisée.


      Vendredi 19 décembre 2008 à 17h37mn18s, par Alain Lipietz
      lien direct : http://lipietz.net/?breve328#forum3232
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