Diversité bioculturelle : Greenpeace, Genève.

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Vendredi 6 octobre 2006

Lundi-mardi-mercredi : travail de bureau. D’abord réunion à Paris du Comité d’orientation de Sinople, puis à Bruxelles, la routine : amendements à préparer, débats et votes en Commission économique et monétaire, votes en Commission du commerce international (INTA)… Rien de spécial. Ah, si ! Mon rapport sur les conditions auxquelles l’Union européenne peut apporter sa garantie aux prêts concédés par la Banque européenne d’investissement suscite en débat l’approbation générale de la Commission INTA. Essentiellement, ce rapport vise à imposer une conditionnalité « développement soutenable » à ces garanties, qui peuvent de temps en temps entraîner un remboursement par l’Union elle-même, et donc les prêts doivent être conformes aux objectifs de l’Union… Pourvu que cette unanimité se poursuive au moment des votes !

La journée de mercredi, je travaille sur la remarquable réponse qu’a préparée notre avocat Rémi Rouquette à l’appel de la SNCF sur le jugement de Toulouse. Rappelons que nous sommes en droit administratif, tout se passe par écrit.

Mercredi soir, je suis invité à une réunion sur l’Amazonie par le groupe des Français sympathisants écologistes à Bruxelles. Ils ont invité Greenpeace qui lance une campagne sur le sujet, et un représentant de l’ambassade du Brésil.

La campagne de Greenpeace me paraît un peu bizarre. Jusqu’ici elle était axée sur les exportations de bois et je l’avais soutenue au parlement à travers la lutte pour le renforcement de la législation contre la contrebande de bois. Mais à présent elle semble dénoncer le projet de l’Union européenne de porter à 5,75% d’ici 2010 la part du biocarburant, entraînant ainsi, comme en un court-circuit, la progression foudroyante de la production de soja au Brésil, qui menacerait la forêt amazonienne… Le représentant de l’ambassade n’a pas grand mal à montrer que la « morsure du soja » sur l’Amazonie n’est qu’extrêmement marginale… surtout la part qui servirait à faire du biodiesel en direction de l’Europe.

J’interviens alors (puisque le thème est quand même l’Amazonie) pour rappeler que le Brésil n’en est pas à son premier plan biocarburants, et que la première fois (à la fin de la dictature), comme d’ailleurs aujourd’hui, l’essentiel du biocarburant était du bio-éthanol à partir de la canne à sucre. C’était surtout la « zona de Mata » (la zone écologique immédiatement derrière la forêt atlantique) du Nordeste et de l’Etat de Sao Paulo qui avait morflé, et les petits paysans « microfundiaires » s’étaient vus expulsés par l’agrobusiness de la canne à sucre. On estimait dans les années 80 que, pour faire rouler une voiture de Sao Paulo, on privait quatre familles du Nordeste de leurs terres.

Par la suite, ces paysans sans terre sont allés défricher à tort et à travers en Amazonie, mais ils étaient aussitôt dépossédés par de grands propriétaires qui brandissaient des titres et s’appuyaient sur la police locale, essentiellement pour faire de l’élevage dirigé vers l’exportation. On disait à l’époque du premier Sommet de la Terre, à Rio, en 1992, que l’obligation de payer sa dette par des exportations obligeait le Brésil à brûler sa forêt… en oubliant la question foncière interne au Brésil (voir mon article L’Amazonie, mythe français).

Aujourd’hui, Greenpeace semble introduire une nouvelle articulation entre la destruction de l’Amazonie et le commerce international : par le biais du soja. Elle existera peut-être, mais reste totalement marginale à côté du pillage des bois tropicaux (au Brésil comme en Equateur, dans le parc de Yasuni ou ailleurs). Quant au soja, qui colonise surtout le Cerrado (c’est-à-dire la savane arborée qui s’étend sur le plateau brésilien), il sert plutôt à nourrir le bétail européen. Donc, si vous voulez épargner l’Amazonie, mieux vaut renoncer à la viande qu’aux biocarburants !!

Quant aux 5,75% de biocarburants, ambition fixée par l’Union européenne, on peut la critiquer, mais surtout pour ses effets sur l’agriculture européenne elle-même ! L’utilisation de la biomasse comme source d’énergie est une bonne idée (c’est quand même la plus évidente, la plus ancienne, la plus facile des énergies renouvelables), à condition qu’il s’agisse de « chutes » ou de déchets qu’on aurait eu à sa disposition de toutes façons : le bois, les ordures ménagères putrescibles etc. Je suis beaucoup plus dubitatif, quant au bilan énergétique, sur la mise en culture de champs et même des forêts, pour produire des biocarburants. Il faut voir. En tout état de cause, c’est une demande de la grande agriculture européenne, afin de valoriser intensivement des terres qui sinon seraient mises en friche.

Le lendemain jeudi, je file à Genève où les organisateurs d’une conférence sur Diversité bioculturelle et développement endogène ont beaucoup insisté pour que je vienne conclure, en compagnie de Rigoberta Menchu et de Jean Ziegler. Comme le savent ceux qui suivent mon blog depuis un certain temps (et s’intéressent à autre chose qu’au TCE), la défense de la biodiversité, et corrélativement de la diversité culturelle et des droits des peuples indigènes sur la propriété intellectuelle de la biodiversité, est une de mes quelques marottes. Je pense même que c’est une des grandes négociations où se noue la possibilité d’un « New Deal » Nord-Sud. Et je compte sur cette conférence de Genève, comme sur la conférence de Paris il y a quinze jours, pour faire pression sur les négociations que l’Europe engage un peu tous azimuts, mais notamment avec la Communauté andine dont j’ai la charge.

(A propos, vous aurez sans doute remarqué dans la presse la publication de la nouvelle politique de Peter Mandelson, le Commissaire (ultra-blairiste) au Commerce. Lui aussi semble avoir compris que la grande négociation au sein de l’Organisation mondiale du commerce est terminée et a échoué , mais il essaie de continuer en proposant au monde entier des accords bilatéraux, exactement dans le même esprit : libre-échange généralisé et respect de la propriété intellectuelle des labos du Nord.)

La « déclaration de Genève » qui clôt la conférence établit un lien très ferme entre la sauvegarde de la biodiversité, la sauvegarde de la diversité culturelle et des peuples indigènes mais aussi la promotion de la culture et de la spiritualité de ces peuples. Pour beaucoup de Français, cela paraîtra bizarre ! Et pourtant, nous devons admettre qu’il n’y a pas de meilleure défense de la biodiversité qu’une culture au sens social, intellectuel, et donc spirituel du terme, qui respecte la nature.

Rigoberta Menchu, que j’avais connue à la conférence de la Convention Biodiversité de La Haye, où son intervention fut décisive, fait un discours tres « optimisme de la volonté », Jean Ziegler un discours très « pessimisme de la raison » (le néo-libéralisme lamine et les peuples et la biodiversité). J’essaie de dessiner quelques pistes d’espoir.

Mais, comme je l’explique dans mon intervention, la défense des traditions culturelles, spirituelles et religieuses des peuples indigènes ne va pas sans poser problème. Elle peut entrer en conflit avec la volonté émancipatrice des femmes (également encouragée par la Déclaration finale), avec l’enrichissement mutuel des cultures, etc. Oui au respect de la diversité des cultures, mais oui aussi à la convergence des valeurs émancipatrices. C’est ce que j’avais appelé jadis, dans ma définition d’un « internationalisme modeste », les « principes de varaibilité (culturelle) maximal et d’universalisme minimal ».

Enfin, il ne me semble pas crédible de maintenir très longtemps des civilisations qui resteraient totalement étanches à notre monde marchand. Les représentants des peuples indigènes qui sont venus à Genève ne sont-ils pas venus en avion ? N’utilisent-ils pas internet et ordinateurs ? Il faut donc (conclus-je) poser la question d’une certaine rémunération de cette fonction de gardiens de la biodiversité que ces peuples assument dans l’intérêt de la planète, rémunération qui leur permette d’accéder à certains aspects de la production moderne de notre monde occidental « sans âme ». Vaste débat…

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