La Commission Barroso renversée avant d’avoir été investie !

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Mercredi 27 octobre 2004

Depuis hier, grande fébrilité au Parlement européen, Barroso risque de ne pas avoir la majorité pour sa Commission. Rappel des chapitres précédents.

En vertu du traité en vigueur (celui de Nice, notre actuelle constitution, mais c’est comme ça depuis Amsterdam), le Président de la Commission doit être proposé par le Conseil et investi par le Parlement européen. Ce qui fût le cas pour Barroso en juillet dernier. Les Verts avaient voté contre, mais le Parlement, étant majoritairement de droite, avait investi cet homme de droite, et c’est tout à fait normal.

Toujours en vertu du traité, mais cette fois depuis Nice, chaque gouvernement propose une personne au Président élu de la Commission pour composer "son gouvernement" (un Allemand, un Maltais, un Français, une Lettone, etc). Ce gouvernement doit ensuite, après audition par les députés, recevoir l’approbation de ceux-ci.

Cette étrange constitution fait de l’Union européenne une sorte de régime parlementaire dont ni le chef de l’exécutif (le président de la Commission), ni les députés n’auraient le choix des briques avec lesquelles construire le gouvernement, mais auraient la capacité de rejeter tout l’édifice si quelques unes des briques ne leur conviennent pas. Jusqu’à présent, jamais le Parlement européen n’avait osé utiliser ce pouvoir, ce qui permettait à tous les anti-européens de prétendre que la Commission (c’est-à-dire l’exécutif, le gouvernement de l’Union Européenne) n’était qu’un monstre bureaucratique responsable devant personne. Eh bien aujourd’hui la démonstration est faite : oui, l’Union européenne est une démocratie, et une démocratie parlementaire !

Pour donner l’occasion d’une telle démonstration, il a fallu, il est vrai, que les gouvernements de droite, et Monsieur Barroso lui-même, fassent beaucoup d’efforts. Lors des auditions des candidats-commissaires devant les députés, plusieurs d’entre eux avaient été largement chahutés, notamment :
- la candidate-commissaire à la concurrence, Madame Kroes (libérale hollandaise) qui n’avait même pas entendu parlé du paquet Monti et qui était liée par tout son passé professionnel aux grandes firmes de l’Union Européenne,
- le candidat-commissaire à l’énergie Kovàcs (socialiste hongrois) qui n’y connaissait rien,
- et surtout l’aujourd’hui fameux candidat-commissaire à la justice Buttiglione (droite catholique italienne), qui s’est fait connaître par ses propos homophobes et misogynes.

Plus quelques autres problématiques (Udre, Fischer Boel, Dimas...). Ça faisait quand même beaucoup.

Hier donc, à 21 heures, il était clair que même la majorité de droite de ce Parlement ne pouvait pas se satisfaire de la commission ainsi proposée. Les libéraux-démocrates à cause de leur souci de transparence, et par féminisme, allaient voter contre. L’extrême droite non chrétienne, par hostilité à l’Union européenne, voterait de toute façon contre (l’extrême droite chrétienne soutenant Buttiglione). La gauche bien sûr voterait contre. Enfin quelques confidences d’une collègue féminine du Parti Populaire Européen m’informaient que des femmes de droite voteraient contre pour sanctionner la présence de Buttiglione.

Bref, hier, il manquait une quinzaine de voix à Monsieur Barroso pour voir investie sa Commission. Surtout, les Verts, les Socialistes, et le groupe ALDE se mettait d’accord sur une résolution condamnant l’équipe présentée, sur les arguments très basiques de la compétence des candidats, du respect des valeurs communes de l’Union (ce qui visait Buttiglione), de la clarté de leur situation vis à vis de possibles accusations de corruption ou de favoritisme.

Aujourd’hui donc à onze heures, devant un hémicycle archi plein pour la première fois depuis son ouverture il y a cinq ans, le président Barroso prend la parole et annonce ce à quoi tout le monde s’attendait : il ne présentera pas au vote son projet de Commission. Applaudi ironiquement à chacune de ses phrases par toute l’assemblée, il se rassied pour laisser la parole au Président du Conseil en exercice (le Hollandais), qui annonce que la Commission Prodi reste en charge en attendant qu’une solution soit trouvée. Après une brève interruption de séance, les différents présidents des groupes prennent la parole pour saluer cet immense succès du Parlement européen, journée assurément historique.

Car il faut bien comprendre que cette affaire présente deux vainqueurs et deux vaincus.

Les vaincus d’abord. Les premiers sont les gouvernements. Ce n’est pas Barroso lui-même qui est responsable de ce que les gouvernements lui ont imposé des candidats-commissaires inutilisables ! Les responsables de ce gâchis sont les gouvernements eux-mêmes, les gouvernements un par un et non pas le Conseil. On voit ici la limite de la Constitution actuelle de l’Union européenne (celle de Nice), limite qui a failli être dépassée par le projet de la Convention. Celui-ci prévoyait que chaque gouvernement présenterait trois candidats, et que le Président de la Commissions choisirait parmi ces candidats, mais cette proposition a été repoussée par le Conseil. En tous cas, le mode d’élaboration de la Commission se trouve sérieusement mis en cause : les gouvernements nationaux doivent perdre l’habitude de considérer qu’ils envoient un ami ou un avocat pour les représenter à la Commission européenne.

Deuxième vaincu, le Parti Populaire Européen (la droite) qui, jusqu’à hier, a soutenu avec arrogance le projet de Commission Barroso. Ses membres ont réalisé aujourd’hui qu’ils n’étaient pas à eux seuls majoritaires au parlement.

Les grands vainqueurs sont évidemment les Libéraux-démocrates. Hier, avec la droite, ils faisaient voter par le Parlement le texte le plus réactionnaire en matière de politique économico-sociale depuis l’élection du Parlement européen au suffrage universel. Aujourd’hui, avec la gauche, ils renversent le gouvernement européen avant même que celui-ci ait pu être installé. Fort des 88 voix qu’il contrôle, le groupe centriste des libéraux-démocrate se pose ainsi comme le faiseur de rois de l’Union européenne. Par son souci démocratique et par son exigence de transparence, c’est une bonne chose. Par son orientation outrageusement néolibérale en matière économique et sociale, ce peut-être la pire des choses.

L’autre vainqueur c’est le Parlement européen lui-même. Il vient de prouver que lorsqu’il ose utiliser les pouvoirs que lui confèrent déjà les traités (oui, oui, même le Traité de Nice !), il est le vrai patron en Europe. Tous les anti-Européens qui depuis des années traitent par le mépris ce Parlement élu par les peuples européens en seront pour leurs frais.

Ce sursaut du Parlement est beaucoup plus important que la menace de vote qui, il y a quelques années, avait déjà conduit à la chute de la Commission Santer. Car cette fois, le Parlement a osé prendre les devants et aller jusqu’au bout, même si Monsieur Barroso a jeté l’éponge avant que l’on passe au vote de la motion de défiance préparée par les Verts, le PS, et l’ALDE.

Surtout, la position de ces trois groupes a été prise en dépit du fait que les membres de la Commission Barroso avaient été proposés par des gouvernements nationaux auxquels participent des membres de ces partis : ni les Socialistes ni les Verts n’ont cherché à défendre le candidats hongrois (socialiste) ou la Lettone (désignée par un premier ministre Vert), ni les Libéraux n’ont cherché à défendre la candidate hollandaise. Les parlementaires européens se sont comportés en parlementaires européens. C’est la moindre des choses, mais c’est déjà un événement considérable.

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