Vendredi, aller-retour à Bourges dont le maire, l’ex-ministre de l’environnement (et sincère altermondialiste), Serge Lepeltier, m’a invité à remplacer au pied levé… José Bové, pour un débat inscrit dans la seconde édition du Festival du film écologique.
J’aime bien Serge Lepeltier, UMP tendance Parti radical, que j’avais rencontré il y a déjà pas mal de temps à Porto Alegre. Il y a comme ça des écolos de droite, dont j’ai appris à reconnaître la véritable fibre environnementaliste, et aussi démocratique, comme Roselyne Bachelot ou Corinne Lepage. « Alors, nous demande évidemment l’animateur du débat, Pierre Bouchenot, de France 3, l’écologie a-t-elle besoin de se situer entre la droite et la gauche ? Tout le monde n’est-il pas aujourd’hui écologiste ? »
Je réponds, comme toujours, que « droite-gauche » est relatif au paradigme, au « bouquet d’options » dominant. En 1789, étaient de gauche ceux qui voulaient la démocratie. Un siècle plus tard, tout le monde était devenu démocrate, mais on l’était plus ou moins, on était « plus ou moins à gauche ». Puis la question sociale est devenue dominante et les socialistes étaient la gauche. Mais après 1945, tout le monde prenait en compte la question sociale : on était plus ou moins de gauche, plus ou moins social… Aujourd’hui, un nouveau paradigme cherche à émerger, l’écologie politique. Quand il sera dominant, on sera plus ou moins de gauche selon qu’on sera plus ou moins écologiste… Reste qu’aujourd’hui, si on veut que les politiques fassent de l’écologie, il faut que les électeurs le disent, en votant Vert.
Quid alors de la vieille droite, de la vieille gauche ? Ils parlent de temps en temps de l’écologie, mais au moment de l’action, ils se croient très écolos quand ils lâchent une réformette pour faire plaisir à l’électorat vert. De plus (et Serge Lepeltier ne cache pas sa divergence), il y a plus d’atomes crochus entre les Verts et les vieilles gauches, à cause de la question du marché. Les Verts, qui ne sont pas pour autant des étatistes, savent qu’il faut énormément de régulation politique, imposée au marché et aux groupes d’intérêt dominants, pour faire valoir les exigences écologistes et les besoins des plus démunis. Ce qui ne veut pas dire qu’on ait souvent la gauche avec soi dès qu’il s’agit de s’opposer au productivisme, aux sortilèges des mirages technologiques. Je donne l’exemple des nano-technologies, où il s’est trouvé peu d’eurodéputés (mais aucun de droite) pour voter avec nous le principe de précaution en ce qui concerne la diffusion de ces molécules artificielles dans la nature.
À part ça, Lepeltier a vraiment la fibre écolo. Il reconnaît que les risques du nucléaire sont trop grands (l’exemple de l’Iran m’est ici fort utile) pour y voir une solution au défi énergétique et à l’effet de serre, du moins à l’échelle mondiale.
Le débat se porte alors sur les biocarburants et le bois, que Serge Lepeltier lui-même évoque avec précaution. De la salle, une intervenante souligne qu’on ferait mieux de parler d’ « agro-carburants », l’étiquette « bio » étant par trop valorisante. Comme mercredi dernier, j’insiste sur le fait que certes la biomasse est une façon simple de convertir l’énergie solaire, mais que le bilan énergétique est à examiner de près, comme la consommation en eau, engrais, etc. Dans cette région qu’illustrent la Sologne et la chênaie de Tronçais, il faut en outre réfléchir à la multifonctionnalité de la biodiversité forestière : pas question de remplacer des forêts de chêne ou d’hêtres par des plantations d’eucalyptus ou de mimosa, arbres au rendement énergétique pourtant bien meilleur ! Et on ne peut demander aux mêmes arbres d’être en même temps de bons puits fixant le gaz carbonique et de bonnes sources d’énergie.
Bref, avant de penser « énergie nouvelles », penser « économies d’énergie ». Même économiquement, ce sera plus rentable.
Samedi, je rentre enfin chez moi à Villejuif, où je trouve avec plaisir le numéro 23 de TOC Magazine, dans lequel les deux compères François Olislaeger et Pierre Cattan, qui avaient raconté en bande dessinée désopilante le Forum social mondial de Caracas, ont ensuite interviewé différents personnages de leur bouquin : Michelle Dessenne et Christophe Ventura, d’ATTAC, Stéphanie Chevrier (la compagne d’Olivier Besancenot), et moi-même ! Je reproduis en échantillon deux petits dessins me concernant. Le premier, à propos d’un des sketch de la BD où notre amie Martine, épouse de l’Ambassadeur de France à Caracas, a bien du mal à trouver des convives osant partager la table de Danièle Mitterrand. Pour le deuxième, j’ai dû leur parler de mon insistance, de blog en blog, sur un certain nombre de points récurrents (la biodiversité, le TCE, le procès SNCF, la crise de l’OMC…). Je ne me souviens pas si je leur avais parlé de ma réponse-testament sur « le député de la planète Zorg », mais ce dessin m’en semble une délicieuse illustration !!
Dans le même numéro, intéressant dossier sur la fabrication de Wikipedia, abondamment utilisé sur mon blog.
À part ça, mauvaises nouvelles du coté de Politis : après leur rupture avec les dirigeants fraudeurs d’ATTAC, ils se retrouvent sur la paille et ont un besoin urgent de capitaux. Cliquez ici sur leur appel, et répondez-y d’urgence !!
Cette affaire renvoie aux ravages de la « dynamique du Non », qui (outre l’Europe) a déjà coulé ATTAC et maintenant menace Politis. L’un et l’autre, au lieu d’organiser le débat à gauche (à une exception près, me concernant, dans Politis), s’étaient imprudemment positionnés unilatéralement pour un Non qui masquait de profondes divergences de fond.
Mais elle renvoie aussi aux difficultés plus générales de la presse écrite. Libération, qui fut alors beaucoup plus équilibré, connaît la même crise financière, pris en étau entre les « gratuits », pour lire dans le métro, et l’internet, pour approfondir tranquillement chez soi.
Exemple : mon site. 1000 visites par jour depuis avril, 33248 en septembre, 1500 par jour depuis le début octobre. Ce qui veut dire que le présent texte a presque plus de chance d’être lu ici qu’en « tribune libre » dans Politis, qu’en tout cas ceux qui lisaient autrefois Politis pour mes chroniques hebdomadaires seront moins motivés.
Cette évolution est dangereuse. Je suis content qu’on lise mon site, et je remercie mes fidèles lectrices-teurs, mais ça veut dire qu’une partie des lecteurs-trices ne tombera plus que sur mon point de vue, une autre sur celui d’ATTAC, etc. Seule une presse engagée mais pluraliste peut encore assurer une « offre de dialogue ». Et Politis avait, peut retrouver cette vocation. Politis a su résister à la sarkozysation des esprits lors de l’affaire du voile par exemple. Politis est un vecteur de paix sur la question Israel-Palestine. Politis et Libé doivent vivre !!
Et tant que j’en suis à la pub : le président de Sinople, Sébastien Leplaideur, vient d’éditer chez Belin le premier livre en papier recyclé : L’état des inégalités en France. Lecture indispensable !
Enfin, le numéro spécial Amérique Latine de Mouvements est sorti. Non seulement sa lecture est indispensable, mais vous avez interro écrite vendredi prochain à la Maison de l’Amérique Latine à Paris.