Voilà, c’est terminé. Tous les arguments ont été échangés, et, pour mon compte, avec la force que je pouvais leur donner. Jeudi, ce fût le dernier meeting des Verts à Bordeaux, avec Noël, Yann, Gérard Onesta et les autres (dont un représentant occitan de Régions et Peuples Solidaires).
Un meeting très sympa. Je reprends plus ou moins l’argumentation de mon « Si le Oui l’emporte, si le Non l’emporte », en essayant de le jouer le plus drôle possible.
C’est vrai que je donne à mon « Si le Oui l’emporte » un ton plus enthousiaste qu’au début de la campagne. J’aurais peut-être dû commencer comme ça, d’ailleurs… Il y a quelques mois, je restais encore sous le coup de mon « narcissisme blessé » : c’est vrai que la négociation à la Convention, encore rabotée par les Conférences intergouvernementales, avaient donné un traité constitutionnel très en dessous de ce que j’aurais souhaité. Mais au fur et à mesure du débat, les avancées par rapport à Nice (que je relisais au fur et à mesure) me paraissaient de plus en plus impressionnantes. Au fond, ce qu’il manque encore, d’urgence, à cette Constitution (le « premier amendement » !) se limite à quelques points :
– Faire sauter quelques verrous d’unanimité en Conseil, c’est-à-dire droit de veto d’un seul gouvernement. Cela se réduit aux points c,d, f, g de l’article 210-2-b sur les minima sociaux à relever progressivement (principe d’ « égalisation dans le progrès » du 209), et bien sûr l’unanimité en matière de taxations minimales et de choix énergétiques .
– Une réforme de la BCE alignant plus ou moins ses objectifs et son mode de contrôle sur ceux de la Banque fédérale américaine, et l’intégration dans la constitution de la nouvelle définition du calcul des « déficits excessifs »
– La possibilité de réviser l’ensemble de la troisième partie de façon plus souple que ce qui est prévu dans les articles 444 et 445 (majorité super qualifiée ?)
A part ça, un certain nombre de verrous nationaux me paraissent intelligents et parfaitement conformes à l’état actuel de la construction de la conscience européenne . Il s’agit bien entendu de tout ce qui touche à la politique étrangère (mise à part l’obligation de porter aide et assistance à l’un des 25 pays agressés, il est tout à fait normal qu’il faille l’unanimité pour participer à une guerre commune en dehors de l’Union), l’exception culturelle étendue à l’enseignement, à la santé et aux services sociaux (article 315-4), le caractère national de la réforme des système de sécurité sociale (art. 210-2-b point k)…
Bref. Le boulot que nous aurons à faire, et que nous pourrons faire si le Oui l’emporte, paraît en définitive déjà impressionnant, pour les forces politiques et sociales, et aussi… pour les eurodéputés. J’en plaisante pendant mon intervention : nous n’avons certainement pas la force, avec nos quelques assistant-e-s, de faire tout le boulot annoncé. Au fond, je frémis de la charge énorme de travail qui me tombera dessus si par malheur le Oui l’emportait.
Quand au « Si le Non l’emporte », j’en fait le minimum : Non = Nice. Je sais d’expérience que c’est déjà assez grave. J’essaie de minimiser. Mais dans mon fort intérieur, je sais très bien que, dans l’Europe du Non, le risque du détricotage, ou au moins les risque d’une accélération du cours néo-libéral, sont énormes. Déjà, dans le vrai camp du Non européen, c’est à dire le clan libéral , on exulte : voir la déclaration de Frits Bolkestein : « Si le Non l’emporte en France, c’est très bien, on en reste à Nice » … et sa directive passe beaucoup plus facilement.
Encore que… Il n’est pas du tout exclu que la crise dans laquelle le Non français plongera l’Europe ne provoque un sursaut de Oui dans le reste de l’Europe. Déjà, déjouant les pronostics, la Pologne s’oriente davantage vers le Oui, et la rage nourrie envers la campagne française contre les plombiers polonais pourrait les amener à renforcer ce Oui pour donner une gifle à la France. Ce serait assez drôle ! mais cet humour de l’histoire ne doit pas masquer qu’il sera fondé sur une croissance de l’agressivité entre des peuples européens que toute mon histoire familiale me pousse à souhaiter voir amis...
L’heure n’est pas encore, tant que les résultats ne sont pas tombés, à l’analyse exhaustive des raisons de voter Non. La presse dénonce avec raison l’arrogance des élites du Oui, et le déficit d’explication. Je partage cette analyse, encore faut-il avoir conscience que les rédactions en chef font partie des élites. Les média ont délibérément choisi leurs porte-paroles du Oui : les élites les plus franco française du Oui, et les moins européennes. Résultat, les Verts ont été totalement marginalisés dans la campagne. Je ne suis jamais passé à la télévision. Les journaux comme Le Monde ou Le Parisien, qui offrent régulièrement quelques lignes à Noël ou à moi, ont quasiment boycotté le Oui écologiste. Une tribune, négociée et proposée au Monde par Noël et moi depuis Pâques, n’a jamais pu passer, malgré deux mises à jour successives. Au total, les Verts auront eu 2% de temps de parole à la télévision contre 5% pour la LCR.
Dans le cadre du discrédit de la droite et de toute la classe politique, qui n’a pas empêché le raz-de-marée de gauche aux élections régionales de l’an dernier, le TCE paie, comme je l’avais annoncé dès septembre dernier, 13 ans de mensonges de cette classe politico-médiatique sur l’Europe de Maastricht-Nice.
Surtout, la composante anti-européenne du Non a été en permanence sous-estimée. Le débat s’est focalisé à gauche et dans les media de centre-gauche sur le problème du verre à moitié plein ou à moitié vide vers l’Europe politique. Comme si il allait de soi que tout le monde était pour l’Europe politique ! Or, dans le Non de droite, comme dans une aire assez vaste du Non de gauche, et même du Oui de droite, la réticence souverainiste face à la perte d’identité française, à l’invasion du plombier polonais, avant-garde du déferlement turc, n’a pas été suffisamment combattue.
Quant au défaut de pédagogie, il est tout à fait réel. J’ai vécu une expérience extraordinaire mercredi dans le 11e : une « disputation » où le Non et le Oui étaient représentés par un « bachelier émérite » (Bernard Dreano et moi), découpant le débat en trois thèmes. Sur chaque thème, les deux bacheliers avaient droit à deux interventions de 5 minutes chacun. Six « témoins » (trois Oui et trois Non) commentaient nos arguments en deux minutes chacun. On est vraiment allé au fond des choses de façon très calme. Une témoin du oui a commencé son discours d’une façon totalement inattendue : « Je suis syndicaliste. J’ai quitté la CFDT pour aller à la CGT parce que je ne voulais plus rester dans un syndicat qui signait des accords au rabais. Or, refuser le TCE, ce qui revient à rester à Nice qui est plus défavorable, c’est signer un accord au rabais. »
Mais, malgré les sondages, je reste relativement confiant, ce qui surprend mes amis Verts. Je crois que le non des sondages reste encore largement un Non protestataire contre l’Europe et le pouvoir actuels, qui ne correspond pas forcément au comportement dans l’isoloir. En quelque sorte, une partie des électeurs déclarent qu’ils votent Non pour exprimer leur ras-le-bol, comme à un premier tour, mais peuvent encore voter Oui quand il s’agit de prendre la vraie décision « de second tour », d’accepter ou de refuser l’Europe politique qui viendrait contrebattre le traité de Maastricht-Nice.
Avec tout ça, j’ai séché la mini session de cette semaine à Bruxelles. Gérard Onesta, qui est vice-président et qui met un point d’honneur à ne jamais sécher, raconte au meeting de Bordeaux la manifestation de la grande majorité des députés européens brandissant des affichettes avec « Oui » pour appeler les français à faire le choix joyeux de l’Europe politique. (Il raconte, beaucoup plus triste, qu’il est dorénavant interdit de fauchage de maïs transgénique par ses copains de la Confédération paysanne, à cause de son soutien au Oui.)
Dès vendredi, la campagne officielle étant quasi-terminée, je reprends mon travail de député. Il était temps ! Dans le train de Paris à Lyon, comme je n’ai pas eu le temps de prendre un billet, le contrôleur me dit : « Vous n’avez pas de réduction ? Vous devriez prendre une carte senior ! – Mais je n’ai pas soixante ans ! » Je n’ose regarder ma gueule dans le miroir.
A Lyon, quand même une ultime manifestation : très joli lâcher de ballons sur une place, suivi d’un petit débat à la terrasse d’un café.
Mais vite, je rejoins l’objet de mon voyage : une réunion des comités pour Ingrid Bétancourt. Les Verts du Conseil régional Rhône-Alpes viennent en effet de faire nommer Ingrid, Florence et Hussein, et le journaliste lyonnais Kiefer, disparu en Afrique, citoyens d’honneur. Je raconte, devant une salle qui manifestement découvre le rôle d’un député européen, mon travail patient depuis trois ans, et mes échecs successifs auprès de tous les dirigeants de gauche d’Amérique latine, et même des Farc, pour obtenir sa libération. Naturellement, je ne leur raconte pas mon plan D, qui est en cours…
Je profite de mon passage à Lyon pour aller le lendemain à la réunion de la coopérative Ouvaton (qui héberge ce site et bien d’autres sites progressistes), pour un petit exposé d’information sur la bataille du brevet logiciel . Je les incite à faire pression non pas sur les socialistes, les communistes et les Verts, qu’il n’y a plus à convaincre pour la deuxième lecture (laquelle aura lieu en juillet), mais plutôt sur les députés de droite du Parlement européen, et sur le gouvernement français. « Oui, me disent-ils, mais on a plus d’influence sur vous que sur la droite ! » C’est bien ça le problème… il est plus facile de faire pression sur les plus proches que sur les véritables adversaires. Je me demande si cette attitude ne résume pas le problème du Non de gauche.