Semaine pas folichonne à Strasbourg. Heureusement, il y a la mobilisation contre le CPE !
Lundi, vote en commission de mon rapport sur « La politique de la concurrence en 2004 ». Comme je le craignais, mon rapport est absolument mis en pièces par la droite et les socialistes. Visiblement, la remise en cause de certains aspects de la politique de la concurrence les a rendus furieux. Ils suppriment ma critique contre les subventions à Ryanair et, bien entendu, la demande d’une commission d’enquête à propos de l’affaire Rhône Poulenc. Mais dans leur rage, ils vont jusqu’à supprimer tous les paragraphes où je dis du bien de la politique anti-monopole de la Commission. Même les félicitations pour le traitement de l’affaire Microsoft sont supprimées ! Ils en ressort très clairement l’idéologie de ces messieurs-dames : le moins d’aides d’Etat possible pour les services publics, mais aucun contrôle sur les aides d’Etats aux patrons… Bon, je vote quand même contre mon rapport, sans retirer mon nom, car je compte mener la bataille jusqu’à la plénière.
Les votes de la semaine ne sont pas non plus très enthousiasmants. Le Parlement adopte un très mauvais rapport sur le processus de Lisbonne, rapport très axé sur le productivisme (avec le grand retour du nucléaire pour faire face à “l’apocalypse pétrolier”) et la compétitivité des entreprises. Les Verts votent évidemment contre.
En revanche, intéressant rapport sur la question de l’élargissement (contre lequel, je dirai pourquoi, nous voterons quand même). Enfin, le Parlement reconnaît que “l’élargissement sans approfondissement”, ça ne va pas. Bien sûr, il ne s’agit pas des pays déjà « engagés dans le tuyau », la Roumanie et la Bulgarie dont l’entrée est prévue, sans nouveau contrôle, pour le 1er janvier 2007. Il s’agit de la Turquie, de la Croatie et des pays du « voisinage », c’est-à-dire essentiellement des Balkans occidentaux, ex-Yougoslavie, Albanie. Le rapport dit deux choses tout à fait justes : les nouvelles adhésions sont subordonnées d’une part à l’acceptation des valeurs et normes des gouvernements démocratiques par les pays candidats, mais aussi, d’autre part, à la « capacité d’absorption » de l’Union européenne. Or celle-ci, dit explicitement le rapport, est désormais limitée par le refus de la Constitution. En effet, un des grands avantages du TCE, c’est qu’il supprimait dans la plupart des cas le droit de veto des Nations en adoptant une règle de décision à la majorité du Parlement et des Etats, pondérés par leur poids démographique. Quand il s’agit d’envisager l’adhésion de la ribambelle de confettis issus de l’explosion de la Yougoslavie, cette réflexion semble évidente : c’est déjà un peu fort d’avoir donné le droit de veto à Malte, on ne peut pas le donner en plus séparément à la Macédoine, à la Bosnie etc.
Pour mémoire, le groupe Vert avait voté pour l’adhésion de chacun des Etats dans l’élargissement de 2004, mais s’était abstenu sur leur adhésion en bloc, voulant par là souligner que le problème ne venait pas de ces pays eux-mêmes, mais de l’Union européenne qui n’avait pas su s’approfondir et adopter des mécanismes permettant de prendre des décisions politiques régulant le marché unique.
Le problème, c’est que le rapport se contente de ce constat, ce qui implicitement signifie : “Nous, UE, sommes incapables d’approfondir notre union en adoptant une constitution basée sur le principe majoritaire, donc nous ne pouvons pas nous élargir” !! Ainsi, les Non français et hollandais, pas complètement illégitimement il est vrai, sont interprétés comme prétexte pour en rester là, tant quant à l’approfondissement que quant à l’élargissement. Les Verts ont déposé un amendement contre cet abandon de l’ambition européenne. Il est repoussé. Nous votons donc contre le rapport.
Vendredi, je file à Nantes où les étudiants de sciences économiques m’ont invité. Ils avaient de longue date organisé une semaine sur le thème « comment vivrons-nous demain ? », et m’invitaient à conclure par une conférence sur le thème du développement soutenable. Evidemment, ils n’avaient pas prévu que cette semaine là, l’université de Nantes serait occupée ! Mais, comme sans doute dans d’autres facs, les étudiants en grève ne chôment pas. Je reçois d’autres invitations précipitées à venir participer à des débats ou des conférences dans d’autres facs occupées. A Nantes, le comité de grève a bien évidemment autorisé la tenue de la semaine de débats organisée par les étudiants en économie.
Dans la salle, il y a non seulement des étudiants, mais même une classe de lycée. Le débat est vif, passionné, éclairé. Toute une jeunesse en révolte aspire à mieux maîtriser son destin et ne rejette absolument pas la réflexion collective et l’apport de leurs aînés.
Le lendemain samedi, je zappe un peu entre le Conseil national des Verts et la grande manifestation parisienne contre le CPE. Magnifique manifestation où le cortège étudiant et lycéen est de taille équivalente à celui des syndicats. On a vraiment l’impression que le syndicalisme, qui a peut-être un peu trop ménagé ses forces en 2003 face à la réforme des retraites, s’empare d’une lutte « gagnable » pour se requinquer. Il est vrai que le CPE marque, après le CNE, la deuxième tranche de saucisson pour détruire, catégorie par catégorie, le code du travail.
Mais cet aspect salarial n’est pas le seul. Le CPE entérinerait plus spécifiquement le basculement de l’âge de la majorité sociale à 25 ans. Cette évolution de fait, depuis plusieurs années, se trouverait ainsi officialisée.
Une dame m’accoste dans la manifestation. Elle me donne son témoignage : « J’ai 45 ans, ma fille en a 22. J’avais repris des études en pensant que j’avais fini d’élever mes enfants. Et voilà qu’on m’apprend que non, ils sont adolescents et à la charge de leur famille jusqu’à 25 ans ! »
Le CPE, s’il venait à passer, ne marquerait pas seulement le choix définitif de la France en faveur de la compétitivité par la flexibilisation , c’est-à-dire son alignement vers les formes de concurrence du Tiers monde (au détriment de l’autre forme de concurrence, celle que fixait la fameuse stratégie de Lisbonne : la concurrence par la formation, l’économie de la connaissance, l’accumulation de capital humain). Il marquerait également un renfermement anthropologique de la jeunesse au sein de la famille. Enfermement qui entrerait en contradiction avec un demi-siècle d’évolution vers une famille où père et mère s’étaient voulus autonomes et concourant à l’autonomisation de leurs enfants…
Je retourne au Conseil national des Verts mais dois rezapper à nouveau : les Sans papiers occupent un bureau désaffecté dans le 13ème, il faut aller les soutenir...
PS - Un petit coup de pub parce que vous ne regardez sûrement pas les liens qui sont mis ultérieurement à la première publication d’un blog : les Actes de la (remarquable) Convention "Pression foncière sur le littoral", tenue à Rochefort le 2 décembre 2005, sont maintenant disponibles sur le site des Verts.