Semaine de plénière à Strasbourg, plutôt orientée relations internationales et Droits de l’Homme : ce ne sont pas (hélas !) les commissions que je suis, mais c’est très intéressant.
Les 3 directives du « 3ème paquet ferroviaire » sont adoptées brièvement (par Oui ou par Non) en 3ème lecture. Comme tout au long de la chaîne législative, les Verts votent Non à la première (la libéralisation du trafic voyageurs) et Oui aux deux autres (les droits des passagers et la certification commune des conducteurs de locomotives.)
C’est surtout la semaine du départ volontaire de mon ami André Gorz et de sa compagne Dorine.
Dès lundi soir, émission en duplex (et en anglais) depuis le studio de Strasbourg pour France24. Comme la BBC ou Radio France International, cette chaîne me prête une compétence linguistique parmi les eurodéputés français, que je ne suis pas sûr de mériter vraiment…
Il s’agit évidemment, cette fois, de la déclaration fracassante du Premier ministre Fillon se déclarant « chef d’un Etat en faillite ». Chef d’Etat, c’est très exagéré, en faillite également. Mais il est tout à fait vrai que, depuis le tournant de l’an 2000 et l’arrivée de Fabius à Bercy, les responsables français ont systématiquement choisi de « dilapider la cagnotte » pendant les périodes de vaches grasses (comme celle que nous venons de traverser) quand il aurait mieux valu rembourser la dette publique. Et le coup des 13 à 15 milliards offerts cet été aux plus riches par Sarkozy, alors que la France se présente très endettée à la veille d’un retournement du cycle international, entraîné par le monstrueux « double déficit » nord-américain, est une véritable catastrophe macro-économique. J’ajoute pour mes interlocuteurs (dont l’un est américain) que le style de la déclaration de Fillon doit beaucoup à son amertume à l’égard de Sarkozy, qui le traite en simple collaborateur. « Mais non, mais non, me répond-on, c’est le coup du gentil flic et du méchant flic. Sarkozy fait des cadeaux, Fillon devra gérer la rigueur ». Je conclus : « On verra bien quand le Canard enchaîné sortira ».
Ça n’a pas raté. Dès mercredi, le Canard révèle : « Fillon : c’est la guerre avec l’Elysée ».
Ce numéro du Canard est très intéressant (et certainement bien renseigné par des hauts fonctionnaires). Il détaille l’impasse économique dans laquelle, en quelques mois, Sarkozy a enfermé la France. Tous les comptes (ceux de l’État central, ceux de la Sécurité sociale) sont au rouge, et dans tous les comptes Sarkozy a fait des cadeaux aux riches et aux employeurs, bref, à ceux qui lui paient ses vacances. Et l’on sait déjà qui remboursera ses vacances : les malades qui devront payer de lourdes franchises, etc.
Mais Sarkozy n’est pas tout seul. C’est son administration, c’est la droite qui littéralement m’horrifie. Comme ces policiers qui acculent des mères de famille à se jeter par la fenêtre. Comme ces députés votant un test ADN pour les enfants candidats au regroupement familial. Jusqu’à présent ces tests ADN étaient extrêmement encadrés par une loi de bioéthique. Il s’agit de choses tellement intimes pour les individus que la loi avait réservé ces tests à des affaires criminelles, sous le contrôle des juges. Et maintenant, on en fait une arme administrative contre les enfants de migrants !
Outre l’aspect vieille blague créole sur fond de drames personnels de cette sinistre loi (« Ton père n’est pas ton père, mais ton père ne l’sait pas »), cela revient à dire , contre toute l’évolution récente de notre civilisation, que la parenté biologique compte plus que l’amour donné volontairement à un enfant adopté, à un enfant né d’un autre lit…
La contre-révolution néo-conservatrice sarkozyste révèle de plus en plus clairement sa « gémellité » (puisque maintenant il ne faut plus se gêner avec les gènes !) avec le thatchérisme ou le bushisme.
À part ça, il arrive au Canard de pousser un peu. Dans ce même numéro (page 2), le Canard hausse la patte devant l’idée de Balladur d’affirmer le caractère présidentiel de régime, « comme si, depuis 1958, la Vème était un régime parlementaire ». Eh bien oui, cher Canard. Ou j’ai rêvé, ou je me souviens d’avoir manifesté contre un gouvernement de droite sous une présidence de gauche, et collaboré, avec un Premier ministre de gauche, à des mesures intéressantes (les 35 heures, le Pacs, la parité) sous une présidence de droite. Le Canard rejoint Jospin et Schrameck : avec l’inversion du calendrier, les élections législatives ne servent plus à rien, il était inutile de se mobiliser en juin dernier. Pas très malin.
En revanche, on se régale (même page) de lire comment notre chef d’État en faillite s’est empressé, aussitôt après sa « sortie », de passer un week-end fabuleusement coûteux dans l’hôtel le plus cher de Corse. En cela au moins il est bien sarkozyste.
Beaucoup de votes et de débats à Strasbourg, ai-je dit, sur les questions internationales et les Droits de l’Homme.
En matière d’immigration, le Parlement se mobilise contre une avalanche d’amendements lepénistes (groupe ITS). Les uns sont scandaleux, les autres rejetés simplement parce que lepénistes. Ça fait plaisir, et le rapport reste acceptable. À la sortie, je propose à Jean-Claude Martinez, frontiste et néanmoins bon camarade, de déposer un amendement ITS ainsi rédigé : « Cet amendement de l’ITS doit être rejeté ». Il rigole, comprenant tout de suite le piège logique.
Discussion pénible, en groupe Vert et aussi en plénière, au sujet du vœu d’une intervention au secours des populations martyrisées, du Soudan au Tchad. Le problème est évidemment que la dictature de Déby n’est pas plus fréquentable que celle du Soudan. Je n’ai rien contre les opérations humanitaires, fussent-elles protégées d’un bras armé européen sous le contrôle de l’Onu, mais là, il y a vraiment toute une série de conditions qui s’imposent. Les Verts essaient de les définir dans leurs amendements. Tous ces amendements étant rejetés, nous votons contre le rapport.
Mais juste après, rapport tout aussi critique et presque aussi matamore contre la dictature birmane. Vote quasi unanime. Et là ? On envoie en Chine une armée européenne prête à intervenir au Tibet et en Birmanie ?
Bref, après la Bosnie, le Kosovo, l’Afghanistan, l’Irak, aucun bilan sérieux n’a été tiré sur le « devoir d’ingérence », auquel je crois, mais qui doit être solidement balisé par des règles et une justice internationales. Car, comme disait Pascal, « la justice sans la force est impuissante, la force sans la justice est tyrannique ».
Sur ce point, quand même, un petit succès : le rapport sur le commerce des jouets. Comme je l’expliquais il y a 15 jours, nous assistons depuis cet été à une « muscardinisation » du débat. Des pans entiers de la droite, et même de la social-démocratie allemande, répudient l’ultralibéralisme, mais ils le font sous des formes protectionnistes aux accents parfois xénophobes, au lieu de se battre pour le renforcement des règles et du droit environnemental et social au niveau international. Selon une confidence d’une collègue UMP, ça barde dans le PPE entre libre-échangistes purs et durs et protectionnistes ou réglementaristes (dont les Français-e-s).
Très significativement, nous votons un rapport sur le contrôle de la qualité des jouets importés. Au petit-déjeuner du mardi que nous prenons régulièrement avec la presse française, quand j’évoque ce rapport, une journaliste me dit « Ah oui, les Chinois ? ». « Eh bien non, ce ne sont pas des jouets chinois, mais des jouets sous-traités en Chine par des entreprises américaines ou européennes, et vendus pour les enfants européens ». Notre message d’il y a quinze jours est entendu, le Parlement s’accroche à une position « régulationiste internationale » pour protéger ses consommateurs. Le rapport va même jusqu’à responsabiliser directement les importateurs pour la qualité des produits qu’ils font fabriquer dans les pays à faible protection sociale et environnementale, et dont ils inondent le marché intérieur européen.
Reste qu’en Europe aussi, le multéralisme « dévisse », et même le bi-régionalisme est menacé. En témoigne la négociation d’un accord avec le Brésil par dessus la tête du Mercosur, sur lequel je mets en garde la plénière.
En revanche, l’inquiétude face aux agro-carburants commence à s’exprimer dans la résolution sur la « Feuille de route sur les énergies recyclables ». Que de chemin parcouru en un an !
Mercredi soir, Andrew Duff, le libéral-démocrate anglais qui fait la paire depuis 2005 avec le Vert Voggenhuber pour relancer le processus constitutionnel, vient faire le point au groupe Vert sur l’état des négociations à la CIG de Porto, où il est observateur. Ça ne va pas très bien. Les Polonais sont déchaînés et veulent mettre le Compromis_de_Ioannina dans la Constitution. Cette clause permettrait à un pays de bloquer une décision, même majoritaire, quand il estimerait ses intérêts menacés.
Quant aux Britanniques, au delà de la Charte des droits fondamentaux, ils sont finalement en train de demander un opting-out sur tout ce qui n’est pas le libre-échange : le troisième pilier (la justice et la police), Schengen… Comme dit Duff, cet opting-out risque de contaminer tout le reste, car il revient à dire qu’un pays, en entrant dans l’Europe, ne partage plus sa souveraineté, sauf sur les questions commerciales.
Plus généralement, les Britanniques essaient de revenir à un traité le plus intergouvernemental possible. Le Parlement, la Commission et la Cour de justice ne seraient plus associés au deuxième pilier (la politique étrangère et de défense commune). Les clauses sur les données personnelles seraient réservées au Conseil. Quant aux parlements nationaux qui, avec le protocole numéro 1 du TCE, avaient obtenu un certain contrôle sur les gouvernements qui les représentaient au Conseil, ils n’auraient plus du tout leur mot à dire.
Face à cette offensive anglo-polonaise, les autres pays nonistes ne jouent pas un rôle actif : Sarkozy se contente de rendre le texte le plus compliqué possible afin que plus personne n’y comprenne rien, la Tchéquie ne demande rien et la Hollande se satisfait de la disparition des symboles de l’Europe.
Et alors, les 20 pays « amis de la Constitution » ? Ils essaient de freiner les ardeurs destructrices anglo-polonaises, mais il faut bien reconnaître que, dans cette négociation à huis clos, les deux nonistes purs et durs ont un avantage absolu sur tous les autres : il leur suffit de dire non et tout est bloqué, on en reste à Nice, cette fois jusqu’à la Saint Glinglin. En face, les ouiouistes ont la charge pénible de défendre le maximum, dans un traité qui ne sera pas du tout « mini » et pas du tout « simplifié », mais (dixit Duff) « un grimoire obscurantiste dont on devrait avoir honte après les espoirs et l’enthousiasme qui avaient porté en 2002 la Convention ». Finalement, la seule chose qui perdurera dans ce grimoire, outre l’entrée dans le texte de la défense de l’environnement et du climat, ce sera probablement l’essentiel des pas en avant démocratiques du TCE, c’est-à-dire le contrôle des élus directs. Un pas en avant sur la procédure, pas du tout sur la substance. Mais, comme dit Duff répondant à l’une de mes remarques : « Pour un constitutionaliste, il n’y a que les progrès dans la procédure de décision qui comptent ».
N’empêche que les syndicats nationaux feraient bien de relayer les efforts de la CES pour maintenir le maximum de contenu social (la Charte des droits fondamentaux, le III-122…) et les associations environnementalistes, y compris les françaises qui ont actuellement le nez dans le Grenelle, feraient bien de leur donner un coup de main…
Vendredi soir, rencontre de rugby Angleterre-Tonga. C’est en juillet que Djemila, la lobbyiste de RTE (Réseau de transport de l’électricité) m’avait invité à un dîner au Parc des Princes avec billet pour un match. Elle m’en proposait plusieurs, j’avais évidemment choisi Angleterre-Tonga, non tant à cause de l’Angleterre, tenant du titre, dont je savais qu’elle n’était plus ce qu’elle avait été, mais par curiosité pour la « révélation » Tonga (130 000 habitants…) C’est la première fois que j’accepte un cadeau d’une entreprise. Soyons franc, ça peut s’assimiler à « mon premier pot-de-vin ». J’ai toujours refusé ça, alors pourquoi cette fois-ci ?
1 - Parce que je suis déjà un fan de RTE. Je considère que le véritable service public, c’est le réseau de transport d’électricité, avec les électriciens qui nous l’apportent, qui travaillent jour et nuit en cas d’accident, de tempête etc. Ce n’est pas l’entreprise nationalisée EDF, qui nous oblige à consommer son énergie nucléaire, qui exporte le surplus de 7 centrales vers le reste de l’Europe en cassant les prix, car les risques sont couverts par la collectivité, et qu’elle n’a pas à s’assurer contre les dégâts inimaginables qu’entraînerait un accident.
2 - Comme je n’ai plus que 18 mois de carrière au Parlement européen, ça ne risque pas de devenir une habitude.
3 - Et puis j’aime bien Djemila, qui a d’ailleurs longtemps travaillé avec Stany, notre collaborateur sur la directive Bolkestein et sur les services publics.
Bon, je ne vais pas vous raconter le match, vous l’avez peut-être suivi, et sinon c’est que ça vous est égal.
Du coup j’ai raté les Journées Parlementaires des Verts. Elles s’inscrivaient dans un cadre particulier : le premier rapport d’étape, ce Grenelle n’aura pas été une véritable négociation, mais un échange de vue, très fructueux d’ailleurs, la décision étant prise ensuite au niveau politique (Sarkozy, Borloo, l’Assemblée nationale). Tout le monde se félicite néanmoins de cette étape d’échange, et se plaint qu’elle ait été si courte.
De mon temps, il existait une institution de discussion permanente entre État, partenaires sociaux, associations et experts. Par exemple, à la veille du Sommet de la Terre (Rio 1992) et pour son suivi, elle avait tenu de nombreuses tables de confrontation, séminaires et colloques, lancé des études. Le tout à un haut niveau, qui allait du PDG des Ciments Lafarge au rapporteur sur la négociation de Rio pour l’UNESCO (votre serviteur).
Cette institution s’appelait « Commissariat Général du Plan ». Et si on la réinventait ?
Bon, puisque le Grenelle débouche – comme prévisible - sur une confrontation entre forces politiques, les Verts s’y sont préparés en énonçant leurs treize conditions sine qua non, qu’ils diffusent publiquement et autour desquelles les députés et sénateurs verts ont décidé d’interpeller Borloo à leurs journées d’été, à Nantes.
Patatras ! La secrétaire nationale des Verts, qui, selon une réforme qu’elle a elle-même initiée il y a quelques années, n’est censée ne s’occuper que de l’interne, se pointe à Nantes et repart en claquant la porte, en condamnant devant les médias cette invitation ! Et bien sûr, TF1 et la presse du lendemain ne parlent que de ça. Pas un mot sur les 13 conditions (le débat avec Borloo avait été pourtant intéressant : il aurait selon certains témoins accepté 11 des conditions).
Il faut s’y résoudre : les Verts sont fichus s’ils n’arrivent pas à se débarrasser de leaders qui n’hésitent pas à couler le travail des copains pour se pousser du col dans les medias.
Et ben, André Gorz ? C’est long, alors c’est pour mon prochain billet, dans quelques heures…