Excellente semaine à Strasbourg pour le développement soutenable
par Alain Lipietz

samedi 17 février 2007

Pour une fois, les votes n’ont pas été si mal que ça. Courageux rapport Fava sur les vols Air-CIA, ferme résolution sur le Darfour, rapports sur les déchets, le choc pétrolier, l’effet de serre, et divers rapports économiques…

Air CIA

Ce premier rapport, résultat d’une commission d’enquête dont le rapporteur est le socialiste Fava, va assez loin dans la mise en cause des pays européens en général et un par un.

Nous avons reçu pas mal de lettres de sections d’Amnesty international que je tiens à remercier. Le plus drôle, pendant les votes, était de voir que bloc formé à plusieurs reprises les groupes d’extrême droite, Union pour l’Europe des Nations, Indépendance et démocratie et ITS (Identité Tradition Souveraineté, celui de Le Pen), pour s’opposer à plusieurs reprises aux conclusions du rapport… et donc finalement s’opposer à la mise en cause de la subordination des États européens aux services secrets américains ! Bizarre pour des souverainistes, non ?

Déchets

Il s’agit de deux rapports, l’un « stratégique », l’autre à portée législative, tout à fait bons, qui hiérarchisent systématiquement l’ordre dans lequel on doit traiter les déchets, et insiste que l’incinération jusqu’à l’obtention des déchets inertes est vraiment l’ultime recours. Mais il ne s’agit que d’une première lecture et, même si d’aussi bons rapports arrivaient à franchir tous les barrages du Conseil, il restera encore à les transposer et à les faire appliquer nationalement…

Economie

Au grand étonnement du groupe, et en particulier de notre excellente collaboratrice Ines Trepan qui a obtenu des résultats inespérés, tous les rapports issus de la Commission économique et monétaire sont bons.

Ce n’est pas surprenant pour le rapport sur la BEI : depuis que j’ai rédigé le premier rapport du Parlement en 2000, puis le premier rapport de cette mandature en 2005, la Commission économique a à peu près toujours suivi ma ligne, et la collaboration avec la direction de la BEI, Mayer puis Maystadt, s’est améliorée d’année en année. Claire orientation des prêts de la BEI vers des politiques de développement soutenable, conformes à la stratégie de Lisbonne – Goetebörg, extension de cette politique aux petites et moyennes entreprises, transparence et ouverture aux ONG, etc. Tout cela reste évidemment assez théorique, et il faudrait voir de plus près comment les prêts aux petites entreprises sont eux-mêmes subordonnés aux conditions assez rigoureuses que l’on peut contrôler dans le cas des grands projets financés directement.

Mais plus étonnante est la bonne qualité des rapports Bullmann (sur les grandes orientations des politiques économiques) et Dos Santos (sur les conséquences macro économiques du troisième choc pétrolier). Les deux rapports prennent bien en compte les nécessaires compromis sociaux et surtout les contraintes écologiques. Et c’est nouveau de la part de cette Commission.

Chose encore plus surprenante, les points apportés, dans son rapport pour avis, par la Commission ITRE (Industrie, recherche, énergie) dans son rapport pour avis à la Commission économique sont encore plus pertinents, soulignant l’urgence de lutter pour la défense du climat et d’améliorer l’efficacité énergétique face au déséquilibre relatif entre la raréfaction de la ressource pétrolière et l’explosion de la demande venue des pays émergents.

C’est d’autant plus étonnant que la veille, le vote sur la stratégie de Lisbonne, préparé par un groupe ad hoc représentant tous les groupes politiques, reflétait purement et simplement les préjugés libéraux et productiviste de la majorité de droite de ce Parlement. Nous avons dû présenter un rapport totalement alternatif (balayé, mais avec un bon paquet d’abstentions) et voter Contre le rapport de compromis proposé par les grands groupes. Et en même temps , le parlement proposait des objectifs ambitieux en matière de lutte contre le changement climatique, comme si ça n’avait rien à voir ! À noter que la majorité du PE reste anti-nucléaire, mais que le nucléaire montre le bout du nez dans l’expression « techniques à basses productions de CO2 ».

Autrement dit, pour les ingénieurs et industriels de la Commission ITRE, la crise écologique devient vraiment très sérieuse. Pour les économistes de la Commission économique et monétaire, elle est vraiment sérieuse. Pour les politiciens ordinaires du Parlement, elle reste secondaire… En tout cas les choses avancent à l’Europe en faveur de la Campagne climat des Verts, qui s’offrent une petite manifestation à l’entrée de l’hémicycle. En plénière, je soutiens le rapport Dos Santos tout en mettant en garde contre les abus de l’agro-énergie.

Autre élément d’explication : la grande coalition en Allemagne a déporté vers la droite le parti socialiste européen… chaque fois que les affaires deviennent sérieuses, c’est-à-dire que les votes ont une dimension législative. Et les votes de cette semaine n’étaient que des déclarations d’opinion sans aucune implication. Donc, comme d’habitude, le Parlement pouvait se permettre de montrer son bon cœur. Et là, la grande coalition allemande jouait en déportant le PPE vers la gauche.

Coopé

Cette histoire d’agro-carburants m’inquiète de plus en plus. Mercredi, le sous-intergroupe « Coopération et Développement » de l’intergroupe « Développement soutenable » m’a invité à sa réunion, en tant que président du sous-intergroupe « Commerce et développement soutenable ». Petit point de vocabulaire : en jargon européen, « Commerce » (Trade) vise les relations commerciales avec le reste du monde, « marché intérieur » vise le commerce au sein de l’Union, « concurrence » vise les règles anti-monopoles, cartels et subventions indues, « dévelopement ou coopération » l’aide aux pays du tiers-monde.

Bref, l’intergroupe « Coopé et développement soutenable » traite de la prise en compte de l’écologie dans la coopération. À la tribune , outre sa présidente Hélène Goudin (voir son CV qui illustre bien le souverainisme des sociaux démocrates nordiques) et moi, il y a Olivier de Laroussilhe, représentant la « DG-Trade » (la direction générale du commerce extérieur de la Commission, celle du commissaire Mandelson, anciennement Lamy), Jan-Willem Cools pour la DG-Développement, et Oli Brown, représentant une ONG internationale, l’IISD.

Les deux derniers sont parfaits, ce qui n’a rien de surprenant, mais le premier aussi ! Il reconnaît à demi-mot que, face à la crise du multilatéralisme de l’OMC, la Communication de la Commission de décembre 2006 , « Competitive Europe » représentait bien un changement de pied de la DG-Trade qui se résignait au bi-régionalisme, et nous explique que, dans les mandats de negociation des accords d’Association avec d’autres régions du monde qui se multiplient, elle a fait mettre un paragraphe de clauses écologistes, sociales, droit-de-l’hommistes…

Je lui fais remarquer que ça ne se remarque guère, et que la DG-Trade semble plutôt rechercher des accords de libre-échange, et même « OMC+ » (avec ouverture des marchés de services publics, protection de la propriété intellectuelle, etc). Or, si de telles clauses agressives polarisaient autrefois l’hostilité à l’OMC, dans une négociation bi-régionale menée par l’Europe, « les méchants, c’est nous », et, sauf à mettre beaucoup de coopération dans notre offre, on risque maintenant des réactions d’hostilité anti-UE dans le tiers-monde : voir ce qui s’est passé à Nairobi

Le débat vient alors sur la protection de la biodiversité… et l’ouverture de l’Europe aux importations d’agro-carburants. Là, j’interviens assez vivement. « Il va falloir choisir entre les deux. Le palmier à huile est en train de détruire la forêt de Malaisie. L’usage de la canne à sucre pour faire de l’alcool-carburant a supprimé 4 exploitations familiales pour chaque voiture brésilienne. Le plein d’un pick-up 4X4 représente une année de nourriture. La demande de maïs pour faire de l’éthanol a déjà fait augmenter de 40% le prix de la tortilla mexicaine. Et il va falloir choisir dès cette année. Les forêts primitives ne repousseront pas, les morts de faim ne ressusciteront pas ».

Olivier de Laroussilhe s’avoue impressionné par mes remarques. On promet de se revoir pour la négociation « Communauté andine ».

Napolitano

Mercredi, les votes sont interrompus par le discours en plénière du Président de la République italienne, Giorgio Napolitano, un de nos anciens collègues. Cet ex-communiste, octogénaire, préside un pays dirigé par une coalition de la gauche et du centre, un peu comme si Charles Fiterman était Président de la République française avec un gouvernement centristes-socialistes-verts-communistes et ayant pour premier ministre Jacques Delors.

Il parle avec beaucoup de clarté, condamne le détestable (deludente) traité de Nice, souligne que de 2000 à 2004, tout le monde a fait des efforts pour trouver des compromis pour un traité constitutionel, et que personne ne peut espérer, dans une renégociation, faire basculer les équilibres obtenus par ces années de négociation. La grande majorité des pays représentant la grande majorité des populations d’Europe a ratifié le compromis de 2004. Il faut bien sûr tenir compte des deux Non français et hollandais, mais on ne pourra pas s’écarter beaucoup du compromis.

Que propose-t-il de rajouter ? Evidemment, des politiques nouvelles, notamment environnementales, mais cela ne déboucherait, répète-t-il avec raison, dans le cadre des institutions actuelles, que très lentement. Pour une « Europe des résultats » (le mot d’ordre des socialiste européens qui ne veulent pas trop reparler de la Constitution), il faut d’abord une réforme institutionnelle, sinon chaque Etat continuera de bloquer, en fonction de ses intérêts égoïstes.

Quelles améliorations apporter alors au Traité pour tenir compte des Non ? On peut étendre encore un peu les votes à la majorité et en codécision, on peut être plus précis sur le dépassement de l’unanimité pour les futures réformes du Traité.

Il a raison d’insister sur ce dernier point. Contrairement à ce que disaient les nonistes français, il n’y aurait plus eu, dans le cadre du TCE (et contrairement à l’Europe du Non, celle de Maastricht-Nice), de « double unanimité » pour réformer ultérieurement le Traité, puisque le TCE prévoyait que ses propres futurs amendements seraient ratifiés aux 4/5e des pays. Mais les propositions elles-mêmes de réformes devraient toutefois obtenir au préalable l’accord unanime des gouvernements, et c’est cette unanimité-là qu’apparemment le Président Napolitano propose de faire sauter… Et il conclut son impressionnant discours en prophétisant, faute de réforme, un déclin dramatique du rôle de l’Europe dans le monde…

A part ça, beaucoup de travail, comme d’habitude : il faut répondre aux interrogations sur le coup de théâtre de Bordeaux, déjà préparer la future audience de mars, écrire des articles pour la campagne présidentielle (j’ai réussi à en faire accepter un par Libération, plus un débat dans Alternatives économiques sur le futur de l’Europe), etc. Bref, je sature. Heureusement le chef de notre service de presse, Helmut, a organisé une soirée détente « carnaval brésilien » dont je ne vous livrerai pas les photos.



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