Poissy-Plaisir : enseignements seconds
par Alain Lipietz

mardi 20 octobre 2009

Dimanche 18 au soir : Douillet élu avec 52.1 %. Le dimanche précédent, la droite n’a totalisé que 50.5 %, moins qu’au soir du premier tour à Rambouillet. Mais là où la candidate verte Anny Poursinoff avait réussi à rattraper son retard jusqu’à échouer de 5 voix, le candidat socialiste, Maire de Poissy, Frédérik Bernard, ne parvient pas à rassembler et termine à plus de 4 % de l’UMP.

Lundi matin la droite triomphe. Elle n’a pas complètement tort. Corbeil, Argenteuil, et maintenant Poissy : ça fait beaucoup. Pourtant la colère monte contre le Président Sarkozy, et même la droite est « troublée » par l’affaire Frédéric Mitterrand, et surtout par la nomination de Jean Sarkozy à la direction de La Défense. Quant à la gauche et même au centre, ils ne pouvaient être que super mobilisés par les nouveaux projets que la droite vient d’aligner : la taxation des indemnités d’accidents de travail, les nouveaux fichiers policiers…

Et pourtant le PS ne rassemble pas, pas plus que le PCF à Corbeil et Argenteuil. C’est le premier enseignement de ce second tour.

Quant au candidat de l’UMP, David Douillet, il a su intimider la presse qui évoquait, même avec la caution d’Eva Joly, son tourisme fiscal. Surtout il a réussi le tour de force de gagner une élection à la veille du débat budgétaire sans dire un mot de la politique fiscale de son parti, alors même que le Nouveau Centre commence à dénoncer la profonde injustice du bouclier fiscal. Douillet attendra le lendemain de l’élection pour affirmer qu’il est contre toute entorse au bouclier fiscal.

Je ne sais pas, et on ne saura jamais, si j’aurais pu, candidat des écologistes au second tour, rassembler aussi bien, de la gauche au centre, qu’Anny Poursinoff. Mais j’ai pu mesurer de mes yeux le problème pour le PS, en allant soutenir jeudi 15 octobre le candidat Frédérik Bernard. J’étais arrivé un peu en avance, et j’ai pu discuter avec les militants socialistes. Ils se défonçaient, avec porte-à-portes et appels téléphoniques ciblés sur les abstentionnistes.

En face, la machine UMP labourait également le terrain, comme nous l’avions fait nous-mêmes les semaines précédentes, comme les écologistes et les socialistes l’avaient fait en soutien à Anny. On ne se rend pas compte de la somme énorme de travail qu’il faut dépenser pour simplement reproduire à quelques pour cent près (mais décisifs) les pourcentages du test national du 7 juin dernier. Je sais que beaucoup de Verts sont trop mobilisés par la répartition des places aux prochaines élections régionales pour venir en renfort des campagnes de terrain. Se rendent-ils bien compte de l’énorme masse de travail qu’il va leur falloir abattre ? S’imaginent-ils que les scores d’Europe Ecologie leur sont acquis pour toujours ? Moi-même, si j’ai largement décroché du candidat-maire de Poissy, sur sa propre ville et à Carrières (reconquises en 2008 avec notre soutien), par rapport aux résultat des européennes, j’ai reproduit ces résultats à 0 -2% près sur les autres communes, mais pour ça il a fallu un épuisant travail militant sur le terrain.

A ce fameux meeting du 15, il y a, comme à Rambouillet, les leaders yvelinois du PS (Huchon, Tasca, plus Anne Hidalgo : au PS on a compris que c’était la répétition générale des régionales, à ne pas louper). Il y a un message vidéo de Cécile Duflot et mon intervention. Il y a un discours du maire radical de gauche de Carrières, Eddy Aït. Il y a un discours (très drôle) du secrétaire départemental du Parti communiste. Il y a un message de soutien de Corinne Lepage. Mais il n’y a pas de message de Bayrou. Le candidat Modem Richard Bertrand est resté sur son Aventin.

Et surtout le Parti de gauche et son candidat François Delapierre (délégué général du parti), boycotte. Les raisons officielles ? Elles sont données, ce même jour, par l’hebdomadaire Politis qui tend à devenir l’organe officieux du Parti de gauche : le candidat socialiste n’a pas refusé le soutien du Modem ! Or le candidat du Modem avait reçu le soutien d’un militant local du Nouveau Centre (aussitôt exclu), il est donc très marqué à « droite »… Politis se permet même d’ironiser sur la prétention que j’aurai eu au second tour de rassembler les écologistes, la gauche… et le centre.

Les socialistes locaux ont une version plus prosaïque. Le candidat du Parti de gauche aurait demandé, en échange de son soutien, le remboursement de ses frais de campagne. Je rappelle en effet que « la gauche de la gauche » est tombée, entre la législative de 2007 à celle-ci, de 6.5 % à 4.9 %. Pourtant unie (le NPA soutenant le Front de Gauche), elle n’est donc même pas remboursée.

En écartant même cette explication, la position du Parti de gauche et de Politis témoigne d’un effarant dogmatisme. Accusation par contamination : le PS ne refuse pas le soutien du Modem (qui ne le lui apporte pas), lequel Modem a lui-même penché à droite puisque un élu Nouveau Centre (d’ailleurs immédiatement exclu) lui a apporté son soutien, il faut donc sanctionner ce manque de délimitation à gauche et faire gagner la droite !

Mais où va t-on ? Alors que cette élection est de portée nationale face à une politique sarkozyste de plus en plus dure, le Parti de gauche comme Bayrou prennent la responsabilité de faire élire le candidat de l’UMP…

Je l’ai dit : Cap 21, composante du Modem, par la voie de Corinne Lepage, et le PCF, composante du Front de Gauche, par la voie du Secrétaire départemental, ont eux apporté leurs soutiens. Finalement, ce test politique majeur se solde par un début d’éclatement du Modem et du Front de Gauche. Et c’est le deuxième enseignement du second tour. Chacun des deux cas doit être médité de façon approfondie, et je suis loin d’avoir tous les éléments.

S’agissant du Modem, il est clair que la ligne oppositionnelle, de plus en plus « alliance à gauche », de Bayrou n’entraîne pas tous ses cadres et que Bayrou hésite lui-même. Il y a le cas Richard Bertrand (le candidat Modem sur Poissy) : il a participé à la coalition de la gauche pour être élu maire-adjoint de Poissy, mais il ne soutient pas son maire dans une législative. J’ai pris un peu de temps pour dialoguer sur les listes du Modem et j’ai pu constater à quel point le Modem était loin d’être de gauche ou écologiste. Par exemple, sur les projets autoroutiers : les seules discussions admissibles portent sur la fluidité relative des déplacements par RER ou autoroute, jamais sur la lutte contre l’effet de serre et l’urgence de Copenhague.

Cette urgence, Cap 21 la sent bien, et je suis prêt à parier que la fracture Lepage/Bayrou apparue à Poissy va continuer à s’approfondir.

Côté Parti de gauche : la « dénonciation par contamination » (le Nouveau Centre soutient le Modem donc le soutien du Modem est inacceptable au second tour) participe manifestement d’une surenchère avec le NPA pour obliger le Parti Communiste à « choisir son camp ». Mon pari : le résultat sera le contraire. L’élection de Rambouillet a montré que l’électorat « gauche de la gauche », comme celui du Modem, acceptait très largement de suivre une candidate écolo dans un vote contre l’UMP. Le PCF n’a pas non plus rechigné à soutenir au second tour le candidat socialiste, sans souci de son partenaire du Front de Gauche.

L’incapacité des leaders de ces deux partis à faire des choix cohérents aboutira tout simplement à l’éclatement du Modem comme du Front de Gauche. D’ores et déjà, j’apprends de-ci de-là que, dans certaines régions, le Parti communiste, exaspéré, envisage de faire liste commune avec le Parti socialiste dès le premier tour. Je ne m’en réjouis pas : cela faciliterait le travail du PS dans sa « rivalité courtoise » avec les écologistes, cela affaiblirait la gauche de la gauche qui est une composante importante pour battre la droite. En revanche, si, ici ou là, Cap 21 rompt avec l’UDF et rejoint les listes Europe Ecologie aux régionales…

Je vous raconte tout ça depuis les falaises d’Etretat où j’ai pris un week-end prolongé de vacances-randonnée. J’ai bien essayé, dans cette première semaine de l’entre-deux tours, de commencer ma nouvelle carrière de grand-père à plein temps, de ranger ma maison et de reprendre mon livre sur Mallarmé. Mais déjà me dévorent toutes les invitations à des conférences, toutes les sollicitations d’articles et de débats.

Par exemple, mardi 13, Rencontres Economiques IGDPE à Bercy sur les Biens communs globaux. Je ne vous raconte pas ici : j’ai préféré entamer la rédaction d’un blog d’Alternatrives économiques sur l’attribution du prix Nobel à Elinor Ostrom, grande spécialiste de la question. De même, vendredi 16, Rouen (d’où Etretat...) à un colloque du Conseil Régional sur l’Economie sociale et solidaire, où j’essaie de justifier l’importance croissante de ce secteur dans un projet de « conversion verte ».

Il faudra se battre : pour Mallarmé et pour mes petits-enfants…

Post scriptum : un coup de pub. Le recueil d’article « La bataille d’Hadopi » va paraître chez ILV. Vous pouvez le commander en cliquant ici. J’y ai contribué sous mon nom, et un avatar de votre serviteur en a fait un petit roman rigolo : cliquez là.



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