Une semaine de colloque à La Réunion : « Changement climatique et perte de biodiversité dans l’Outre-mer européen ». C’est la première conférence organisée par la présidence française du Conseil européen, en collaboration avec la Région réunionnaise et l’UICN (Union mondiale pour la nature. Le site en anglais est plus riche.).
Les confettis de l’Empire, ce titre célèbre de J.C. Guillebaud évoquait les quelques îlots restant de l’Empire français. On oublie qu’il n’est pas le seul dans l’Union européenne : le Royaume-Uni, les Pays-Bas, le Portugal, l’Espagne, le Danemark ont encore des lambeaux de leurs empires. Au total, alors que la superficie de l’Union européenne proprement dite est de 4 377 000 km2, la superficie émergée de « l’Outre-mer européen » est supérieure : 4 452 000 km2 ! Bref, l’Union européenne est plus grande au dehors qu’au dedans de l’Europe géographique.
Pas de panique. La densité de cette Europe d’Outre-mer est d’un habitant au km2 (113 pour l’Union européenne), et il s’agit surtout des deux quartiers d’Antarctique du Royaume-Uni et de la France, et du Groenland danois.
La nature juridique des relations de ces confettis avec l’Union est variable. Il y a 7 Régions Ultra-Périphériques (les 4 départements français d’Outre-mer : Martinique , Guadeloupe, Réunion et Guyane, les îles Canaries, qui font partie de l’Espagne, et les îles portugaises des Açores et Madère). Tout le reste forme les Pays et Territoires d’Outre-Mer. Sont des PTOM : le Groenland, Mayotte, la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie, etc. Les RUP font partie de l’Union européenne, c’est-à-dire que ses directives s’y appliquent. Les PTOM sont seulement associés, via leur liens avec leurs métropoles d’origine, mais cette association est prévue dans les traités.
Un coup d’oeil sur la carte montre que RUP et PTOM s’étendent du Groenland à l’Antarctique, en passant par l’Amazonie et les îles de l’Atlantique Nord et Sud, des Caraïbes, de l’Océan indien, du Pacifique. Soit un immense échantillon des situations écologiques de la planète Terre, les îles attribuant en outre à l’Union européenne un immense territoire maritime, et notamment la plus grande partie des coraux du monde. Un régal !
Bien sûr, c’est dans les PTOM et les RUP que l’on constate la plus forte interaction entre la crise climatique et la crise de la biodiversité (comme dans les pays de la coopération, tels les ACP, sur lesquels j’avais pris l’initiative d’un colloque). Lors de la séance inaugurale, la ministre des finances du Groenland a beau jeu de rappeler le sort des ours blancs de son pays qui subissent la fonte de leur territoire, la banquise... Mais on se souvient aussi, depuis un fameux voyage de Dominique Voynet, que les coups de chaud que subit la planète de plus en plus fréquemment font dépérir et blanchir les coraux, dont le squelette est envahi par des algues toxiques pour les poissons et les humains qui les pêchent. Bref, l’Europe d’Outre-mer est un véritable laboratoire pour les études et la mise au point d’une adaptation à la grande crise écologique du 21e siècle.
J’ai dit « adaptation », parce qu’évidemment tous les efforts qui pourraient être faits sur ces territoires finalement peu peuplés ne feront pas grand chose au changement climatique. En revanche, ils subiront de plein fouet les erreurs anciennes et nouvelles de l’Europe, des États-Unis, de la Chine, de l’Inde... Il s’agit donc surtout d’y sauver la biodiversité malgré un changement climatique qui ne dépend pas d’eux.
Et pourtant ! Je suis stupéfait de constater pendant tout le séjour l’énorme évolution des esprits par rapport à ma dernière visite à La Réunion, fin 2003. Le vieux Parti communiste réunionnais (PCR) ayant perdu ses références marxistes (mais les rues des villages de l’île gardent la toponymie des villes communistes : avenue Karl Marx, rue Jacques Duclos...), peut comme en France se transformer en ex-communisme municipal gestionnaire et clientéliste. Mais il peut aussi, comme en Catalogne, adopter, plus ou moins verbalement ou réellement, le tournant écologiste. Et c’est le cas : le projet GERRI (Grenelle de l’Environnement à la Réunion : Réussir l’Innovation en français, Green Energy Revolution-Reunion Island en anglais) se promet rien moins que de faire de l’île « la vision grandeur nature, mais échelle réduite, de la société de demain », avec comme objectif, par exemple, zéro % d’énergie fossile d’ici 2025.
Et c’est avec étonnement que j’entends les fonctionnaires français, ceux des grands corps et des grandes entreprises nationales, égrener tout ce qui dans mon discours en 2003 passait pour vaguement utopiste : faire de La Réunion un laboratoire des économies d’énergie et des énergies renouvelables, en précisant bien que l’objectif zéro % ne peut être atteint que par 2/3 d’économies d’énergie et 1/3 d’énergies renouvelables.
J’assiste ainsi à une plénière, et « modère » un atelier sur l’énergie. Je suis impressionné par le niveau de technicité et d’engagement atteint par les responsables. Non seulement les représentants de l’EDF et de l’Ademe expliquent qu’il faut commencer par aller jusqu’au bout dans les économies d’énergie avant de songer aux énergies renouvelables (mais cela justifie-t-il qu’EDF construise en ce moment une nouvelle centrale thermique ?), mais encore, dans les renouvelables, ils insistent sur le fait que le gisement des déchets reste à exploiter !
En gros, les ingénieurs distinguent les énergies renouvelables « garanties », celles que l’on peut obtenir immédiatement 8000 heures par an : barrages remplis, biomasse à faire brûler (et c’est là qu’ils rangent le gisement des déchets), et les énergies « fatales et intermittentes », celles que la nature nous offre ou non, selon qu’il fait jour ou nuit, et selon ses caprices, indépendamment de la demande : vent dans les éoliennes, éclairage sur les panneaux solaires. Or, sur un réseau électrique, il faut à chaque seconde équilibrer l’offre et la demande. L’EDF se fixe donc pour règle qu’il ne doit pas y avoir plus de 30% d’énergie fatale, quoiqu’une bonne gestion permettrait de passer à 40%. Il faut donc augmenter les énergies renouvelables garanties, et se pose évidemment la question de la canne à sucre. Mais aussi innover, en captant l’énergie venant de la houle et des courants de cette île tournée vers les mers australes, et l’océanothermie (c’est-à-dire les pompes à chaleur entre l’eau froide des profondeurs et l’eau chaude de surface), ainsi que le solaire thermodynamique. Contrairement à ce que je croyais, les dispositifs pour capter l’énergie de la houle et des courants sont déjà très avancés.
En ce qui concerne les économies d’énergie, l’île a formidablement progressé dans l’équipement en chauffe-eaux solaires, et on est passé des déclarations d’intention en faveur d’un tram-train faisant le tour des parties les plus peuplées de l’île à des plans, à une enquête d’utilité publique de plus de mille pages.
Pourquoi cette disponiblité des ingénieurs d’Etat ? Effet de mode ? Ils donnent une raison bien technique : « Il y a 3 paradigmes concurrents à la solution de la crise de l’énergie-climat. Le nucléaire, le couple charbon-capture du carbone (qui est le plus probable, car il reste du charbon pour deux siècles), et le couple économies-renouvelables. Or les deux premiers exigent de grosses centrales. Et dans une île, une grosse unité est un gros risque. Quand une tranche nucléaire tombe en panne en Europe, on perd 0,03 % de la puissance installée. Quand une centrale thermique tombe en panne dans un DOM, on peut perdre 20 %. Alors à La Réunion, il n’y a que la 3ème solution. »
Ça tombe bien , c’est la nôtre…
Le colloque, qui a lieu à Saint-Denis, la capitale économique, se déplace pour une journée à la Plaine des Palmistes, en plein cœur de l’île, où l’on inaugure le Parc National de La Réunion.
La matinée est consacrée à la visite de la forêt primaire de Bébour-Bélouve. Ce sont les cadres de l’ONF qui la gèrent et qui nous accompagnent. La « révolution écologiste » a touché l’ONF, mais n’a manifestement pas changé son esprit systématique. La forêt est encore bordée de plantations de sapins, importés du Japon dans les années 50, dont on constate bien des années après qu’ils ne fournissent pas du tout le même bois étant donné les tonnes d’eau qui les arrosent ici (8 à 15 m par an).
Converti de l’exploitation forestière à la conservation de la biodiversité, l’ONF fait désormais une chasse acharnée aux espèces exotiques quand elles risquent de devenir invasives. C’est parfaitement justifié quand il s’agit de cette horreur qu’est la vigne marron (une espèce de ronce à grosses feuilles qui peut tout recouvrir si on n’y prend garde). Mais à travers la forêt, on nous montre avec dégoût les traces d’hortensias éradiqués, on montre du doigt les fuschias, bégonias et goyaviers, espèces « non indigènes ».
Comme toutes les plantes sont venues depuis les continents voisins sur cette île volcanique née du fond de l’océan il y a « seulement » 2,5 millions d’années, je me hasarde à demander ce qui permet de dire qu’une plante est « indigène ».
En fait, est indigène ce qui était là avant la colonisation, au 17e siècle ! Comme il n’y avait pas de peuple indigène, la situation est très différente des îles méditerranéennes comme la Crête, où les animaux sont arrivés avec les hommes bien avant l’âge de Bronze... et ont évolué par marronage vers des espèces sauvages, comme le kri-kri crétois.
L’après-midi, j’anime avec ma collègue Madeleine Jouye de Grandmaison, eurodéputée GUE de la Martinique, un débat sur l’implication de la société civile. Je souligne d’entrée qu’il faut bien distinguer la société civile inorganisée (les gens), la société civile organisée de type traditionnel (les peuples indigènes, avec leurs cabildes, caciques etc), et la société civile organisée moderne (les ONG).
Dans la salle, il y a surtout des militants des ces ONG de protection de la nature, c’est-à-dire du 3e type. Très significatif est l’exposé d’un représentant de la Guyane française qui explique que la société civile traditionnelle n’a pas du tout su s’impliquer dans la création du Parc naturel... Les Verts de Guyane savent bien qu’elle s’y est même plutôt opposée au départ ! mais en réalité, elle a fini par apprendre à critiquer les insuffisances de protection du Parc contre les orpailleurs… donc à jouer le jeu du Parc.
À propos des Verts…
En 2003, je n’avais pas été très convaincu par les Verts réunionnais, qui, faute de représentativité, s’alliaient avec le Parti socialiste contre le PCR. Je leur avais dit comprendre qu’on s’allie avec plus grand que soi quand on ne peut pas être autonome, mais alors autant s’allier avec celui qui peut gagner, pour mener des politiques publiques ! Eh bien, cette tactique semble aujourd’hui mise en pratique (sauf à Saint-Denis).
Les Verts ont une conseillère régionale dans un rapport constructif avec le PCR dominant. Surtout, une alliance PCR-Verts a conquis Saint-Paul, troisième ville de l’île, détenue par la droite depuis 50 ans. Nous y tenons une réunion le soir. Je suis impressionné par le dynamisme de ses militants, notamment par Raliba Dubois, hyper dynamique, et qui cumule à la ville comme à l’agglomération des délégations extrêmement importantes (écoles, transports, etc), tandis que ses amis tiennent l’environnement et l’écotourisme.
Autre débat très suivi et sympathique à Saint-Denis avec le groupe « Là-bas si j’y suis », sur l’économie sociale et solidaire.
Tout cela est très prometteur pour les prochaines élections européennes et régionales…