par Alain Lipietz , Francine Comte Ségeste
La détermination de la position des Verts devient urgente. Il est pratiquement acquis, y compris par le cabinet de Martine Aubry, que la "loi-balai", complétant la loi de réduction du temps de travail du 12 juin 1998, devra comprendre un volet sur la question. Un groupe de travail, comprenant un Vert, se réunit au Conseil d’Analyse Économique du Premier ministre. En outre, nos propres revendications sur les minima sociaux (75 % du SMIC) entrent en contradiction avec la possibilité d’un travail à temps partiel sur un faible salaire plein-temps, et ce, quelle que soit l’évolution future du SMIC lui-même.
Le CNIR de Limoges avait esquissé une synthèse conforme à nos valeurs de l’incitation au temps partiel librement choisi et d’un minimum d’existence élevé : l’attribution d’un second chèque, que ce soit pour les anciens "pleins temps" ou les anciens chômeurs. Cette synthèse a été plus brouillée que précisée lors du CNIR de décembre 1998 par une nouvelle motion dont un amendement a voulu mettre l’accent sur les perversions du temps partiel, devenu trop souvent contraint. La phrase "un complément de revenu social doit être versé à hauteur du revenu d’autonomie quel que soit le temps de travail choisi par le salarié" peut impliquer, selon la façon dont on la comprend et le niveau de salaire concerné, soit l’interdiction du second chèque, soit un revenu total plus élevé pour un temps partiel que pour un plein-temps, soit le même revenu quel que soit le travail fait !
La présente motion vise à clarifier la position que les Verts défendront en public et dans les instances de débat et de décision (CAE, Assemblée Nationale).
Bien avant l’institution du RMI, les Verts ont prôné le partage du travail par une double voie :
* Une réduction massive du temps du travail pour tous, avec maintien de revenu pour les bas et moyens salaires, "assurant les moyens, y compris pour les mères célibataires, de vivre dignement."
* Une voie secondaire : l’encouragement au temps partiel librement choisi, grâce à la garantie de retour au temps plein et à un second chèque compensatoire au prorata du coût des charges évitées à l’État (FNE) et au système de l’UNEDIC.
A l’encontre de nos propositions, le gouvernement Bérégovoy avait baptisé "partage du travail" une politique d’encouragement aux entreprises, les incitant à casser des temps pleins en deux en leur attribuant, à elles et non aux salarié-es, sous forme d’abattement de cotisations sociales, le bénéfice des économies réalisées sur l’indemnisation du chômage.
Ces mesures, que nous avions vivement combattues, ont abouti à une montée vertigineuse de l’offre de demis-emplois, à demi-SMIC, laissant ceux et surtout celles qui étaient contraints de les accepter dans une situation de profonde misère et précarité.
Cette politique est devenue aberrante avec l’institution du RMI. Même avec un RMI à 2 300F, l’acceptation d’un demi-emploi de 19 heures pour 2500 F devenait une insulte à l’effort du travailleur qui acceptait un gain net ridicule pour une "demie-semaine" ? pouvant en réalité le ou la mobiliser sur toute la journée, 6 voire 7 jours sur 7. Pourtant, la très grande majorité des femmes concernées l’ont accepté dans l’espoir d’une insertion et surtout d’une reconnaissance sociale. Cela deviendrait impossible dès lors que (comme le proposent les Verts) le RMI dépasserait un demi-SMIC, raison invoquée pour ne pas augmenter les minima sociaux.
Dans les faits, cette politique a institué un "apartheid salarial", reléguant une catégorie de femmes, principalement celles qui ont besoin d’un emploi à tout prix, les mères célibataires ("Fantines" de notre temps), dans une véritable filière d’emplois à temps partiels contraints, surtout dans la restauration et le commerce. Elle touche également, en volume moindre, les hommes, plutôt dans le nettoyage.
Cette évolution a conduit les Verts à concentrer leurs explications et leurs actions sur la réduction du temps de travail officiel, à dénoncer le temps partiel contraint, et à se contenter de mentionner "pour mémoire" le temps partiel choisi.
Cette position est aujourd’hui insuffisante. 80 % des hommes à temps partiel, 40 % des femmes, déclarent être dans cette situation contre leur gré et souhaiter un plein-temps. Il faut donc à tout le moins :
* Préciser et bien cadrer ce qu’est un temps partiel "vraiment choisi" ;
* Prendre en compte le caractère sexué de la société humaine et combattre les effets pervers et discriminants du temps partiel, dans notre lutte pour l’égalité des sexes dans le respect des différences de choix de vie ;
* Fixer une position cohérente pour les chômeurs accédant à un temps partiel et les pleins-temps choisissant un temps partiel ;
* Soulager la misère des temps partiels à bas salaires et des chômeurs.
Actuellement, la notion de second chèque, forme adoucie d’une notion d’Allocation Universelle ou de Revenu d’existence, progresse très rapidement dans les mouvements de chômeurs et de précaires. Le MNCP s’est prononcé en particulier pour le cumul bas-salaires/ maintien partiel du RMI (qui n’est accepté que pour un an dans la loi sur l’exclusion). Dans l’ensemble, les Verts soutiennent cette orientation, première étape vers un découplement "utopique" des revenus et de l’activité.
Face à cela, les syndicalistes, en particulier de tradition communiste, notamment dans AC !, craignent que l’existence même du second chèque encourage les employeurs à ne concéder que des bas salaires directs et à offrir des temps partiels. Leur lutte contre le temps partiel contraint les conduit à critiquer le principe même du temps partiel, y compris choisi, au motif qu’il induirait les femmes à renoncer à des carrières plus ascendantes. Au sein du Collectif national pour les droits des femmes, beaucoup soulignent que ce processus conduit à situer les femmes en marge de l’emploi par rapport aux hommes (notion salaire d’appoint), et à maintenir l’idée de leur présence moindre dans la vie sociale au profit de la vie privée.
Tout en ayant parfaitement conscience des réalités qui suscitent ces réactions, les écologistes ne peuvent partager les a priori syndicalistes en faveur du salariat plein-temps et de ses idéaux productivistes (hiérarchie, etc). Ils se refusent également à réduire la vie sociale au salariat, et soulignent depuis toujours l’importance de l’activité sociale non-salariale (vie associative, entraide de voisinage, SEL, etc.).
Nous devons affirmer une voie originale reposant sur deux principes :
* Un revenu est un droit, garanti par une société solidaire, et non par l’embauche accordée par un patron particulier.
* Le libre choix de son mode de vie, donnant un poids variable à la "valeur travail" et à d’autres formes de réalisation individuelle, selon les choix propres à chacun/une, est un objectif d’une société d’individus autonomes.
Ces principes doivent être combinés avec le réalisme dans l’affrontement au libéralisme et au sexisme. Ils ne doivent pas conduire à dispenser les employeurs d’une cotisation directe sur le coût du chômage, ni à renforcer la position subordonnée des femmes.
Il ne peut donc être question d’interdire le temps partiel (ce qui aboutirait à supprimer non seulement le temps partiel choisi, mais toute une série de postes qui ne peuvent être qu’ainsi organisés). Refuser les compensations d’un second chèque accordé au salarié pour un temps partiel (choisi ou volontaire) conduirait à "sanctionner les victimes" (pour les temps partiels contraints) et à pénaliser les femmes, comme les hommes, qui, refusant les objectifs de vie du productivisme, choisissent le temps partiel. Incidemment, refuser les formes de compensation du temps partiel ne fait que le jeu de l’UNEDIC et de l’État, qui seraient dispensés de restituer aux "temps partiels" les économies ainsi réalisées sur le coût du chômage.
"Respecter le choix du temps partiel", c’est prendre en compte le fait qu’il est d’autant plus difficile à accepter que la perte de salaire est forte, et dans la réalité d’aujourd’hui c’est en général la femme qui "perd le moins". Le temps choisi ne s’étendra aux hommes que s’il est partiellement compensé au niveau du salaire (comme d’ailleurs la réduction générale du temps de travail). C’est aussi reconnaître la contribution à la lutte contre le chômage de ceux qui choisissent le temps partiel, et donc leur restituer ce qu’ils font économiser à l’UNEDIC.
Mais, parallèlement, il faut supprimer toute incitation aux employeurs à créer des postes à temps partiel là où un plein temps serait possible, et lutter pour la réelle égalité professionnelle des femmes (en étant conscient qu’une telle lutte ne se réduit pas au rapport salarial : c’est toute la vie qui doit changer). On ne peut accepter de transformer le rapport au travail et au salaire qu’en menant cette lutte contre la discrimination et le partage sexiste des tâches, à tous les niveaux.
– Les Verts réaffirment leur soutien à la hausse des minima sociaux vers un Revenu Social Universel (RSU) égal à 75 % du SMIC. Ils ont conscience qu’un tel RSU ou même un RMI porté au-dessus d’un demi-SMIC garantit un niveau de revenu supérieur au SMIC à mi-temps, et donc implique pour ceux qui travaillent un complément de revenu.
– Parallèlement, les Verts réaffirment leur soutien au libre choix du temps partiel. Le "libre choix" implique une compensation pour la baisse de salaire résultante, et une possibilité réelle de revenir au temps plein.
– La technique du second chèque est la seule permettant d’amener un complément de revenu, que le temps partiel soit contraint ou choisi. Il doit être attribué, en fonction du RSU, au prorata de la différence avec l’horaire légal (au moins un demi-RSU pour un mi-temps, un tiers pour un-e salarié-e travaillant 2/3 de l’horaire légal, etc.). De la sorte, les pleins-temps qui le souhaitent ne sont pas trop pénalisés à choisir un temps partiel, et les temps partiels contraints échappent à la misère.
Une telle mesure répond donc à nos objectifs concernant les revenus.
Reste à contrecarrer, dans le même temps, les effets non souhaités de l’extension du temps partiel :
– Les employeurs à temps partiel doivent se voir supprimer tout abattement de cotisations correspondant. Les sommes ainsi récupérées doivent aller au Fonds National pour l’Emploi, qui financera le second chèque.
– L’UNEDIC elle-même doit contribuer au FNE, selon une évaluation annuelle du coût du chômage évité par l’existence de travailleurs à temps réduit.
– Le principe de "priorité pour le retour au plein temps", déjà inscrit dans le Code du travail concernant le temps partiel, doit être précisé dans la loi-balai. Concrètement, la loi doit attribuer, de droit, tout plein-temps créé dans une entreprise à une personne à mi-temps en ayant fait la demande, par ordre d’ancienneté.
– Face au problème des suppressions de postes dues au regroupement de deux mi-temps en un seul plein-temps (phénomène qui sera à la mesure de la prolifération des mi-temps Bérégovoy), la collectivité et l’entreprise négocieront un plan de reconversion, y compris vers le Tiers-secteur.
– Une vigoureuse politique d’équipements collectifs et de création de postes liés à l’enfance, notamment dans le tiers-secteur, déchargera les femmes d’une partie du poids de leur "double-journée" et leur permettra de choisir plus librement leur temps de travail professionnel.
Ces aménagements ne dispensent pas de la lutte idéologique et concrète sur le partage des responsabilités dans la vie familiale, lutte qui exige de vraies campagnes d’opinion et une éducation non sexiste.
– Les discriminations sexistes à l’embauche, au salaire, ou à la promotion des salariées, à plein-temps ou à temps partiel, feront l’objet de sanctions financières qui seront elles-mêmes attribuées au FNE.
– Dans le cadre des négociations sur les 35 heures, le "maintien intégral du revenu des faibles salaires à plein-temps" se traduit par une hausse de 11,6 % du salaire horaire. Cette mesure doit absolument être appliquée aux temps partiels (c’est d’ailleurs le cas dans l’accord des entreprises de nettoyage). La baisse du chômage qui résultera de la RTT doit conduire à un relèvement des horaires minimaux conventionnels.
En outre, dans la mesure où des entreprises sont incapables d’offrir des temps pleins à toutes celles (et ceux) qui le demandent, les heures excédant le contrat de travail à temps partiel doivent être payées comme des heures supplémentaires.
Par ailleurs, la loi du 12 juin 1998 limitant les "coupures" et précisant le temps de travail "effectif" doit être efficacement contrôlée par les inspecteurs et contrôleurs du travail dont le nombre doit être considérablement augmenté.