Donc François Hollande sera le candidat du PS. Cela libère un espace pour le candidat du Front de Gauche Jean-Luc Mélenchon, et pour l’écologiste Eva Joly. D’un autre côté cela peut annoncer des difficultés dans la négociation d’un accord programmatique et électoral. D’autant que la crise s’aggrave, et que l’équipe d’Eva Joly peine à s’appuyer sur des thèmes qui sembleraient pourtant naturels. Par exemple il faut désormais lutter pied à pied (et pour le moment en vain) pour que EELV continue à s’intéresser au point de départ de toute écologie : l’alimentation.
Dimanche, comme je l’ai dit dans mon billet de la semaine dernière et contrairement à mes intentions de la semaine précédente, je suis allé voter à la primaire socialiste.
Pour Aubry, et sans trop d’illusions.
Comme j’ai voté tard, j’ai pu lire le cahier d’émargement des camarades socialistes. Il n’y a pas un fort recoupement d’un tour sur l’autre. Et je savais par la presse que même chez les votants de Aubry ou de Montebourg, beaucoup voteraient Hollande par réflexe unitaire. Donc ce n’était pas le mêmes votants, et ceux qui votaient deux fois ne votaient pas forcément selon la même logique.
À France 24, le soir, je ne peux que constater que c’est bien ce qu’il s’est passé. En quelque sorte les Français, votant en masse pour la première fois à une primaire "à l’américaine", mais à deux tours (contrairement aux primaires américaines), ont partagé entre les deux tours les deux attitudes possibles dans une primaire : voter pour le candidat le plus identitaire de son camp, ou voter pour le candidat le plus centriste.
Bon, tout ça n’a pas grande importance : comme je l’ai dit, ma philosophie est de dialoguer avec le PS tel qu’il est, et d’essayer de le faire évoluer en travaillant avec lui. Je connais bien François Hollande : je travaillais avec lui et Jean-Louis Bianco dans la cellule de conseillers économiques d’Attali, à l’Elysée, en 1981. Et nous avons eu des bons rapports pendant la période de la majorité plurielle (1997-2002).
Il a bien sûr un grand défaut : il n’est pas très écologiste. Et, par deux fois, il a raté ses négociations d’accord avec les Verts, en 2002 et 2007, et les élections législatives ont été catastrophiques.
Jamais deux sans trois ? Ou au contraire, comme Mitterrand, réussira-t-il la troisième fois ? Toute la victoire contre Sarkozy va se jouer sur la capacité de François Hollande à se dépasser, à construire avec nous l’unité des forces de gauche et écologistes, comme l’avait su faire Jospin en 1997.
Mardi matin, je file à Bruxelles pour une réunion du groupe des Eurodéputés verts, avec les représentants des partis Verts nationaux.
Au programme : la crise de la dette en Europe.
Je rappelle la position des Français. Nous sommes par principe contre l’accumulation des dettes, et nous l’avons montré en soutenant Sautter en 2000 (quand on lui reprochait d’accumuler une « cagnotte »), et nous ferons tous les efforts raisonnables pour revenir dans la limite de 3% de déficit vers 2014. Mais nous ne prenons aucun engagement de résultat. Nous sommes persuadés en tout cas qu’une austérité coordonnée dans toute l’Europe ne peut provoquer qu’une récession et l’impossibilité d’équilibrer les budgets. En outre, nous refusons de rogner sur les dépenses sociales et écologiques, donc pour l’augmentation d’impôts sur le profit, et ce n’est possible qu’en harmonisant la fiscalité du capital à travers l’Europe.
J’écoute avec intérêt ce que disent les différents partis nationaux. Ils reflètent les inquiétudes de leur population. Dans les pays endettés, on appelle à la solidarité et on tient un peu le discours des Français. Dans les pays à budget équilibré, les Verts proclament leur volonté fédéraliste d’aider les pays endettés, mais se heurtent à une vive opposition de l’opinion publique. Ils doivent donc lui donner des gages.
Ainsi, la discussion sur les Eurobonds, qui nous paraissent une excellente solution en France, suscite des réticences dans toute l’Europe du Nord, car ces pays ont accès à des crédits à très bas taux d’intérêt et pensent que les emprunts en eurobonds seront plus coûteux. Même l’idée que la Banque centrale peut racheter « en solde » des titres de la dette publique, ce qu’elle fait massivement aujourd’hui, suscite des réticences en Europe du Nord (parce que, théoriquement, c’est un mécanisme inflationniste). Alors que, en Europe du Sud on en est déjà à réclamer que la Banque centrale européenne prête directement de l’argent aux gouvernements en déficit...
Dans la plupart des pays, et en France depuis 1971 je crois, il est interdit à la Banque centrale de financer directement, par émission monétaire, les gouvernements nationaux. Cette règle a été adoptée au moment où, avec la fin de la convertibilité or du Dollar, la monnaie mondiale est devenue une pure monnaie de crédit. Autrement dit, dans tous les pays du monde, les banques centrales n’ont plus émis la monnaie à partir d’un stock d’or qui représentait une valeur sûre, mais à partir d’un jugement sur la cohérence entre les prêts que concédaient les banques privées.
En quelque sorte on a renoncé à l’or, "cette relique barbare" disait Keynes , que moyennant une règle de prudence, la "double signature" : les banques privées évaluent la crédibilité de l’emprunteur, puis les banques centrales évaluent la crédibilité des banques en réescomptant, contre une pure monnaie de papier, les crédits qu’avaient concédé ces banques privées aux emprunteurs.
En l’état actuel des choses, je crois qu’il faut renforcer ce genre de règles de prudence, en se débarrassant des agences de notation (qui racontent n’importe quoi) et en créant de véritables offices, transparents et autant que faire se peut scientifiques, chargés d’évaluer la fragilité des différents emprunteur, publics comme privés, et surtout il nous faut un institut d’évaluation "macro prudentiel" de la cohérence des niveaux d’endettement des différents agents de l’économie européenne.
La méthode actuelle, dans laquelle on laisse les marchés procéder à une première évaluation du crédit que l’on peut accorder aux Etats qui s’endettent, puis la Banque centrale intervient en pompier pour acheter aux banques privées les crédits de plus en plus pourris accordés aux promoteurs immobiliers ou aux Etats (sans que les fameuses agences de notation se soient aperçu de leur pourriture…), cette méthode est trop archaïque.
Mais pour l’instant on n’en a pas d’autre. Un avantage de la création d’eurobonds, c’est qu’il obligerait à concevoir ces nouvelles règles prudentielles à inventer.
Cela dit, au fond, il faudra de plus en plus regarder la réalité en face : une partie conséquente des dettes mondiales ne sera jamais remboursée, parce qu’elle représente un modèle de développement caduc (par exemple des exhubérentes autoroutes espagnoles, les hôtels des stations balnéaires de masse). Il vaut mieux, dans des conférences internationales, négocier le rééchelonnement général de ces dettes, par des mécanismes qui ne provoquent évidemment pas la faillite des banques qui ont fait crédit, et qui n’entravent pas l’émission de nouveaux crédits pour financer la conversion verte.
Ça paraît difficile ? Quelques indications ici, III C.
De Bruxelles, je rejoins directement le Cabaret Sauvage, parc de la Villette, où Eva tient son premier meeting parisien... à 17 h 30.
Il fallait oser !
Le groupe de Villejuif, dont « les militant-e-s bossent », s’est donné rendez-vous tout au long de la ligne de métro n°7, avec ses fanions. Je les rejoins au Cabaret Sauvage. Finalement, la salle (pas très grande !) finit pleine à craquer.
Eva est une oratrice de plus en plus charmante et intelligente. Avec son ton et son accent si particuliers, elle se moque de ceux qui critiquent son sexe, son âge, son accent. "J’aime la France, où une jeune fille au pair étrangère peut devenir candidate à la présidence de la République" : cette déclaration provoque une longue ovation.
Il faut dire que l’étude qualitative réalisée par un institut de sondage est assez satisfaisant : l’accent n’est pas un problème, c’est même un atout, au moins pour notre électorat qui ne rechigne pas à l’idée que les bonnes idées peuvent venir d’ailleurs (et en particulier de Scandinavie). Par ailleurs, elle apparaît comme particulièrement « résolue » à affronter le système financier qui indigne la population, tout en proposant des solutions et en visant « l’apaisement ». C’est exactement ce qu’il faut pour les écologistes, dans la période.
Et pourtant les sondages ne décollent pas encore. C’est vrai que nous sommes dans la marée Hollande, qui se paie maintenant son été de grâce. Mais visiblement la direction de campagne peine à trouver les thèmes accrocheurs, alors que tout semblait rouler (mais attention, pas tout de suite !) pour l’équipe Dany / Joly / Bové : conversion verte de l’industrie, lutte contre la malbouffe.
Et c’est sur ce dernier point (la question alimentaire) que l’organisation du meeting, centré sur « la République, et qui insiste avec raison sur les aspects concrets de la République (le logement et l’éducation) est étrangement muet. Un des organisateurs, devant mon agacement, ira jusqu’à me déclarer que, contrairement au logement, l’alimentation… n’est pas un problème pour les gens.
Mais ce problème de l’exclusion de la bouffe par le parti « écologiste » est devenu si grave que je préfère y consacrer un texte à part.
P.S. Mon livre "La SNCF et la Shoah" vient de sortir. Courrez le demander ou le commander dans toutes les bonnes librairies !