Haïti. Régionales. Islande. Gnose et Mallarmé.
par Alain Lipietz

samedi 16 janvier 2010

L’abominable catastrophe haïtienne rend dérisoires tous les vœux de Bonne année. L’Histoire est tragique, la Nature une marâtre, et ce monde est mauvais.

Haïti fut la première république créée, dans le contexte de la Révolution Française, par des Africains déportés en esclavage aux Amériques : symbole absolu que le Progrès existe… Hélas ! Condamnée par de trop faibles atouts au départ, par les incessantes interventions néo-colonialistes, par l’incompétence et la corruption de ses dirigeants, par la trahison répétée de leaders si populaires dans l’opposition et qui se révèlent tyranniques une fois au pouvoir (comme le père Aristide, sur lequel le peuple haïtien et les gauches mondiales avaient fondé tant d’espoirs), et maintenant par la réforme du « Régime sucre » de l’Union européenne : cette nation fut enfoncée et s’est enfoncée dans la misère.

Mais une Nature impitoyable semble s’acharner à l’y renvoyer, avec une barbarie digne des Humains, même une sorte de complicité avec la barbarie des Humains. Les cyclones ont toujours été là, mais le réchauffement climatique et la déforestation ont aggravé les choses. Et maintenant le plus imparable : un tremblement de terre réduit en miette les années d’effort pour s’en sortir, tout en soulignant des décennies de corruption et d’absence de politique sociale urbaine !

Cela m’avait déjà frappé, dans les Caraibes : même si les Hommes sont mauvais, on a l’impression qu’un Dieu s’acharne contre ces terres, contre les pauvres. A celui qui a, Il donne, à celui qui n’a pas, Il enlève même ce qu’il a. C’est ce que, parlant du Nordeste brésilien, j’avais appelé « la Providence sanguinaire ».

Gnose

Dans notre pays si tempéré, j’ai eu la chance infinie de passer de douces vacances auprès de chacune des facettes de ma famille recomposée.

Je me plonge dans l’un de mes cadeaux : les Écrits gnostiques trouvés à Nag Hammadi.

Drôle de religion que la Gnose, née de la fécondation réciproque, dans la fabuleuse Alexandrie, des traditions égyptiennes et mazdéennes, de la relecture hellénistique de Platon et des récents développements de la mystique juive (Philon), et du christianisme naissant. Les Gnostiques ont trouvé une réponse au problème du mal dans ce monde impitoyable : le Dieu créateur (le Démiurge, Yahwé) est mauvais. Ce n’est pas le Créateur qu’il faut adorer, mais un Dieu caché, inconnaissable, plus primordial et plus intérieur. On le découvre en soi-même. La Résurrection précède la mort, le Royaume des Cieux est en nous. Tout cela très folklorique et mythologique dans les textes les plus égyptiens (les « Sethéens » qu’aima Gérard de Nerval), et beaucoup plus platoniciens dans les textes dits « valentiniens ».

Lecture très exotique ? Mais curieusement j’y retrouve un écho profond, comme une réminiscence de ce que j’ai cru lire du « matérialisme orphique de Stéphane Mallarmé ». La différence c’est que les poètes orphiques, tel Mallarmé, extériorisent ce monde profond en sublimant notre monde de boue et de mort, en y recueillant les traces subtiles de la Beauté : « Un autre monde est possible, mais il est dans celui-ci ».

Bien sûr Mallarmé n’a pas pu lire les manuscrits coptes de Nag Hammadi, donc je recherche fiévreusement les origines de la Gnose connues des lettrés français du XIXe siècle : Saint Paul et Saint Jean, le Parménide et le Timée de Platon, Hermès Trismégiste, la Pistis Sophia)…

Mais je n’ai toujours pas le temps de reprendre mon travail sur Mallarmé pour creuser cette analogie. La campagne d’Europe-Écologie pour les Régionales me reprend, ainsi que les multiples débriefings du désastre de Copenhague (très riche débat devant les fonctionnaires du Ministère des Finances…) Et, plus inattendu, je suis mobilisé par Eva Joly dans la tragédie Islandaise.

Europe Ecologie

Après les ultimes couinements dans la composition des listes de très large rassemblement, la campagne d’Europe Écologie s’ébroue.

Dans le Val-de-Marne, on commence par une réunion d’approfondissement du programme à Arcueil, dans la même salle où Dany avait commencé sa campagne Ile de France, il y a un an.

Le casting de la tribune est étonnant : autour de Cécile Duflot, tête de liste du département et de la région, le maire « Gauche citoyenne » d’Arcueil, Daniel Breuiller, un vice-président du Conseil Général du Val de Marne, Jacques Perreux (tous les deux ex-communistes, le second jusqu’à fort peu de temps !), Caroline Mécary (Présidente de la Fondation Copernic des altermondialistes)…

La salle est aussi nombreuse qu’il y a un an, peut-être un poil plus chenue et masculine (les militants communistes sont là !). Le débat est de très haut niveau. Une petite chose me gêne pourtant : on ne parle pas du tout du programme, sur lequel des groupes ont travaillé depuis l’été. Il va falloir s’y mettre, car on ne pourra pas faire deux mois de campagne en se congratulant de la belle image de rassemblement dans son miroir !

L’émulation courtoise avec les socialistes se jouera en effet sur la compétence et la pertinence du programme. La Région, ce n’est ni glamour ni idéologique, c’est du pratico-concret, comme les municipales. Europe-Écologie est partie pour gérer la Région. Elle en a toutes les compétences. Il faut le dire et expliquer comment. Car on ne gérera pas à la place des gens, mais en les mobilisant : pour la conversion verte, pour la solidarité, pour réaliser sur le terrain ce que Copenhague n’a pas su faire. Exactement comme un certain nombre de villes américaines appliquaient Kyoto sous Georges Bush.

Est-ce pour cela que notre Bush à nous, Nicolas Sarkozy, s’ingénie à ruiner les Régions et les collectivités locales, comme il a ruiné l’Etat central, en cassant leur principale source de financement, la taxe professionnelle ?

Islande

Vendredi 8, Eva Joly m’appelle pour me demander de participer à un duplex sur la chaîne publique Islandaise, dimanche midi.

Vous l’avez peut-être lu : la Grande Bretagne et la Hollande, avec la complicité ou le silence coupable du FMI et de l’Union Européenne, ont réussi à faire avaler au gouvernement Islandais un accord de remboursement des dépôts de leurs résidents dans Icesave, la succursale anglaise d’une banque Islandaise anéantie par la crise financière d’octobre 2008.

Cet accord aboutit à endetter à vie chaque citoyen islandais, bébés compris. Un peuple entier est réduit à l’état de peon latino-américain : un état de servage fondé sur l’endettement perpétuel. Le Président de la République islandaise a opposé son veto à cet accord et convoqué un référendum. La presse financière s’est d’abord déchaînée contre l’Islande, puis, réalisant que les gouvernements anglais et hollandais étaient allés trop loin, laisse paraître des articles soutenant de fait les Islandais.

Vite, vite, je relis toutes les directives européennes auxquelles j’ai plus ou moins contribué, sur les systèmes de garantie des dépôts bancaires, les obligations de surveillance… Et j’en conclus que le peuple Islandais ne doit rien. À la limite, on pourrait même dire que, dans l’esprit des directives récentes, comme celle dont j’étais le rapporteur, « Règles prudentielles et surveillance les conglomérats financiers », c’est plutôt la Grande-Bretagne qui doit quelque chose à l’Islande…

Dimanche, j’explique cela comme je peux, à côté d’Eva Joly, face à l’œil rond d’une caméra immobile. Je prends un café avec Eva : elle est absolument enchantée de son activité au Parlement européen. « J’ai déjà gagné deux batailles ! » dit-elle avec enthousiasme.

Hasard : dans le métro, je tombe sur Jean-Luc Mélenchon, leader du Parti de Gauche, qui rejoint le meeting de lancement du Front de Gauche. Je lui demande s’il n’est pas trop pris par le Parlement européen. Non : pour lui, le PE ne présente aucun intérêt… Je n’ai jamais compris les gens qui se font élire pour des boulots qui ne les intéressent pas.

Je rentre à la maison et tout de suite commencent à pleuvoir les mails d’Islande. Ça va durer les jours suivants. Je suis devenu un héros Islandais. Multiples interviews. Campagne de dénigrement. Démentis, rectificatifs. Comme d’habitude…


Je me retrouve ainsi engagé à plein temps dans la bataille islandaise. Je tente un article de synthèse (bientôt sur cet écran). C’est embêtant : j’avais aussi commencé l’écriture d’une troisième aventure de Fred Barberousse, le « videur du cyberespace ». Les premiers chapitres sont en ligne : Le sextoy éjaculateur. C’est très sérieux…

PS Magnifique meeting de lancement de la campagne nationale d’Europe-Écologie cet après-midi à Montreuil. Mais vous avez vu les JT. Plein de photos et videos sur FaceBook (aux pages de Cécile Duflot, de Augustin Legrand…)



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