Retour à Bruxelles : Paquet ferroviaire et Colombie
par Alain Lipietz

dimanche 25 septembre 2005

Vendredi, départ de Santa Cruz à 10 h du mat’ pour rallier Paris, via Sao Paulo, le lendemain à 8 h. Je tenais à être au CNIR des Verts pour intervenir dans les débats sur l’Europe et sur l’énergie. Mais dès le samedi soir, nouveau départ pour Marseille où je rejoins la fête des Verts Bouches-du-Rhone à Vitrolles, avec les Watcha-Clan, super groupe d’origine Briançon-Forcalquier, légèrement influencé par Léo Ferré période Who.

Le lendemain, débat en plein air en présence du maire de Vitrolles, des députés socialistes et communistes locaux… C’est le premier débat unitaire de la gauche marseillaise depuis le référendum !

Lundi, petit passage chez ma médecin-traitant (si je continue à ce rythme, j’aurai bientôt épuisé mes réserves des vacances), je travaille un peu chez moi (rangement, et les énormes blogs de la semaine précédente) avant de rallier Bruxelles.

Gros débat dans le groupe Vert à propos du vote de la semaine prochaine, en plénière à Strasbourg, sur le « troisième paquet ferroviaire ». Il comprend une directive sur l’harmonisation de la qualification professionnelle des conducteurs de locomotives, une directive pour la protection des consommateurs, et une directive… ouvrant le transport des passagers à la concurrence intra-européenne ! La Commission transport du Parlement propose un compromis : voter les trois rapports sur ces directives, mais pas les 3 résolutions législatives correspondantes. Une astuce habituelle qui permettrait de contrôler la première lecture du Conseil. En effet, un rapport du PE sur une directive comprend d’une part un ensemble de considérants et d’amendements proposés, sur les quels on se prononce dans un premier vote final qui n’a de valeur que d’opinion, puis un second vote de « résolution législative » apporte à l’ensemble de la directive ainsi amendée le sceau du co-législateur. En général on fait ces deux votes finaux dans la foulée, mais tant que la résolution législative n’est pas votée, l’autre co-législateur (le Conseil) ne sait pas quelle sera notre position finale.

Hélène Flautre et moi intervenons vigoureusement. Nous ne sommes pas du tout d’accord. Il y a deux directives qui harmonisent le droit social et celui des usagers, et une directive qui libéralise encore plus. Conformément à notre tactique sur la Bolkestein, il faut voter ce qui harmonise avant de voter les mises en concurrence. Car, libéraliser les services publics, surtout quand ils sont systématiquement déficitaires et demandent donc des subventions (c’est le cas des transports de passagers), c’est courir le risque d’un écrémage des lignes les plus rentables et d’un abandon des autres. (Pour une discussion plus large du problème de la privatisation ou de la mise en concurrence des grands services publics en réseau, voir mon article Services publics : vers un compromis social européen ?)

Le débat est assez vif. Certains Verts enragent contre les monopoles locaux du rail (privés ou publics) qui bloquent toute évolution et ont ouvert un boulevard aux transports routiers. Je propose de « défaire le paquet », de voter les deux premières directives, y compris leur résolution législative, et pas la troisième. On passe au vote pour fixer la position du groupe. Notre proposition l’emporte largement. Les Verts Allemands, pour la première fois, se divisent, y compris chez les « réalos ». Effet de la défaite limitée du week-end ? on s’attend à une inflexion à gauche des Grünen.

Pendant ce temps avec Perline nous mettons au point un communiqué saluant la mémoire de Simon Wiesenthal.

Mais la grande affaire de la semaine, c’est la Colombie. La droite européenne et le gouvernement colombiens mènent en effet un lobbyisme d’enfer pour faire endosser par l’Union européenne la loi de « Justice et Paix », qui revient essentiellement à blanchir les AUC (Autodéfenses Unies de Colombie : regroupement de paramilitaires et de sicaires des narcotraficants ou des grands planteurs de bananes).

J’ai riposté en invitant, mercredi après-midi, Francisco Andreu, qui vient présenter le rapport dévastateur de la Commission internationale de juristes (liée à l’ONU). Cet énorme rapport décrit en détail les pièges de cette loi qui amnistie de fait les crimes de guerre et les « délits annexe » au paramilitarisme… c’est-à-dire les activité de financement telles que narcotrafic, enlèvements, et prostitution forcée, tout en laissant les amnistiés continuer à semer la contre-terreur !

Beaucoup de monde à cette réunion, malheureusement peu de députés. En face, le PPE a mis le paquet. Dès le mercredi soir, il organise au Parlement, espace Yehudi Menuhin, un concert avec une chorale d’enfants des rues de Bogota, le tout arrosé de discours larmoyants en faveur de la paix ! Et surtout le lendemain, ils ont fait venir du monde : le vice-président colombien en personne, le procureur de la république, un représentant du Haut commissaire pour la paix (c’est-à-dire la personne chargée de négocier avec les différentes guerillas). Ils ont eu l’habileté d’inviter aussi Antanas Mokus, ancien maire très hétérodoxe de Bogota, qui est un vieil ami.

Les officiels colombiens présentent une vision idyllique de la loi. Ils se font contrer par des réfugiés colombiens présents dans la salle. J’interviens pour souligner les failles de la loi, mais Antanas fait une intervention très habile : « Les AUC ont été les premiers à comprendre le tournant mondial en matière de justice pénale internationale. Ils savent qu’ils risquent de ne jamais échapper au TPI. Alors ils négocient. Toutes les guerres civiles doivent se terminer par une amnistie. Il y a dix ans, une amnistie c’était : zéro année de prison. Cette loi prévoit six ans et demi. Ce n’est pas beaucoup mais c’est le nouvel équilibre entre Justice et Paix. La question est de savoir si la loi la donnera vraiment, la paix, et c’est ça qui est douteux. »

Je partage assez largement le point de vue réaliste d’Antanas. Je n’ai pas changé d’avis depuis mes prises de position (parfois maladroites) sur la Corse, fruit de ma réflexion sur les exemples contrastés des amnisties argentine et chilienne d’une part, tchèque et sud-africaine de l’autre. Oui, une guerre civile se termine par une amnistie. Mais cette amnistie ne doit pas être une amnésie, elle doit passer par un jugement des criminels, un débat de toute la société sur elle-même, une réparation pour les victimes, et éventuellement, en cas de repentance, une levée des peines.

Le problème, c’est que l’amnistie colombienne vise à blanchir des narcotrafiquants et des corps clandestins de l’Etat qui se sont affranchis du droit humanitaire international, sans, en aucune manière, les empêcher continuer, alors que rien de sérieux n’est fait du côté des guérillas de « gauche », dont les FARC. Et surtout, rien n’est fait pour lutter contre les racines de l’interminable violence colombienne depuis Cent ans de solitude : rien pour la répartition des richesses, rien pour la réforme agraire.

Bref : j’appelle le Conseil, avec tous les eurodéputés verts, à ne pas soutenir « Justice et paix ».

Mais déjà il faut rentrer sur Paris pour aller soutenir Denis et Hélia à la législative partielle d’Antony-Est. Le samedi, il y a manif à Bar-le-Duc contre l’enfouissement en profondeur des déchets nucléaires, mais je suis saturé de déplacements, je préfère aller à la manif francilienne pour le financement des transports en commun (ce qui est très lié au problème de la sotie du nucléaire, et aux « 3e paquet » !). Belle manif, très unitaire, de SUD-Rail aux ouiouistes PS…

Et cette nuit : le Vert Jean Calvet conserve le canton de Thorigny qu’il avait emporté de trop peu en 2004, donc conserve à la gauche le Conseil général de Seine et Marne, et donc la présidence de l’Association nationale des présidents de Conseil général (pfouu…), Denis dépasse les 7% à la partielle d’Antony et Annie dépasse les 8,5% (et bat le FN) à la partielle de Nogent. Allez, les Verts !!



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