Le Parlement reprend péniblement ses travaux.
par Alain Lipietz

jeudi 9 juin 2005

Semaine de reprise morose. Nous avons beau nous battre les flancs, dans les multiples discussions internes du Groupe Verts, on ne voit plus très bien quoi faire pour l’Europe. Comme après un deuil, on découvre jour après jour ce qui va nous manquer.

Par exemple : les Verts avaient jadis demandé que la Constitution soit adoptée par un référendum appelant tous les citoyens d’Europe à se prononcer le même jour, ou à la rigueur certains pays à se prononcer selon leurs formes constitutionnelles (le référendum est interdit en Allemagne). Les chefs d’Etat et de gouvernements en ont décidé autrement : les 25 circonscriptions votent les unes après les autres pendant un an et demi. Résultat : maintenant que la France et les Pays-Bas ont voté Non, « sans préjudice de la déclaration numéro 30 » qui prévoit que l’on pourrait à la rigueur s’arranger si 4/5e des pays ratifient la Constitution, il est d’ores et déjà clair qu’il y a un énorme problème ! La tentation est donc grande d’interrompre le processus de ratification et de passer tout de suite à la réflexion sur l’étape suivante : que faire pour sortir du traité de Nice ? Oui mais… dire cela, c’est admettre que les 13 pays qui ne se sont pas encore prononcées, et des 10 pays qui ont dit Oui (si on compte que la Belgique s’est prononcée pour le Oui) comptent pour du beurre. Tous ces pays souhaitent évidemment avoir leur mot à dire et ne pas dépendre du diktat franco-hollandais. Nos amis Verts luxembourgeois sont particulièrement scandalisés à l’idée que les Verts européens pourraient déjà rechercher officiellement un plan B car eux votent bientôt, font une campagne active, et pensent gagner leur référendum…

Naturellement, les échos venus de France nous rapportent que les anciens partisans du Non, qui nous ont bassinés pendant des mois en dénonçant « la double unanimité » nécessaire pour réviser la future Constitution, considèrent d’ores et déjà que puisque la France (un seul pays, mais quel pays !) a voté, ce serait faire fi du « vote des électeurs » que de continuer le processus de ratification… alors même que, même à s’en tenir aux 3 pays ayant ratifié par referendum (Espagne, France, Pays-Bas) les électeurs du Oui l’emportent largement sur ceux du Non. Comme il était bien évident pour ceux qui savaient écouter, une bonne partie de ces partisans du Non de gauche sont en fait pour la règle de l’unanimité, c’est-à-dire pour le droit de veto de chaque pays, ou au moins de celui de la France, mère des arts, des armes et des lois.

De toute façon, nous savions, dans le camp du Oui, qu’il n’y avait pas de plan B, nous savions qu’il n’y en avait pas chez les chefs de gouvernements, nous soupçonnions fortement qu’il n’y en avait pas non plus chez les leaders du Non français. Tout ceci se confirme point par point . En réalité, il n’y a qu’un seul plan B : le plan Blair, c’est-à-dire le maintien du traité de Nice, en picorant quelques petits détails dans la première partie du TCE.

Enfin… Nous décidons de transformer la réunion prévue pour le 27 juin sur le premier amendement au TCE en réunion de discussion-débat avec la société civile sur : « comment rendre attrayante l’idée d’une Europe politique. » Première idée : une Convention sur les politiques sociales de l’Europe (pas forcément sur la façon de les incorporer dans une constitution !)

Mais c’est chaque jour, chaque heure, que nous mesurons combien nous avons reculé. Par exemple, le pacte de stabilité. On se souvient qu’il a été réformé le 20 mars par le Conseil européen, par consensus, malgré l’opposition des « pays moyens de droite » (Pays-bas, Danemark et Autriche), selon une formule qui élargit encore les assouplissements proposés par le commissaire Almunia. Mais comme l’Europe politique est battue, la droite (PPE et ALDE) se replie sur la position néo-libérale : en revenir à un strict pacte de stabilité gouverné par des règles surveillées par la Commission. J’interviens en plénière contre cette conception et rappelle que ce n’est même pas la pratique des Etats-Unis d’Amérique. Mais le lendemain, quand on en vient aux votes, toute la droite (y compris la droite française UMP et UDF) vote comme un seul bloc pour un re-durcissement du pacte de stabilité. Dieu merci, si j’ose dire, le Parlement n’a rien à dire sur le sujet.

Tout comme il n’a rien à dire, dans le cadre de Nice, sur la programmation budgétaire. L’exercice d’ « avis sur la programmation budgétaire » auquel il se livrait également cette semaine était donc complètement vain. Les Verts proposent leur contre-budget idéal qui n’obtint que leurs propres voix. Nous votons par amendements sur les propositions de la droite et finalement votons contre l’avis du Parlement. Je ne prends même pas part au vote final, pour signifier mon dégoût d’avoir à en rester au traité de Nice.

Mais pour moi, l’essentiel de la semaine est occupé à la préparation de la rencontre de la semaine prochaine entre les parlements européens et latino-américain à Lima. Je dois y présenter un texte sur la coopération en matière de lutte pour l’environnement. Les commissaires chargés du commerce international (Peter Mandelson) et des relations extérieures (Benita Ferrero-Waldner), ainsi que les directeurs de leurs administrations chargés de la zone, viennent présenter la situation aux bureaux des cinq délégations en charge des différentes sous-zones de l’Amérique latine (Mexique, Caraïbes, Communauté Andine, Mercosur, Chili). Mendelson est particulièrement pessimiste sur la possibilité d’un accord avec le Mercosur. Le reste du monde nous fait payer cash l’effondrement du projet d’Europe politique . Pour le président Lula du Brésil, la Chine et même le monde arabe sont devenus beaucoup plus attractifs.

Plus profondément, les compromis planétaires proposés par les sociaux-libéraux européens (Lamy et Mandelson) depuis Doha ne marchent pas du tout : à l’Europe, la liberté d’exporter ses hautes technologies, au Sud, la liberté d’exporter son agriculture et ses produits industriels banals. Ça ne marche pas, parce que l’Europe ne peut s’ouvrir ni à l’immense capacité exportatrice agricole brésilienne ou argentine, ni à l’immense capacité d’exportation manufacturière chinoise, ni à l’immense capacité d’exportation en matière de services de hautes technologies de l’Inde. Le libre-échange est totalement dans l’impasse entre le Nord et le Sud. En revanche, le Brésil est tout content d’inonder la Chine de ses produits agricoles, en échange de produits manufacturés à bas prix.

Je glisse un mot sur le problème des bananes colombiennes et équatoriennes, et sur l’appui possible de l’Europe aux ambitions de la Communauté Andine des Nations en matière de biodiversité… mais je ne pense pas avoir beaucoup de cadeaux à apporter à Lima.



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