La tendance C. Duflot - Jean-Vincent Placé a gagné la seconde phase du Congrès de EELV, à Caen. D’un souffle, mais elle l’a gagné. Le dernier espoir d’imposer, de l’intérieur, un « changement de cap » au gouvernement issu de la victoire de 2012 s’est donc envolé.
Ce gouvernement PS-EELV avait à charge d’amorcer une transition écologiste pour sortir le pays de la crise, et peut-être, en alliance avec les pays d’Europe du Sud, imposer à Merkel l’abandon des politiques d’austérité.
Mais, avec la complicité de la majorité de EELV (ministre et parlementaires), il s’et engagé dans une politique de réduction des services publics, de subvention indiscriminées aux entreprises, d’impôts de plus en plus lourds, d’encouragement au productivisme. L’ultime tentative pour le faire « changer de cap » (la déclaration du Secrétaire national EELV Pascal Durand exigeant de Hollande des résultats concrets pour la conférence environnementale) a été immédiatement sanctionnée de son éviction par l’équipe Duflot-Placé. Ils ont proposé de le remplacer, lors du congrès de Caen, par Emma Cosse, qui fut la procureure la plus virulente dans le procès de Gardes Rouges instruit contre Pascal Durand.
C’est ce qui vient de se passer. Il n’y a plus de contestation possible venu de l’intérieur du gouvernement Ayrault (sauf improbable sursaut de l’ile gauche du PS). La phase « institutionnelle », ou du moins gouvernementale, de la transition écologiste est close, elle ne pourra plus être imposée que par des luttes sociales.
Il y a quinze jours pourtant, lors de l’élection décentralisée des délégués pour le congrès, les diverses oppositions l’ont largement emporté. La motion « Maintenant », qui avait obtenu 51 % au congres précédent, à La Rochelle en 2011, était parvenue à regrouper la quasi totalité des « grand élus », de ceux qui espérait garder leur poste ou en obtenir un, s’intitulait désormais « Pour Un Cap Écologiste » (PUCE ou CAP), et se vantait d’être dorénavant « l’hyper motion » regroupant tout ce qui comptait derrière C. Duflot et J.-V. Placé. Elle n’a obtenu que 38% des délégués à Caen ! Défaite due tout autant à son alignement indéfectible sur la politique Ayrault qu’à l’agacement des militants, las de voir cette majorité s’attribuer cyniquement tous les postes, mépriser toute les traditions démocratique du mouvement écologiste, évincer quiconque ne ferait pas génuflexion devant elle.
Les 62 % de votes critiques se répartissaient d’une part en 5 motions clairement « radicales et responsables » : La Motion Participative (où je m’inscrivais) avec 21 % des votes et 4 autres plus petites, et d’autre part la motion « Via Ecologica ». Il ne leur était pourtant pas simple de gagner le congrès ! Elles étaient en effet divisées par des rivalités de personnes voire de ligne politique. Or JV Placé, contrôlant la quasi totalité des postes institutionnels, disposait d’un puissant « carnet de chèques ».
J’ai pu suivre d’assez près les négociations ayant abouti à cet échec lourd de conséquences. La petite cuisine que je vais maintenant décrire pourra sembler inintéressante voire choquante pour les personnes qui ne s’intéressent qu’aux conséquences écologiques et sociales des évènements du microcosme politique. Elles pourront en rester là dans la lecture de ce blog. Je prolongerai pourtant ce billet, d’une part pour contourner la menace d’Alzheimer, d’autre part dans un souci d’information des adhérents non délégués, et enfin parce que les coulisses de congres sont aussi instructives que les pièces de Molière sur la nature humaine.
Voir l’onglet "La Cuisine".
Le groupe des 5 d’abord, dit « DALLO » par l’initial de leurs intitulés, regroupait d’une part LMP et deux autres motions écologistes radicales (« Avenir Écologie » et « Objectif Terre »), qui n’eurent aucun mal à fusionner. Mais deux autres n’étaient en fait que des leurres à contestataires, contrôlées, l’une (« Déterminés ») par un rabatteur habituel de JV Placé et l’autre, « Love », par Stéphane Pocrain, « consultant médias » de C. Duflot. Le représentant de « Déterminé » nous fit comprendre d’emblée qu’il était surtout déterminé à ce que CAP garde la secrétariat national en la personne d’Emmanuelle Cosse.
En revanche la motion Love gardait un capital de sympathie, bénéficiant de l’ombre tutélaire de Eva Joly et de son porte-parole Julien Bayou. Bien sûr on savait bien que le refus de cette tendance de participer d’emblée à la Motion Participative visait à sécuriser des places (seconde place sur la liste francilienne aux européennes pour Eva Joly, porte-parolat pour Julien Bayou). Mais bon, on se disait que la logique des contenus finirait par s’imposer sur la logique des places, et qu’unifier les 42 % de DALLO constituait l’objectif intermédiaire incontournable pour faire changer de cap dans EELV, et par là peser pour faire changer de cap le gouvernement.
La menace était claire dès le départ : la fusion entre CAP et Via Ecologica (17%), qui assurerait une majorité au tandem Duflot-Placé. Via Ecologica est issue de l’ancien courant des partisans de Dany Cohn-Bendit, « Construire », où je m’étais inscrit précédemment, pour bénéficier de la richesse des apports associatifs et politiques qui avaient rejoint Europe Écologie après le succès de 2009. Dès l’été, celles et ceux de ce courant qui, tel Y. Jadot, lorgnaient des places, jugeaient prudent de rallier le courant de JV Placé. Celles et ceux (tels Lucile Schmid et moi ou « les jeunes » de Indépendance Cha Cha ), que catastrophait le cours dramatique (et historiquement tragique) que prenait le gouvernement PS-EELV, concouraient à la création de LMP. Restait un petit noyau que ne réunissait plus que la mémoire d’Europe Écologie, version 2009 (dont Marie Bové, la propre fille de José), cornaqués par un vert historique madré, le sénateur Jean Desessard. Lui avait compris que l’hyper-motion était beaucoup trop pleine de prétendants pour satisfaire tout le monde, et qu’il était prudent de se ménager une motion à part, qui aurait son lot à la proportionnelle.
Problème : alors que (moyennant un peu de bonne volonté de part et d’autre) le rassemblement de ces restes de Construire avec LMP était encore possible en octobre, Jean Desessard joua le tout pour le tout en recrutant le sulfureux Karim Zéribi, personnage intéressant à la carrière politique zig-zagante (ancien footballeur) et aux méthodes, comment dire, « marseillaises ». À grands renforts d’autocars, il s’emparait de EELV à Marseille et se voit déjà, fort de ses bus de mandats, tête de liste aux Municipales de la ville et aux Européennes du grand Sud-Est. Même si CAP ne crache pas sur ces méthodes (notamment à Montpellier), la démesure avec laquelle K. Zéribi la pratique révulse toute la culture écolo. La fusion entre les restes de « Construire » et les mandats de Zéribi, sous le nom de « Via Ecologica » - qui donc a obtenu 17% des délégués, dont un tiers de « vieux Construire » et deux tiers de Zéribi, rend ce courant infréquentable.
Pas pour Jean-Vincent Placé, qui a depuis belle lurette dealé avec Zéribi. Mais pour tous les autres militants de la Provence – Côte d’Azur, si. Or ils sont présents dans toutes les motions. JV Placé a néanmoins, dès le départ, congrès gagné (38 +17 = 55 %)… sur le papier.
Deux stratégies s’offrent donc à LMP : accepter une fusion de toutes les listes, sous la direction de CAP et de JV Placé, avec Emmanuelle Cosse secrétaire nationale, ce qui lui garantirait une (!) place supplémentaire au Bureau exécutif, organisme devenu fantomatique depuis que le parti est dirigé depuis le bureau de la ministre. Ou jouer la carte du « redressement moral » et du changement de cap, préférer la « logique des contenus » à la « logique des postes ». Pour cela il faut souder d’abord les 42 % du DALLO, et miser ensuite sur l’écœurement d’un nombre suffisant de délégués de CAP et de Via Ecologica.
Or c’est possible. D’une part, K. Zéribi veut la tète de liste européenne du Sud-Est, en « dégageant » la très respectée Michèle Rivasi, seule autorité morale de CAP à avoir soutenu dans Le Monde l’appel de Pascal Durand à la veille de la Conférence environnementale, aux cotés des porte-paroles de LMP. D’autre part, les dirigeants de CAP veulent barrer la route à l’investiture de José Bové dans sa région, le grand Sud-Ouest, au profit de Catherine Grèze, qui en 2009 s’était faite élire dans sa foulée, mais a bien travaillé le terrain , tandis que José Bové continuait à courir la planète contre les OGM et autres affaires altermondialistes. Certes José n’est pas adhérent de EELV, mais il est bien défendu par sa fille… de Via Ecologica.
Les délégués arrivent à Caen le vendredi soir et commencent l’épuisant travail de rapprochement des motions. Il faut rendre les projets de motions fusionnées, avec leurs listes pour le Bureau Exécutif, samedi à 13 heurs. Dans la nuit, LMP et les écologistes radicaux fusionnent sans problème : on a déjà ALO ! Le matin, on annonce comme prévu la fusion CAP-Via Ecologica. Les ex-Construire, derrière Marie, viennent annoncer qu’ils voteront pour nous. Michèle Rivasi, bouleversée, et ses amis font part de leur refus de ce bloc Jean-Vincent Placé – Karim Zéribi. On a fait une croix sur Déterminé qui a jeté le masque et rejoint ce bloc. Reste LOVE, qui se fait attendre.
A midi trente, la députée LOVE Isabelle Attard, elle aussi respectée pour son travail de mieux en mieux connu, vient annoncer que son courant vient de voter la fusion avec le regroupement ALO déjà réalisé. Aussitôt, la liste ALLO pour le bureau exécutif est composée, avec en première position la LMP Lucile Schmid, et en seconde position le LOViste Julien Bayou. À 12 h 50 celui ci entre dans la salle attribuée à LMP où se sont rassemblé déjà les délégués des trois motions rassemblées, ALO. Follement acclamé aux cris de « Tous ensemble ! », il s’empare du micro et annonce « Pas du tout ! Nous avons décidé de garder notre autonomie. » Il ressort sous les huées.
L’après-midi commence par le long débat entre les trois motions, CAP+ Zeéribi, ALO et LOVE. Cécile Duflot prononce un discours lunaire, complètement autiste par rapport à la société, à son rejet de la politique de son gouvernement. Elle menace ceux qui ne la suivraient pas perinde ac cadaver : « Il est temps que les écologistes commence à agir. Chaque fois que nous avons paru divisés, nous avons perdu. J’ai fait cette même erreur à mes débuts ». Allusion au temps où, jeune militante, elle nous suivait dans la remise en cause de la trop forte adhérence à Jospin lors du gouvernement de « majorité plurielle » après le tournant de 2000. Elle oublie, et que les Verts ne l’ont pas attendue pour remporter quantité de victoires, extra-parlementaires et parlementaires, justement avec Jospin, et que précisément le ministre de l’époque, Yves Cochet, est désormais dans LMP.
Elle oublie surtout qu’il ne s’agit plus, comme au lendemain de la catastrophe de 2002, de rectifier, après la défaite, les erreurs commises, mais d’éviter, en changeant de cap, les défaites promise jusqu’en 2017. Car le but des oppositions n’est pas de quitter le gouvernement, mais de lui faire changer de cap avant une défaite catastrophique. Il s’agit de ne pas se résigner à l’échec des espoirs de 2012. Et le rejet du budget comme de la contre-réforme des retraites ne sont que des moyens, ô combien symboliques, pour ouvrir enfin le débat de la dernière chance entre le PS et les forces sociales ayant participé au « changement » de 2012.
C. Duflot se fait huer, ce qui était autrefois impensable : normalement, on ne manifeste pas devant les caméras, contre une ministre qu’on est censé soutenir.
Pour ma part j’interviens dans le débat en exhortant chacun à voter en oubliant ses appartenances claniques, mais uniquement en fonction de la responsabilité historique de faire changer de cap ce gouvernement.
On passe au vote. Sur les 600 délégués, 300 votent pour le bloc CAP-Via Ecologica, Mais il y a 11% de bulletin blancs. Curieusement, le reste se distribue selon les calculs résultants du premier tour : 55% pour le bloc, 38 % pour ALO, 9% pour LOVE. Ces résultats recouvrent toutefois des transferts complexes dans le secret des urnes… qui se révèleront plus tard.
Emmanuelle Cosse prononce son discours d’intronisation. Comme prévu, elle tire un bilan critique mais globalement positif du gouvernement Ayrault, encense le travail de la ministre du logement (et de l’inégalité des territoires ! ) et surprise, passe sous silence l’autre ministre, Pascal Canfin, muet pendant tout le congrès. Aussitôt la cervelle des Kremlinologues se met en branle : prochaine tête à tomber ? Mais pourquoi ? Qu’a-t-il dit, qu’a-t-il fait ? Placé veut la place ? Mais alors comment acheter le silence de Canfin ? En lui donnant la tête de liste parisienne aux européennes ? Et alors, Pascal Durand ? Il a docilement signé pour CAP afin d’obtenir cette place, il ne sert plus à rien ? etc. etc.
Ayrault a gagné, il n’y aura plus de contestation officielle venant de EELV. La responsabilité de LOVE et de Déterminés est écrasante, mais après tout ils ne sont pas les seuls responsables. Dimanche, moroses, les membres du conseil fédéral élu la veille s’acheminent vers les urnes, où il faut maintenant élire la très importante Commission électorale de 21 membres (CPE).
Dans le train du retour nous atteindra l’étonnante nouvelle : pour la CPE, où l’on vote selon les motions de premier tour, CAP l’hyper-motion perd encore (avec 32%) près de 4 % des voix, ainsi que Via Ecologica , au profit de toutes les autres motions. Le bloc Placé-Zéribi y est minoritaire, et même ainsi il restera divisé à propos de liste du Grand Sud-Est. On s’en fout un peu, sauf pour nos ami-e-s, Karima Delli (Nord-Ouest), José Bové (Sud Ouest) , Michèle Rivasi (Sud-Est), dont la popularité personnelle reste le principal atout de EELV pour se sauver d’une trop lourde défaite au européennes.
A la sortie, une télé m’interviouve. « Que pensez vous du sondage BVA- Le Parisien-Aujourd’hui, selon lequel Duflot recueille 74 % d’opinion défavorable, la plus impopulaire des écologistes à l’exception de Placé ? – On est moins sévères, elle n’a eu que 63 % contre elle à ce congrès. – Mais alors, puisque son équipe est réélue, il ne vous reste que les manifestations ? Ayrault et Hollande ne cèdent qu’aux manifestations ? – Bof, il cède aux revendications qui l’arrangent : contre la taxe sur la pollution des camions, car il n’a jamais été pour, mais je doute qu’il cède sur la hausse de TVA pour financer le Pacte de Compétitivité… »
En fait, il faut toujours se souvenir que, si Léon Blum a fait ce qu’il a fait, c’est poussé par la grève générale de Juin 1936. Mais là, il semble que ce soit la droite anti-État et productiviste qui a le leadership sur les manifestations de colère. Il va falloir sérieusement réfléchir à la question, et se souvenir des années 30, quand le KPD manifestait avec les nazis contre la République de Weimar gouvernée par les sociaux-démocrates…
Là, je fatigue.