Les législatives et le journalisme à la Nicolino.
par Alain Lipietz

lundi 28 mai 2012

La campagne législative continue. Je fais un déplacement par jour en soutien aux candidatEs EELV, qu’ils ou elles soient « en autonome » ou en commun avec le PS. Je ne le raconte plus que sur mon mur ou sur ma page facebook. Et je constate que, dans la majorité des cas, un dissident PS leur est opposé, ce qui en dit long sur le sens de la parole donnée par ce parti. Mais bon, c’est pas un scoop, on le savait dès le départ.

La presse ne nous aide pas beaucoup, on dirait que la crise écologique est terminée, sans que l’on nous ait annoncé comment. Il faut, pour la suivre, consulter les pages économiques ou la presse spécialisée. La crise alimentaire continue, les prix agricoles flambent toujours sur le marché mondial, la malbouffe étend ses ravages sur dans les classes populaires de l’occident et maintenant des pays émergents. Le prix du pétrole fluctue à des niveaux qui début 2008 paraissaient déments. Les pays industrialisés renoncent un par un au nucléaire, sauf la France et la Chine. On apprend par La Recherche de Juin (entretien avec Cedric Philibert, de l’AIE) que la France a franchi le 8 février son record de consommation électrique (100 giga) et a dû acheter 9 giga à l’Allemagne, qui vient de fermer 8 réacteurs nucléaires. Ce jour-là, le photovoltaïque allemand avait produit 10 giga, rachetés au tarif garanti de 240 euros le mégawattheure par les entreprises électriques allemandes, et revendus 1700 euros sur le marché spot européen ! Mieux vaut en rire.

Un journaliste se réclamant de l’écologie offre d’autres occasions de rigoler (une fois blindé son sens de l’humour). Ce Monsieur Nicolino s’était distingué en plombant le lancement de Politis par un scoop vaseux, puis s’était rappelé à notre bon souvenir par une dénonciation calomnieuse du président de Greenpeace-France. D’habitude, il passe son temps à démolir le monde associatif, mais aujourd’hui il attaque violemment, sur son site, le site de campagne de la candidate écolo Marine Tondelier, opposée à Marine Le Pen à Hénin-Baumont, en ciblant particulièrement une interview de Dominique Voynet et… ma pomme.

On avouera qu’il n’y avait rien de plus urgent. Monsieur Nicolino a commis quelques livres de synthèses intéressants sur divers sujets de la lutte écologiste. Leur crédibilité est dorénavant entachée par la méthodologie dont se réclame ce journaliste (et dont cette affaire donne un aperçu). Mais reconnaissons qu’il sait choisir ses cibles avec précision. Aujourd’hui donc, les soutiens à la campagne de Marine Tondelier, les auteurs de son site, les militants de EELV.

Laissons Dominique répondre, si elle le souhaite. Dans cette chronique amusante, Nicolino me fait la grâce de s’intéresser à ma biographie. Ce qui est amusant, c’est la rage particulière que me voue ce journaleux, encore 10 ans après un lynchage médiatique que je pensais terminé. Deux points motivent sa fureur :

* J’occulterais, dans une notice biographique de quelques lignes, le fait que j’aie appartenu au groupuscule appelé GOP de 1974 à 1975,

* Je mentirais, en prétendant que j’ai été mineur dans les houillères du Nord-Pas de Calais.

Je le confesse : dans la très courte notice autobiographique de mon site, je ne me suis pas étendu sur mon passé lointain. J’aurais dû, dit Nicolino. D’ailleurs, chaque fois que j’en ai la place, je le fais (et gageons que le plumitif ne va pas manquer de me taxer d’auto-complaisance !) et cite avec une fierté nostalgique mon passage par la GOP. Signalons à Nicolino un moyen simple : on tape « Lipietz, GOP » sur Google. Un truc utile, pour un journaliste.

Faites–le. Si, si. Vous trouverez sans doute d’abord ma notice dans Wikipedia, puis un billet de mon blog où je raconte ma relation à André Gorz, puis les multiples articles et entrées de blog où je mentionne mon passage par la GOP etc.

L’article sur Gorz est intéressant car il évoque la filiation italienne (via Gorz ou directement via Il Manifesto et Lotta Continua) à l’origine de la GOP. Notre historien amateur a cependant la prudence de reconnaître que son information, qui fait de la GOP un groupuscule marxiste-léniniste-stalinien (caractérisation bizarroïde, pour qui connaît la GOP) et rapporte de mon passé des « témoignages » étonnants, n’est que de seconde main. Nicolino oublie de rappeler que je suis le théoricien du FLNC, un vieil ami des Farc, un soutien de Ben Laden.

Il lui aurait été facile pourtant de consulter mon site pour connaître mon rapport à Mao (et Staline). Car mes textes et mes évolutions sont publiques, même si je n’ai pas encore eu le temps (ou le narcissisme ?) de tout archiver sur mon site avant de recycler mes vieux papiers. Par exemple : l’article « D’Althusser à Mao ? ».
Ou alors mes articles de l’époque, dans le journal de la GOP, L’outil des travailleurs.

Aucun intérêt, me direz vous. Sans doute, si ce n’est en l’occurrence de mesurer la conscience professionnelle des journalistes à la Nicolino. Elle éclate encore plus spectaculairement dans sa seconde critique. Je cite : « Alain Lipietz est né dans une famille bourgeoise, ce qui n’a rien d’une honte. Mais c’est un fait. Comme il est certain qu’il a intégré l’école Polytechnique, et qu’il est devenu plus tard ingénieur des Ponts et Chaussées, faisant du même coup partie de cette « noblesse d’État » décrite par Pierre Bourdieu. Il n’a donc pas été mineur. Jamais. Nulle part. Dans le cadre de son stage à Polytechnique, Lipietz a passé quelques semaines dans une houillère du Nord. Je ne sais ni ne souhaite savoir ce qu’il aura fait au cours de son séjour. Disons qu’il me paraît vraisemblable que les patrons des Charbonnages n’auront pas envoyé Lipietz au contact vivifiant des veines de houille et des coups de grisou. Disons. »

Voici le journalisme à la Nicolino : « Je n’en sais rien, et ne souhaite pas le savoir, mais disons. » C’est quasiment une thèse méthodologique. Une profession de foi déontologique. Disons. Ah, que voilà une belle maxime journalistique. Disons. Que répondre à cela ?

Il se trouve que c’est pourtant vrai, que j’ai été mineur, mineur de fond, en 3X8, habitant chez des mineurs, que j’ai connu le « contact vivifiant des veines de houille » et du perçage des galeries, que j’y ai perdu une partie de mon ouïe en maniant la foreuse, à défaut de connaître les coups de grisou (non, Monsieur Nicolino, on n’organise pas des coups de grisou pour « vivifier les mineurs », on essaie au contraire de les éviter, comme la silicose, non sans effet pervers, et d’ailleurs j’en ai tiré un texte, que j’ai perdu).

Pourquoi ce choix, alors que j’étais étudiant ingénieur ? Eh bien d’abord, c’était la mode. J’ai aussi, honte à moi, été paysan chez des paysans-travailleurs. Robert Linhart a tiré de son expérience un petit livre magnifique : L’établi. Et pourquoi mineur ? Parce que mon père, comme beaucoup de Polonais, avait été mineur. Vous voulez sa photo ? C’est raconté . D’ailleurs dans mon équipe de mineurs on ne parlait que polonais (plus rarement : chti), langue que mon père ne m’a pas transmise, et le volet propagandiste de mon « établissement » se révéla immédiatement un échec total.

Quand à mon expérience très enrichissante de la mine, c’est raconté dans mon livre L’audace ou l’enlisement (1984) et je n’ai pas souvenir qu’à l’époque cela ait été contesté. Tout simplement parce que ce n’était pas le sujet. Car figurez vous, M. Nicolino, que ce n’est pas en travaillant dans une mine (vers 1967 ou 68, je ne me souviens plus) que j’ai appris ce que je dis dans ce livre de 1984, et maintiens dans l’interview de 2012 pour le site de Marine Tondelier : que la fermeture des mines au long des années 70 s’est faite dans la plus complète indifférence de la part des technocrates qui en décidaient, à l’égard des conséquences psychologiques et sociales pour les mineurs et leurs famille du bassin houiller.

Évidemment, après mon expérience de mineur, j’ai gardé un faible militant pour le destin de ce métier, et je suis fréquemment retourné dans la région qui m’avait accueillie, comme on sait maintenant que savent accueillir les chtis. Dans L’outil, j’ai organisé la popularisation en France de la grande lutte des mineurs anglais.

Et pourtant, dans les années 80, j’ai approuvé la fermeture des mines de charbon. Seulement, moi, je suis allé « au front », discuter avec les mineurs sur les possibilités d’une reconversion dans la dignité.

Et je pense que c’est cela qui a manqué. Et qui, autant que la corruption de certains élus PS, explique le succès du Front National. Et que seule une politique écologiste, fondée sur le « sens de la mise valeur du domaine » (étymologie du mot éco-logie) peut refonder l’espérance dans les bassins industriels en déshérence. Et je souhaite le meilleur succès à Marine Tondelier.



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