Défiances europe-écologistes : Val-de-Marne, vote Internet…
par Alain Lipietz

mardi 21 juin 2011

Dés mon retour du Paraguay, je me retrouve plongé dans les inquiétudes vertes... L’affrontement au Congrès, maintenant renouvelé par la primaire présidentielle, suscite des réactions d’autoritarisme et, en face, de défiance.

Au lendemain même de mon retour, mardi 14, a lieu le congrès d’Europe-Ecologie Val-de-Marne. J’étais parti avec l’idée qu’un accord était plus ou moins acquis pour présenter une liste consensuelle pour le bureau départemental, reflétant les équilibres tels que constatés au niveau de l’Ile de France. J’ai appris au Paraguay que cet accord avait été rompu et qu’il avait fallu présenter en une demi-journée une liste regroupant en gros les courants "Construire", "Envie" et des hors-courants. À mon retour, on m’explique avec ménagement qu’en fait la rupture a eu lieu sur le refus, par Marianne (récente europécologiste venue du PS, et présentée par le courant majoritaire comme candidate au secrétariat départemental du Val-de-Marne) de m’accepter au sein du bureau...

Mardi soir, avant le Congrès, j’ai donc avec elle une explication de gravure. « Tu fais des voyages au Paraguay, m’explique t-elle : ta place n’est donc pas à la direction du Val-de-Marne. »

Argument qui me paraît passablement lunaire. J’ai d’ailleurs pu vérifier auprès du second de sa liste (Jacques, conseiller général et régional, ex-communiste) que le veto de Marianne sur ma présence n’est absolument pas partagé ni même connu dans son courant. Il me trouble toutefois profondément, car il soulève toute la question de ma « fin de vie politique ».

J’ai plus de 60 ans. Je me suis battu pour la retraite à 60 ans. J’ai donc arrêté toutes mes activités et ne postule plus à un emploi salarié, même d’élu. Ce n’est pas un refus des responsabilités : à la demande pressante des copains des Yvelines, j’avais accepté par exemple en 2009 d’être candidat à la législative partielle de Poissy. Mais il est clair que ma stratégie est bien de diminuer progressivement mes activités politiques pour "faire place aux jeunes", tout en conservant quand même une activité de conférencier et de propagandiste, comme l’a fait René Dumont jusqu’à la fin de ses jours. Par exemple, pour septembre, je prépare mes "guest lectures" (conférences de l’invité) pour l’anniversaire d’un département de la London School of Economics, pour le congrès de l’Association d’économie évolutionniste japonaise, etc.

Si cette activité professionnelle résiduelle m’interdit d’apporter mon expérience militante, même au niveau d’un simple bureau départemental... il ne me reste plus qu’à distribuer des tracts et à finir mon livre sur Mallarmé. Pourquoi pas ? Et peut-être donner une suite romanesque aux Fantômes de l’Internet que je présente vendredi à la Fnac…

Le Congrès du Val-de-Marne accorde à notre liste un peu moins de la moitié des voix, et je suis élu. En réalité, selon mes amis, l’attitude de Marianne reflétait plutôt une consigne d’élimination venue de plus haut... La première réunion du bureau confirmera cette impression. Alors que nous lui proposons un poste de secrétaire départementale (elle) flanqué d’un secrétaire adjoint de notre courant, afin de représenter la totalité des écologistes départementaux, elle exige, « comme la secrétaire nationale », qu’il n’y ait qu’une seule tête pour représenter les écologistes face aux autres partis. Elle est majoritaire et nous devons bien l’accepter. N’empêche que cela ne me paraît pas très malin. D’autant que la répartition de tous les autres postes se passe très bien : il y a un réel désir de travailler tous ensemble dès lors que l’on raisonne en termes de fonctions/envies/compétences.

La pénétration chez les écologistes de cette culture du « fait majoritaire » donnant plein pouvoir à une direction sur ceux qui souhaiteraient du collectif me semble dangereuse. Elle entraîne par contrecoup une véritable paranoïa de défiance.

Le couple autoritarisme/défiance fait des ravages par exemple dans l’organisation du vote pour les primaires, en particulier la possibilité de voter par Internet. Une pétition circule contre cette possibilité. Vous trouverez sur le forum d’un billet précédent un débat sur la question.

Sur le fond :

1) Tout au long de mon activité de chercheur, j’ai plaidé que "la technique n’est pas neutre". Elle incorpore des rapports sociaux. Mais il faut préciser le sens de la causalité. Dans le droit fil de la remise en cause du « marxisme vulgaire », au long des années 60-70, j’ai critiqué l’idée que le mouvement autonome des forces productives induisait de nouveaux rapports sociaux ("à la houe correspond l’esclavagisme, au moulin le féodalisme, au moteur à vapeur le capitalisme"). C’est le contraire : les rapports sociaux induisent une évolution des techniques dans un sens conforme aux intérêts dominants. Ainsi le « fordisme » (taylorisme + chaînes de montage) traduit la volonté de contrôle du capital sur le savoir-faire et l’intensité du travail ouvrier.

Se poser des questions sur les techniques de vote implique de se demander d’abord, non pas si cette technique induit la possibilité de fraude ou la méfiance à l’égard de cette possibilité, mais si la méfiance ou la confiance induisent à choisir une technique de vote particulière.

2) Dans le cas des techniques de vote, nous sommes en plein dans le rapport social confiance/défiance. C’est la crainte de l’autoritarisme, voire de la fraude, qui induit à se méfier des organisateurs et à renforcer la capacité de contrôle et l’anonymat d’une technique de vote. De ce point de vue, il y a une grande différence entre les élections "externes" (telles les législatives) et les élections "internes" à une association et un parti.

Dans le cas des élections "externes", les citoyens doivent présupposer que le pouvoir corrompt, le pouvoir absolu corrompt absolument. Il est donc essentiel qu’un vote dans les élections externes garantisse à la fois l’anonymat et la possibilité de contrôle démocratique.

En revanche, dans les élections internes à une association ou un parti politique, on présuppose que les dirigeants sont plutôt des "amis". La commodité du vote doit alors prévaloir. Si la confiance en la direction disparaît, si la peur d’assumer publiquement son opposition se développe du fait de son autoritarisme, c’est alors qu’apparaît la défiance envers l’organisation des votes, et non pas à cause de l’apparition d’une nouvelle technologie.

Typiquement, les deux scandales les plus récents en la matière ont eu lieu avec la technique du "vote papier". Il s’agit de la fraude présumée de l’ancienne direction d’ATTAC (par bourrage des urnes) et de la fraude présumée pour le choix de la secrétaire nationale du PS (mandats de complaisance présumé chez les partisans d’Aubry ou de Royal). Chez les Verts, lors des précédentes primaires, la tension était telle entre partisans de Voynet et de Cochet qu’on allait jusqu’à discuter la forme des croix sur les bulletins ! Un problème qui ne risque pas de se poser dans le vote par Internet.

3) Quel est alors le problème du vote par Internet ? Comme l’ont montré les spécialistes de l’informatique, en l’état actuel de l’art, on peut contrôler le logiciel, on peut contrôler les votes (nombre de clics, et le fait que chaque clic vient d’un identifiant distinct), mais le contrôle brise, du moins pour les contrôleurs, l’anonymat du vote (à mon avis ce problème peut à terme être résolu). Cette limite rend le vote par Internet inacceptable dans une élection externe.

Mais on peut se demander si cette objection est valable pour une élection interne. En réalité, le soupçon de fraude de la part de la direction d’Europe-Ecologie implique qu’elle soit de mèche avec la société de vote électronique, Extelia, jusqu’à une manipulation au niveau des codes source du programme ! Extelia est une société informatique du groupe La Poste, qui a pour client de nombreuses entreprises pour les élections internes, mais aussi Hadopi, ce qui n’arrange pas la parano. On peut supposer que ses programmes présentent normalement la même garantie d’objectivité qu’une quelconque boite d’instruments de mesure et peuvent être validés de la même manière qu’une balance électronique..

Très franchement, il m’est arrivé de critiquer la direction actuelle d’Europe Ecologie pour oligarchisme. Je n’ai jamais soupçonné de fraude Cécile, Jean-Vincent, Alexis ou Stéphane, et je n’ai aucune raison de penser qu’ils pourraient obtenir la complicité d’Extelia (contre quel avantage pour Extelia ??). La critique lancée contre le vote par Internet me semble purement et simplement un cas classique de « bordélisation », comme les écologistes en ont longtemps connu.

J’ai donc voté Eva par Internet en toute tranquillité. J’ai dis pourquoi publiquement sans crainte d’être tricard. Et son concurrent, Nicolas Hulot, sait pouvoir compter sur mon aide s’il est désigné, comme je sais pouvoir compter sur son aide à Eva Joly si c’est elle qui est désignée.

En réalité, les seules critiques que l’on peut formuler contre ce vote, c’est une extension incontrôlé du champ électoral, un « bourrage des inscrits »… mais c’est le charme de « l’ouverture » !

Heureusement ces petits soucis "domestiques" n’occupent qu’une faible fraction de mon temps militant. Très vite, je retourne à mon activité externe : des émissions de radio (comme ici sur RFI à propos de la sortie du nucléaire, ou comme là sur Judaïque FM à propos du projet écologiste de la primaire, de la Syrie, du conflit israélo-palestinien). Et puis… mais je raconterai dans mon prochain billet !



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