Ma retraite, hélas, est déjà complètement bouffée par notre succès. Interviews, débats, conférences (dont un colloque chez les Verts turcs sur le « Green Deal ») se succèdent sans même me laisser le temps de déménager de Bruxelles… où les nouveaux Verts s’installent déjà.
Mais je commence à prendre du champ par rapport à une activité politique « professionnelle » régulière. Je ne sais si je vais continuer ce blog sous cette forme (« Alain Lipietz raconte ») . Il y aura de moins en moins à raconter, plutôt à commenter. Et de moins en moins de politique : la semaine dernière j’organisais mon premier « séminaire littéraire », si l’on veut, à la mémoire de Francine. Du coup j’ai raté la rentrée du groupe Verts-ALE, mais j’ai suivi quelques autres séances.
Et puis il y a eu la fraude massive en Iran. Occasion surtout d’une méditation sur la défense de la démocratie. Et puis il faut analyser plus à fond les causes et conséquences de notre grand succès du 7 juin. Bref je suis de plus en plus un ordinaire blogueur-commentateur.
Avec la réunion pour Francine, j’ai raté le jour de rentrée du groupe Verts-ALE à Bruxelles et ne suis arrivé que le lendemain. Paraît que ce fut fort émouvant, en particulier pour Dany.
Le lendemain les petits ennuis commençaient : crise de croissance ! Les Verts wallons, Ecolo, qui ont fait un excellent résultat (20%), étaient réticents à accueillir dans le groupe l’élu de VNA, reste des Flamands de Volksuni, qui pourtant étaient dans le sous-groupe régionaliste ALE il y a 5 ans. En contrepartie, on perd le représentant de la minorité hongroise de Roumanie qui va à au PPE. Bon débarras, oserais-je dire. Les deux élus verts suédois ont des réticences à accepter l’élu du Parti de Pirates (du net). L’unique élu grec explique tristement que, dès que les Verts se sont retrouvés troisième parti dans les sondages, ils ont dû subir une campagne de presse ultra-nationaliste parce qu’ils sont trop coulants sur le nom de la FYROM (« Ancienne république yougoslave de Macédoine »).
Bref, le groupe compte actuellement 48 verts (dont tous les élus de France sauf le Corse François Afonsi) et 7 élus régionalistes ALE (dont François). On attend la ratification du Lisbonne (qui, en donnant deux députés de plus à la France, devrait faire élire François Dufour), et plus si affinités…
Le plus étrange et instructif pour moi fut la réunion de la délégation française, qui m’a enseigné qu’on pouvait avoir deux visions opposées sur la même campagne. La seconde de la liste de l’Ouest a déclaré avoir trouvé la campagne très mauvaise et démobilisatrice, parce que trop centralisée, alors que j’avais été quatre fois en Bretagne à l’appel direct de groupes locaux, des lycéens de Carhaix affrétant carrément un car pour venir m’écouter à Brest sans demander l’autorisation de personne ! Je dois donc mettre un bémol sur mes appréciations enthousiastes.
Le groupe s’est mis tout de suite au travail, avec le soutien au peuple iranien spolié de son choix présidentiel.
Il reçoit Marjane Satrapi puis Shirin Ebadi, qui dénonce la répression, les lois anti-femmes, etc mais cherche à maintenir un front de résistance le plus large possible en n’attaquant pas de front le caractère islamique de la république iranienne.
Cette fraude massive en Iran, véritable tournant qui transforme la République islamique en dictature islamique, me rend malade. J’imagine le désespoir du peuple bafoué, et dont les manifestations sont peu à peu étouffées par la répression, les arrestations conduisant droit aux chambres de torture. Les images du Chili me reviennent…
Et je lis avec horreur les premières réactions d’une partie de la gauche française, celle des sites de L’Humanité et de Marianne (qui rectifieront par la suite). Marianne se surpasse : « Bal tragique à Téhéran : un mort, Libération ». A cette heure-là, le fonctionnaire qui a dénoncé la fraude est déjà mort en prison, après avoir cherché à se jeter par la fenêtre du 9è étage quand ils sont venus l’arrêter…
Oui, L’Huma et Marianne n’ont pas tardé à « rectifier » et c’est bien. Il est rare de voir la presse présenter ses excuses. Mais ce que révèle leur première réaction est terrible. Les journalistes occidentaux, gavés de droit-de-l’hommisme impérialiste, n’auraient pas compris, selon eux, que le populiste anti-sémite et négationniste Amadinejad représente authentiquement la majorité des déshérités. Comme Hitler en 1932, en quelque sorte…
Cette reprise du vieil anti-parlementarisme populiste par une partie des clercs de France est une vraie lame de fond qui monte depuis le referendum de 2005.
En témoigne encore l’apothéose accordée à Alain Badiou dans Politis cette semaine. Badiou en profite pour baver sur la démocratie représentative : un système par lequel les dominants pourraient perdre leur pouvoir par un simple vote ne peut être qu’une tromperie pour les masses ! Et d’enchaîner sur son épouvantable refrain : le vrai nom de Sarkozy, c’est le pétainisme. Pour moi, le pétainisme, c’est d’abord l’anti-sémitisme français arrivé enfin au pouvoir et participant activement à la Shoah. Sarkozy, selon Badiou, serait-il prêt à persécuter les juifs, ou bien l’antisémitisme de la Révolution Nationale pétainiste n’était-il à ses yeux qu’un détail de la seconde guerre mondiale ?
Entendons-nous bien. Alain Badiou n’est probablement pas un anti-sémite. Mais il ne peut ignorer que son discours anti-parlementariste reprend mot pour mot l’argumentaire du Dialogue aux Enfers de Montesquieu et Machiavel de Maurice Joly, qu’en changeant quelques mots les officines tsaristes transformèrent en Protocole des Sages de Sion.
Le procédé est d’autant plus choquant que Badiou critique aussi la position des Verts, du Front de Gauche et du NPA (combinaison des luttes de terrain et de la lutte politique dans les institutions de la démocratie représentative…) et se refuse à donner « sa » solution alternative ! Sans doute espère-t-il faire croître peu à peu son « Groupe pour la fondation de l’Union des Communistes marxistes-lénisistes de France » devenu « L’Organisation Politique » (tout est dans le « L’ ») ?
Même impression lors du congrès de l’Union des Etudiants Juifs de France, où j’ai l’honneur d’être invité pour parler de « l’engagement écologiste ». Quand j’aurai le temps, je vous retranscrirai mon discours introductif. En même temps que moi, l’UEJF a invité Francis Lalanne, qui anime, avec Antoine Waechter, la « ni-doite-ni-gauche » Alliance des Écologistes Indépendants.
Francis Lalanne (dont je partage l’engagement anti-Hadopi) se lance dans une histoire assez étonnante sur l’intelligence quasi-humaine du vélociraptor, d’où ressortent essentiellement des injures contre les eurodéputés tels que ceux d’EE : « choisis par leurs partis », « maffieux », « corrompus ». J’avertis la présidente de séance que je vais devoir me retirer. La salle avec un humour bon enfant demande à Francis Lalanne de prendre sa guitare et de nous chanter quelque chose avant de s’en aller, ce qu’il fait avec bonne grâce. Ouf. Mais il me faut par la suite faire tout un petit cours sur les sacrifices de la lente conquête du droit de vote, jusqu’au martyre des électeurs iraniens, qu’il doit y avoir autant de mafieux et de pourris dans une assemblée élue que dans le corps électoral, que les députés qui travaillent 70 heures par semaine ne volent pas leurs indemnités de fonction, etc…
Je ne dis pas que le réformisme radical des Verts conduira aux lendemains qui chantent ; mais au moins, on aura essayé… Et c’est de cela sans doute que nous auront crédité principalement les électrices et électeurs d’Europe Ecologie. Ce que j’analyse dans un article à part, que vous pouvez lire ici.