Voilà, c’est fini : jeudi, le Parlement européen élu en 2004 a terminé son mandat ! Je ne suis plus député européen, il va falloir m’y faire...
Cette dernière session fut un feu d’artifice de votes, certains législatifs et décisifs, d’autres décevants, d’autres intéressants pour la prochaine mandature. Nous avons ainsi rivé le clou à la loi Hadopi, balayé la tentative de la Commission de retirer toute protection sociale sur les routiers indépendants, sauvé les phoques, mais aussi subi quelques défaites.
Pendant qu’en France, Sarkozy et Albanel s’évertuent à faire voter la loi Hadopi contre les « pirates du net » (ceux qui transfèrent de la musique ou des films), les eurodéputés français et leurs alliés européens s’échinent à torpiller cette tentative. C’est une véritable course de vitesse !
Comme je l’ai expliqué la semaine dernière, le rapport Trautmann sur l’une des directives du « Paquet telecom », où l’UMP avait tenté d’instiller des amendements pro-Hadopi, venait en seconde lecture. En première lecture, nous avions fait passer le fameux amendement Cohn-Bendit – Bono n° 138, qui condamnait à l’avance la loi Hadopi au nom de la Charte européenne des droits fondamentaux (la 2e partie du TCE et du traité de Lisbonne). Mais il n’avait pas été repris par le Conseil européen en 1ere lecture.
Pour aller plus vite, un trilogue (c’est-à-dire une navette d’entre-deux-lectures, entre le Parlement, le Conseil européen et la Commission) avait trouvé un texte de compromis, qui m’avait paru avantageux. D’abord, il était en article 1, c’est-à-dire portant sur toute la directive. Ensuite pour gagner en Conseil les voix des pays eurosceptiques (Grande-Bretagne, Pologne et Tchéquie), il ne faisait plus référence à la Charte européenne des droits fondamentaux (qui n’est effectivement pas encore ratifiée et ne le sera qu’à travers le traité de Lisbonne), mais à la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme, et plus précisément à son article 6. Cet article 6 est beaucoup plus précis que l’amendement Cohn-Bendit – Bono, puisqu’il stipule qu’un accusé est présumé innocent jusqu’à son jugement par un tribunal indépendant, que le jugement par ce tribunal doit être public, avec avocat, etc.
Mais, chez les internautes français mobilisés contre Hadopi, on ne l’entend pas ainsi. En effet, le texte de l’amendement 138 contenait le mot « prior », c’est à dire qu’on ne pouvait pas couper l’accès à Internet, « avant » jugement, aux internautes accusés de piratage. Certes, le contenu de l’article 6 le précisait aussi, mais, selon eux, il aurait fallu un procès supplémentaire pour que cela soit reconnu. À mon humble avis, c’était négliger le fait que l’amendement 138 lui-même n’était pas encore adopté, et ne le sera que quand il sera voté par la majorité du Conseil. Et donc, tant que Lisbonne n’est pas ratifié, mieux vaut en passer par une référence à l’article 6 de la Convention européenne des Droits de l’homme qui, elle, est ratifiée par tous les pays européens depuis 1950. Avec l’adoption de l’amendement de compromis, les carottes étaient cuites dès le vote du PE en seconde lecture, mercredi.
Le week-end dernier, tandis que je manifeste le 1er mai avec le mouvement anti-Hadopi, j’essaie d’en convaincre les animateurs du débat français, et à à Bruxelles les Verts, pour plus de sûreté, essaient d’obtenir de Catherine Trautmann qu’on puisse voter les deux amendements de manière non contradictoire. Malheureusement, Catherine Trautmann, pour des raisons qui lui sont propres, fait établir une feuille de vote selon laquelle le vote de l’amendement de compromis implique que le 138 est caduque. Fureur des Verts.
À Strasbourg, en réunion de groupe le mardi, les Verts décident de re-poser en amendement (à l’article 8 §4, tiret h) l’amendement 138 Cohn-Bendit – Bono, et menacent Catherine Trautmann de voter contre le texte de compromis si un vote positif interdit le vote sur le 138. Et le jour du vote, face au manque de souplesse de Catherine Trautmann, les libéraux-démocrates se rallient à la stratégie des Verts.
En séance, les Verts demandent que l’amendement Cohn-Bendit-Bono soit voté en premier. Souverainement, la présidente de séance, la libérale-démocrate Diana Wallis, décide de leur faire droit. Catherine Trautmann comprend alors que c’est son amendement qui risque d’être battu. Paniquée, elle demande que les deux amendements soient considérés comme non contradictoires entre eux. Diana Wallis, pour des raisons qui lui sont également propres, ne l’écoute pas. Le 138 est adopté à une majorité écrasante (407 contre 57, les socialistes s’abstenant pour la plupart) !!
Psychologiquement, c’est une énorme baffe pour Sarkozy – Albanel : en deuxième lecture, le Parlement insiste pour condamner explicitement leur loi Hadopi ! Juridiquement, c’est une autre affaire : le Parlement vient d’adopter en deuxième lecture le rapport Trautmann sous une forme pour le moment invotable par les pays eurosceptiques, et il faudra donc une navette (dite « conciliation ») et un vote en troisième lecture... par le prochain Parlement, c’est à dire en fin d’année.
À moins que le traité de Lisbonne soit ratifié d’ici là, ce qui ferait tomber les objections des pays eurosceptiques. Ce n’est pas impossible : le Sénat tchèque vient de ratifier le traité de Lisbonne, on n’attend plus que les signatures des redoutables présidents ultra-réactionnaires tchèque et polonais. Et bien sûr, un nouveau référendum irlandais.
Dans ce jeu de go, ma petite nouvelle Le fantome d’internet va finir par devenir crédible (au moins son contexte...).
En tout cas, et sous quelque forme que ce soit, le Parlement vient d’affirmer que l’accès à Internet fait partie des libertés fondamentales. Ce qui n’était certainement pas évident au moment où la Charte des droits fondamentaux, et encore moins la Charte européenne des Droits de l’Homme, avaient été rédigées !! La technique va plus vite que les Droits de l’Homme…
Cette affaire illustre l’importance de la pression de la société civile sur le Parlement européen, pression qui ne s’exerce pas sur le Conseil. Le Parlement européen apparaît ainsi comme le garant du caractère démocratique de l’Europe.
Mais attention ! La démocratie représentative la plus parfaite ne peut que représenter l’opinion des citoyens et leur niveau de mobilisation. Or les citoyens européens ne sont pas forcément, dans leur majorité, ni écologistes ni progressistes.
Il est effrayant de voir comment le débat européen, qui s’était déchaîné en France à propos du traité constitutionnel (c’est-à-dire le traité fixant « comment » on prend les décisions) est quasiment atone à un mois de l’élection du futur Parlement, c’est-à-dire du vote sur « qui » va prendre les décisions. À quoi servirait un Parlement tout-puissant si sa majorité est de droite et anti-écolo ?
C’est à peu près le cas actuellement, les sociaux-démocrates votant la plupart du temps avec la droite, quand ils sont ligotés par les compromis que doivent passer leurs partis nationaux participant à des gouvernements (en Grande-Bretagne, en Allemagne, en Espagne...)
Dans ces conditions, ce n’est alors que la pression populaire et le lobbyisme qui peuvent obliger les députés à bien voter. On en a toute une série d’illustrations cette semaine.
D’abord le projet de directive sur le temps de travail des routiers. Pour les routiers salariés, les règles de temps de travail proposées par la Commission sont meilleures que celles qui prévalaient jusqu’ici, mais encore nettement trop lourdes. Et la Commission proposait en plus de n’offrir aux routiers indépendants aucune règle en matière de temps de travail ! Or, chacun sait que les routiers indépendants sont souvent d’anciens routiers salariés, rendus formellement indépendants par leurs anciens employeurs, mais dépendants complètement d’eux pour décrocher des contrats. Le dumping social ainsi organisé ne pouvait que déstabiliser l’ensemble des routiers, avec les énormes risques sur les routes que cela entraînerait. La gauche avait donc posé un amendement d’irrecevabilité de cette proposition de directive. À la stupéfaction générale, il est nettement adopté (332 voix contre 307) ! En envoyant la directive au panier, le Parlement européen vient donc de prendre une importante décision sociale, mais c’est parce que les conséquence pour tous les citoyens en sont parfaitement évidentes.
De la même façon, le Parlement vote une excellente directive interdisant le commerce des produits dérivés des phoques.
Cette directive est le résultat du droit d’initiative législative du Parlement. Il faut dire que les députés ont été bombardés par une cyber-campagne particulièrement intense et internationale, bien plus intense que toutes celles que j’ai connues, y compris sur la Bolkestein ou sur le temps de travail…
À l’inverse, beaucoup de rapports et surtout d’amendements tout à fait défavorables sont adoptés, à propos du paquet de directives Telecom par exemple (le rapport Harbour), ou sur les règles de protection des animaux dans l’expérimentation scientifique. Pas de campagne citoyenne = mauvais vote des députés !
Un détail : le traité de Lisbonne, comme le TCE, propose une formule d’initiative législative citoyenne exigeant au moins un million de signatures. On se demandait si c’était facile. Réponse : la pétition Phoques n’a obtenu que 250 000 signatures.
À noter à ce sujet une série de votes de rapports d’initiative très intéressants sur les conséquences concrètes de l’éventuelle ratification du traité de Lisbonne
Pour finir, un mot sur une dernière vilenie des socialistes, qui teinte cette dernière session d’une touche sombre, pratiquement au dernier vote de la mandature : le rapport Obiols sur la situation des Droits de l’Homme.
J’aime beaucoup Raimon Obiols, socialiste catalan, un des rares philosophes du Parlement, à la conversation extrêmement agréable. Son rapport est globalement bon, et les Verts l’appuient.
Mais au dernier moment, le redoutable « vice-roi des Indes occidentales », Ignacio Salafranca, président d’Eurolat qui passe son temps en Amérique latine pour y assurer la jonction entre les demandes des conservateurs latino-américains et les votes des Européens, a instillé un amendement demandant l’inscription du MRTA (Mouvement Révolutionnaire Tupac Amaru) dans la liste européenne des « groupes terroristes ». Ce groupe a cessé d’émettre depuis les années 90 au Pérou. Si personne ne doute qu’il y ait encore des guérilleros du Sentier lumineux vaguement actifs dans la Sierra péruvienne, plus personne ne croit à un MRTA encore organisé. Alors, à quoi sert cet amendement ? À deux choses.
D’abord, faire reconnaître rétrospectivement le MRTA comme un groupe terroriste plutôt que comme une force combattante permet d’exonérer plus facilement les responsables de la « sale guerre » contre le Sentier lumineux et le MRTA dans les années 80-90, c’est à dire les leaders des trois principaux groupes parlementaires péruviens, les présidents et ex-présidents Alan Garcia et Fujimori, ainsi que Ollanta Humala, soupçonné d’avoir été un officier particulièrement redoutable pendant la « sale guerre ». Or, des procès pour crimes de guerre sont en cours contre des responsables de la « sale guerre ».
Deuxièmement, les petits groupes paramilitaires et les officiels qui menacent les militants des Droits de l’Homme accusent particulièrement le président de l’APRODEH, notre ami Pancho Soberon, d’être le détenteur du « trésor » du MRTA. Des vidéos infâmes tournent sur le net, appelant presque ouvertement à son assassinat. Je suis intervenu plusieurs fois auprès du président Alan Garcia pour obtenir une protection pour Soberon.
Nous avisons donc Obiols qu’il ne faut surtout pas laisser passer l’amendement Salafranca. Il nous affirme que le PSE s’y opposera. Bien entendu, les communistes et les libéraux-démocrates en font autant. Pas de problème.
On passe au vote, et là, horreur : seuls les Verts, la GUE et les libéraux-démocrates votent contre. Le PS s’abstient. La droite impose l’amendement Salafranca…
Ce mauvais coup du PSE vient certainement des pressions des Espagnols qui cherchent à garder de bons rapports avec tous les gouvernements latino-américains, quels qu’ils soient. On murmure que l’ambassadeur d’Alan Garcia et Ignacio Salafranca sont intervenus dans ce but auprès du Haut-représentant à la défense et à la sécurité collective, le socialiste espagnol Javier Solana.
Dans les rangs, les Verts sont horrifiés : la droite et les socialistes viennent quasiment de voter un feu vert à l’assassinat de Pancho Soberon. On décide de voter quand même le rapport Obiols qui contient plein de choses positives, mais moi, en tant que président de la délégation pour la Communauté andine, je vote contre, et me fends d’un communiqué écoeuré.
À part ça, la campagne Europe Écologie continue, de plus en plus joyeuse. Jeudi soir, je fais ma première intervention « hors France » à Fribourg-en-Brisgau->art2412]. Vendredi, je rallie Grenoble où a lieu le samedi matin un débat sur la démocratie organisé par La République des idées. J’interviens à la table ronde sur les biens communs, reprenant les thèmes de mon intervention au FSM de Bélem. Lors du débat, une personne dans la salle ironise contre le « Parlement croupion ». Agacé, je lui cite tous les cas où, en co-décision, de bonnes ou de mauvaises décisions législatives ont été prises par le Parlement européen, je cite les partis qui ont voté contre la défense des biens communs, et j’appelle l’assistance à prendre ses responsabilités le 7 juin : ils ne pourront pas dire qu’il ne « savaient pas » ou s’en fichaient.
Mes articles sur la crise, le « Green Deal » et la nécessité pour cela d’une Europe fédérale continuent de paraître à jet continu. Mon livre commence sa carrière.
Et samedi soir, débat à Pierrefitte, hyper-sympa. Avec le groupe Vert on finit la soirée dans un restaurant karaoké, et on chante…
Je dois dire que c’est la campagne la plus gaie que j’ai jamais vécue. L’afflux aux débats, même dans les banlieues les moins favorables, l’implication tout à fait étonnante des militants (Verts ou associatifs), tout cela augure très bien du résultat. Un premier sondage CSA sur la seule Ile de France nous donne à 15%, 3 points devant le Modem et 3 points derrière les socialistes. Allons, encore un effort et nous serons le premier vote progressiste !
PS. On a profité du séjour à Strasbourg pour participer au « plus grand Lipdub d’Europe », celui d’Europe Écologie. À ne pas manquer, surtout si vous ne savez pas ce que c’est qu’un Lipdub. Cliquez là.