Pénible semaine européenne.
par Alain Lipietz

vendredi 9 novembre 2007

Semaine de groupe à Bruxelles, donc surtout des discussions, mais aujourd’hui Bruxelles est la capitale disputée d’un pays de l’Union au bord de l’éclatement. Paradoxalement, je m’occupe surtout… des débats intérieurs français sur le TME, et de la préparation de mon voyage en Équateur, en liaison avec les négociations de partenariat UE-Communauté andine. Enfin, la préparation d’une initiative sur la Justice transitionnelle, le 6 décembre à Paris, s’accélère.

TME

Lundi, réunion à Paris avec le Collège exécutif des Verts français. Est également présente la sénatrice Dominique Voynet. Aucun député Vert de l’Assemblée nationale n’est venu. J’expose notre analyse du traité modificatif et les positions que les eurodéputés Verts français préconisent. Dominique Voynet intervient pour préciser qu’à son sens, les Verts doivent prendre une position, et qu’une abstention de commodité, prenant pour prétexte les formes de la ratification, sans dire notre position sur le fond, serait ridicule et inacceptable de la part d’un parti politique. Je suis totalement d’accord.

Reste que l’étape actuelle est celle du processus de ratification. Les Verts européens soutiennent l’idée d’un référendum européen. J’insiste que je pense cette position importante, qu’un référendum européen, en tout état de cause, serait une nouveauté redonnant un peu de chair à la réforme de l’Union européenne ; qu’en revanche, repartir vers un référendum national français serait un piège de la part de Sarkozy, divisant à nouveau la gauche en période de municipales.

Cécile Duflot, secrétaire nationale des Verts, a été invitée par Nicolas Sarkozy à donner notre avis, et c’est pour cela que le CE nous réunit. La secrétaire nationale, qui avait refusé, quelques semaines auparavant, de discuter sur le fond du Grenelle de l’Environnement avec le Ministre du développement soutenable, dans le cadre pourtant d’une invitation des parlementaires Verts eux-mêmes, semble avoir accepté cette fois de se rendre à l’invitation du Président. Elle admet à présent que les Verts, en tant que force politique, sont un interlocuteur légitime du pouvoir : c’est bien.

Cette histoire d’abstention, argumentée par la forme (parlementaire plutôt que référendaire) de la ratification, me paraît complètement absurde. Il y a une dizaine de jours, c’était la position du PS. Cette semaine, cela semblait devoir être la position des députés verts à l’Assemblée nationale ! J’avoue que je suis sidéré : un parti politique, surtout écologiste (car « la pollution n’a pas de frontières »), doit avoir une position sur une question qui intéresse 500 millions de terriens, et au-delà ! Le processus de ratification peut faire l’objet d’une bataille intéressante (d’où celle du Parti Vert européen pour un référendum européen), mais c’est une question différente de la question de fond : notre réponse, notre avis sur le TME. Ne mélangeons pas, ne nous cachons pas derrière la seconde question pour nous taire sur la première.

Je me réjouis que cette semaine, le parti socialiste ait changé de position en se ralliant majoritairement au Oui. Ce ralliement a été permis par le déblocage d’une partie des ex-nonistes expliqué dans un article de Libération.

Cet article de Vincent Peillon et de ses camarades mélange une certaine dose de dénégation, et un argument imparable. La dénégation (hypocrisie ou myopie ?), c’est que la partie III du TCE aurait disparu ! Pas du tout : la partie III devient au contraire un traité spécial, dit « Traité de fonctionnement ». Vous pouvez le lire ici. Il est vrai que cette mise à part répond en partie à une demande des Verts pendant la campagne des européenne de 2004 : faire de la troisième partie un texte séparé, puisque de toutes façons, elle ne fait que reprendre pour l’essentiel des dispositions anciennes, et qui subsisteraient que l’on vote Oui ou Non, au TME comme au TCE. Mais elle ne reprend pas notre seconde proposition, tout aussi importante : que cette troisième partie, devenue traité de fonctionnement, soit plus facile à amender que le traité authentiquement constitutionnel (le traité de l’Union, qui reprend en gros les parties I et IV du TCE) : selon une règle de majorité sans doute surqualifiée par rapport à la majorité nécessaire pour voter les lois. Enfin, c’est quand même un progrès de principe.

Beaucoup plus juste est le second argument de Vincent Peillon et de ses camarades : les nonistes, en bloquant le TCE en 2005, pensaient pouvoir forcer une renégociation, et pensaient que cette renégociation aurait lieu avec une présidence française socialiste. Ce n’est pas le cas. La renégociation a eu lieu sous l’égide de l’Allemande Merkel et du socialiste portugais Socrates. Le résultat (quoiqu’un peu en dessous du TCE à mes yeux) est acceptable à leurs yeux et en tout cas meilleur que Maastricht-Nice. Plus aucun progrès ne pourrait être obtenu rapidement en différant à nouveau la sortie de Maastricht-Nice.

Tensions

Les discussions entre eurodéputés Verts sont hélas occupées par l’état absolument désolant de l’Europe actuelle, pays par pays. La semaine commence avec la loi d’expulsion des Roms roumains, initiée par Veltroni, le leader du « centre-gauche » italien, suite à un crime commis à Rome, imputé à un Rom immigré roumain.

Le résultat le plus clair, c’est que le gouvernement Prodi (ancien Président de la Commission européenne !) viole ouvertement la libre circulation des citoyens à travers l’Europe, en confiant pratiquement aux autorités locales italiennes le droit d’expulser les Roms roumains. Cela rappelle les anciennes persécutions des Juifs et des Roms, mais attendez ! Immédiatement, le Ministre des affaires étrangères roumain répond en proposant de racheter « un morceau de désert en Égypte » pour y réimplanter les Roms. On se rapproche dangereusement de la pire époque de l’histoire européenne.

Les Roms sont le dernier peuple Indo-européen à s’être glissé parmi les populations déjà installées, au Moyen Age, jusqu’en Andalousie, où Garcia Lorca voyait en eux la « noblesse du pays ». C’est pourquoi les Européens leur ont donné des noms les désignant comme venant de « plus à l’Est », de Bohême (les Bohémiens), ou tout simplement d’Égypte : les Gitans, les Gipsies. Romanichel est par contre un terme de leur langue : Romani-Cel = peuple rom. Ils ne se sont pas tous sédentarisés, et du coup leur culture les place aujourd’hui en décalage avec l’Europe « établie ». Mais tout se passe comme si, pour la première fois dans l’histoire millénaire de ses relations avec les Roms, l’Europe envisageait de les rejeter de son territoire.

Cette crispation de l’Europe dans la haine contre ceux qui bougent ou ceux qui sont plus pauvres que soi est un phénomène terrifiant. Toutes choses égales par ailleurs, on la retrouve dans l’hostilité du principal parti suisse, l’UDC, contre les immigrés à l’intérieur et contre l’Union européenne à l’extérieur. Mais on la retrouve évidemment aussi dans le rejet, par la Flandre riche, de la Wallonie plus pauvre et désindustrialisée. Comme l’explique l’éditorial de la revue Politiques (qui vient de publier mon article sur les Tribulations de l’Europe politique), la cible de cette scission de la Belgique est bien la destruction de la solidarité sociale.

Car la situation est maintenant tout à fait sérieuse, et plus grand monde ne croit au maintien de l’unité de la Belgique. Dans la commune où j’habite, Etterbeek, se multiplient aux balcons les drapeaux belges, mais je sais que ce n’est plus du tout le cas en Flandre, et que c’est loin d’être le cas en Wallonie.

Bien sûr, le cadre de l’Union européenne offre à la Flandre et à la Wallonie les moyens de se séparer assez pacifiquement, sans trop de drame (Tchéquie et Slovaquie se sont bien retrouvées dans l’UE après s’être séparées). Mais quand même, ça fait mal au cœur.

CAN

Déjeuner avec l’ambassadeur d’Équateur. Mon voyage en Équateur s’annonce un peu compliqué car, d’une part, l’histoire des bananes n’est toujours pas réglée. La Colombie, semble-t-il, se rallierait à la plainte de l’Équateur à l’OMC contre le privilège accordé par l’Union aux pays ACP en matière de bananes. L’ambassadeur comprend bien la légitimité de la place que l’Europe souhaite réserver aux exportations issues des pays ACP, mais, comme on le sait, la réputation de bienveillance de l’Europe vis à vis des ACP est en train de s’écrouler, du fait de l’attitude dure du Commissaire Mandelson.

D’autre part, l’Équateur est en crise institutionnelle pour des broutilles. Le parti de gauche, formé autour du président Correa, vient de remporter, à l’élection de l’Assemblée constituante, une victoire écrasante qui a balayé les anciens partis discrédités. Mais, petits problèmes : comptages et recomptages (enjeu : un député) empêchent la réunion de la constituante. Et le referendum convocatoire avait oublié de préciser qui jouerait le role du législatif (ne serait-ce que pour voter le budget) après les élections à la constituante. Du coup, l’ancien congrès, dominé par des partis qui ne représentent plus rien, fait de la résistance et il a le droit pour lui.

Par ailleurs, le Pérou, unilatéralement, vient de baisser ses droits de douane vis-à-vis de l’Europe, ce qui rend très difficile une négociation de bloc à bloc entre l’Union européenne et la Communauté andine. Le modèle d’intégration régionale que représentait et défendait l’Europe se heurte manifestement au jeu du « chacun pour soi » de ses partenaires. Et pourtant, au moins dans le cas de la Communauté andine, je suis bien placé pour certifier que ce n’est pas l’Europe qui cherche à diviser !

Ce n’est pas fini. Colombie et Équateur, alliés-concurrents dans la guerre de la banane, sont en conflit sur les défoliants au glyphosphate épandus par la Colombie sur les cultures de drogues, et qui empoisonnent la frontière nord de l’Équateur.

Plus positif : la demande par l’Équateur d’un financement international pour « laisser sous terre » le pétrole du parc naturel de Yasuni. Ce serait un extraordinaire précédent, à la fois dans la lutte contre l’effet de serre, dans la défense des peuples indigènes et de la biodiversité : le monde rémunérerait le « service environnemental » que lui rendrait l’Équateur en n’exploitant pas une richesse naturelle !

Petite bonne nouvelle, le Venezuela, maintenant, veut retourner dans la CAN… Je ne suis même plus sûr que ce soit une bonne nouvelle, car ces va et vient sont en soi un mauvais signe. L’Europe discute avec le Mercosur et avec la CAN, et se fiche royalement de savoir s’il y a 4 pays dans la CAN et 5 dans le Mercosur, ou l’inverse. Au fond, ce que souhaiterait l’Europe, ce serait de discuter avec une Amérique latine unifiée. Mais ça, ça ne dépend pas de nous...

Après avoir longtemps cherché à organiser un colloque sur la Justice transitionnelle en Colombie, nous avons décidé, Hélène Flautre, présidente de la sous-commission des Droits de l’Homme, et moi, d’en organiser un à Paris, avec des témoignages d’Amérique latine et d’Afrique.

C’est quoi, la Justice transitionnelle ? C’est l’idée que, pour conclure une guerre civile ou en finir avec une dictature, il ne suffit pas de proclamer une amnistie générale. Une telle impunité accordée aux crimes commis pendant la période antérieure laisse des traces profondes, durables, intergénérationnelles, comme l’ont montré les exemples de l’Argentine et du Chili (et de la France, et de l’Espagne...) C’est pourquoi le droit humanitaire international fixe des limites strictes à l’amnistie. Elle doit respecter les principes de vérité, justice et réparation. Et pourtant, la dimension d’amnistie ne peut être évacuée si l’on veut que chacun ait intérêt à la paix : d’où son nom de justice transitionnelle.

Le colloque aura lieu le 6 décembre à l’Assemblée nationale. Si vous voulez y participer, il est nécessaire de vous inscrire.

Photo Joel Mann, sous licence CC.



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