La manif de Cherbourg. Le retour du 122.
par Alain Lipietz

mardi 18 avril 2006

Samedi, manif antinucléaire à Cherbourg. 4 heures de marche sous la pluie…Et pourtant, une manif comme on n’en avait pas vu depuis longtemps ! Selon les journalistes de Ouest France, beaucoup plus grosse que celles contre le CPE. Normal, c’est une manifestation nationale… mais quand même ! Allez, on va dire 20 à 30 000 personnes.

Naturellement, les Verts sont omniprésents avec leur petits drapeaux dans tous les segments des divers comités antinucléaires, mais ils forment aussi un énorme cortège de près d’un millier de personnes photographié par les Verts Bretagne (en cliquant sur « suivante » et sur « précédente », vous pouvez voir toutes les photos). Vous pouvez trouver plein d’autres photos avec un vrai reportage sur le site de Brest ouVert, et les photos de notre camarade Pierre-Emmanuel Weck, ou encore la video d’Alexis Braud !

Comment expliquer cette affluence ? Sans doute l’émergence d’une nouvelle génération de jeunes mobilisés dans la lutte contre le CPE. À Rennes pas exemple, les Verts qui ont été très actifs ont pu entraîner les jeunes successivement à une manif anti-OGM à Vannes, puis ici…

Le lendemain, nous revenons en zigzaguant à travers le Cotentin. Le bocage est quadrillé de routes à gabarit américain. On ne sait pas si c’est la trace de la bataille de Normandie ou les voies d’évacuation en cas d’accident à Flamanville ou La Hague… Nous butinons entre les abbayes romanes et les fresques des petites églises. Bouleversante cathédrale de Saint Lô, en gothique flamboyant, balafrée par les bombes et colmatée dans le style 1950 des mémoriaux de la déportation. Elle devient elle même un monument aux villes martyrisées par la guerre.

La gueule cassée de la cathédrale de Saint-Lo

Mardi, retour au Parlement européen. Audition, puis long débat en commission Economique et monétaire à propos de la candidature de Monsieur Stark au Directoire de la Banque centrale européenne. Un dur de l’équipe de Kohl, tout à fait le profil habituel. Les socialistes, qui n’osent pas dire clairement qu’il y en a marre de ce type de profil, se perdent en petites manœuvres pour faire dire par la résolution du Parlement qu’il faudrait un peu réviser le mode de désignation des directeurs de la BCE, tout en reconnaissant que ce monsieur est tout à fait qualifié. Finalement ils s’abstiennent. Je suis le seul à voter contre lui (en l’absence de mes deux collègues communistes.)

Le soir, je commence à préparer la bataille suivante : la réponse du Parlement au livre blanc de la Commission sur les services publics. Je suis cette fois le shadow-rapporteur dans la commission Economique, qui a le rapport à titre principal, et je suis chargé avec Stany de coordonner la bataille des Verts dans les différentes commissions. Elle va évidemment se focaliser sur la question : Faut-il ou non une directive spécifique pour les services publics, et avec quel contenu ?

Bon, vous connaissez la chanson : si on avait voté Oui au TCE, la question serait déjà réglée avec l’article III-122 : ..eu égard à la place qu’occupent les services d’intérêt économique général en tant que services auxquels tous dans l’Union attribuent une valeur ainsi qu’au rôle qu’ils jouent dans la promotion de sa cohésion sociale et territoriale, l’Union et les États membres, chacun dans les limites de leurs compétences respectives et dans les limites du champ d’application de la Constitution, veillent à ce que ces services fonctionnent sur la base de principes et dans des conditions, notamment économiques et financières, qui leur permettent d’accomplir leurs missions. La loi européenne établit ces principes et fixe ces conditions, sans préjudice de la compétence qu’ont les États membres, dans le respect de la Constitution, de fournir, de faire exécuter et de financer ces services.

Mais, comme vous le savez déjà, la droite, qui admettait cet argument avant les referendums, refuse maintenant de tenir compte de cet article fantôme qu’elle avait pourtant voté en janvier 2004 avec le reste de la Constitution, ou de revoter cet article, « puisque les peuples Français et les Hollandais ont dit Non », et même si les communistes s’y sont ralliés après coup !

Nous allons donc engager la bataille sur la maigre ligne de départ du rapport Herzog sur le Livre Vert sur les services publics, lors de la précédente mandature (si cette nouvelle bataille vous intéresse, reportez vous à mon article sur la bataille de 2003, avec tous ses liens). A l’époque, nous avions mené la bataille ensemble, GUE, Verts, syndicats et associations citoyennes (le CELSIG), parallèlement à la bataille pour faire inscrire l’obligation de financement des services publics (avec une loi spécifique) dans la constitution : l’article 122 (numéroté III-6 à l’époque). En fait, nous sommes revenus en deçà de cette ligne, puis que « la Constitution a été rejetée » et avec elle l’article 122, accusé par la soi-disant « gauche de la gauche » d’être en recul par rapport aux articles des traités actuels sur les services publics !!

Le départ de la GUE de Philippe Herzog (qui fut tête de liste des communistes français !), symbole de la répudiation de cette bataille pour les services publics par les communistes pendant toute la campagne du referendum, aura donc été le signe d’une évolution aux conséquences historiquement très lourdes. Saurons-nous, et avec quels alliés, les réparer ? Seul espoir : l’autocritique clandestine des Non de gauche sur le sujet.



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