Résolution
Restructuration des entreprises

17 février 2000

Restructuration des entreprises en Europe. B5- 0124, 0128 et 0134/2000

Résolution du Parlement européen sur la restructuration des entreprises en Europe, en accordant une attention particulière à la fermeture de Goodyear en Italie et aux problèmes d’ABB- Alstom.

Le Parlement européen,

 vu la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs de 1989, ainsi que les dispositions y afférentes du traité CE dont, notamment, l’article 136, en vertu duquel les États membres ont pour objectifs la promotion de l’emploi, l’amélioration des conditions de vie et de travail, une protection sociale adéquate et le dialogue social, permettant un niveau d’emploi élevé et durable ainsi que la lutte contre les exclusions,

 vu la directive 75/129/CEE (JO L 48 du 22.2.1975, p. 29.), modifiée par la directive 92/56/CEE (JO L 245 du 26.8.1992, p. 3), concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux licenciements collectifs,

 vu la directive 94/45/CE concernant la création d’un comité d’entreprise européen ou une procédure aux fins d’information et de consultation des travailleurs, dans les entreprises et les groupes à l’échelle de la Communauté (JO L 254 du 30.9.1994, p. 64),

 vu la proposition de la Commission établissant un cadre général relatif à l’information et à la consultation des travailleurs dans la Communauté européenne,

 vu les conclusions du Groupe de haut niveau sur les conséquences économiques et sociales des mutations industrielles,

 vu ses résolutions antérieures sur la restructuration, le transfert et la fermeture d’entreprises de l’Union européenne, notamment celles concernant le cas Renault-Vilvorde,

 vu la déclaration faite le 27 octobre 1999 par Mme Anna Diamantopoulou, membre de la Commission, devant le Parlement européen au sujet de la restructuration des entreprises (Michelin),

 Considérant

A. considérant que la direction de la multinationale Goodyear- Dunlop a inopinément annoncé la fermeture de sa seule usine italienne, à Cisterna di Latina, décision qui entrera en vigueur le 17 février 2000 et qui non seulement entraînera la perte directe de 574 emplois, mais aura d’importantes répercussions sur quelque 430 emplois dérivés,

B. considérant en particulier que, jusqu’à présent, l’usine de Cisterna di Latina a fait preuve d’une grande productivité et d’un rendement élevé, grâce notamment au professionnalisme et au sens des responsabilités des travailleurs et que, malgré l’absence totale d’investissements de la part de l’entreprise pendant plus de dix ans, l’usine était, en 1996, la deuxième du groupe en Europe pour la compétitivité des coûts et la première en termes de qualité,

C. considérant, d’une part, qu’en 1997 déjà, 300 jeunes travailleurs ont été licenciés et une partie de la production délocalisée et, d’autre part, qu’en vertu d’accords ultérieurs les travailleurs et les syndicats ont accepté d’accroître la productivité en diminuant l’emploi, à un coût nul pour l’entreprise mais au détriment de la santé et de la sécurité sur le lieu de travail,

D. considérant que les salariés de l’usine ont été placés devant le fait accompli, sans aucune information, consultation ni participation d’aucune sorte aux décisions de l’entreprise, et que celle- ci n’a tenu aucun compte de la volonté des travailleurs de contribuer à des solutions de remplacement évitant la fermeture et les licenciements y afférents, malgré les avantages fiscaux offerts par le gouvernement italien pour éviter la fermeture,

E. considérant que l’entreprise Goodyear a bénéficié d’aides d’État, financières et autres, d’un montant total de 166 milliards de lires, y compris les dégrèvements fiscaux aux fins de formation,

F. considérant que l’entreprise n’a pas accepté de céder le site de production à un concurrent, ce qui aurait permis de conserver les emplois et les qualifications dans la région, mais que, bien au contraire, Goodyear- Dunlop envisage d’accroître les ventes de ses produits en Italie,

G. considérant qu’en novembre 1999 la Commission a autorisé la fusion entre les groupes ABB et Alstom et que cette fusion a engendré le nouveau groupe ABB- Alstom Power, qui est aujourd’hui le premier producteur mondial d’énergie et emploie 58 000 travailleurs, dont 34 000 en Europe,

H. considérant que le comité d’entreprise européen d’Alstom n’a été informé ni avant ni après la fusion,

I. considérant que les représentants des travailleurs d’ABB- Alstom craignent de voir, dans un certain nombre de restructurations et de licenciements annoncés séparément dans divers lieux géographiques, les signes avant- coureurs d’un plan de restructuration d’ensemble qui pourrait entraîner la perte de quelque 12 000 emplois,

J. considérant que des décisions de cette nature en matière de restructuration, de transfert et de fermeture d’entreprises non seulement diminuent l’emploi mais compromettent très souvent la cohésion économique et sociale des zones concernées et accroissent le malaise parmi les travailleurs et l’opinion publique en général,

K. considérant que la politique européenne de la concurrence ne peut être envisagée en marge des autres politiques de l’Union, notamment la politique sociale et la politique de l’emploi ;

 Le Parlement européen

1. condamne la décision de la direction Goodyear- Dunlop de fermer son usine italienne sans préavis, conformément à une orientation de politique économique du groupe privilégiant une logique de profit à court terme, contraire à une politique industrielle saine, et ignorant les très graves conséquences économiques et sociales qui en résulteront dans la région, et exprime son soutien aux travailleurs engagés dans la lutte pour la défense de l’emploi en Italie et en Europe ;

2. se félicite du rôle actif assumé jusqu’à présent par le gouvernement italien ; souhaite vivement que d’autres mesures soient prises pour éviter la fermeture (y compris l’annulation des contrats de fourniture) et assurer le remboursement des financements octroyés, au cas où Goodyear- Dunlop maintiendrait sa décision, et souhaite par ailleurs qu’une solution soit trouvée au plus tôt pour sauvegarder les emplois et les droits acquis des travailleurs ;

3. demande aux institutions italiennes et européennes de s’engager à veiller à ce que la procédure de licenciement des travailleurs soit suspendue, de façon à pouvoir entamer des négociations sérieuses et concrètes ;

4. invite instamment la direction de Goodyear- Dunlop à revoir sa position inacceptable en ce qui concerne la vente de l’usine à un concurrent, afin de sauvegarder notamment les qualifications et les emplois ;

5. estime qu’en autorisant la fusion entre ABB et Alstom, la Commission n’a pas évalué les éventuelles conséquences sociales de l’opération et, partant, n’a pas respecté l’article 127, paragraphe 2, du traité CE, en vertu duquel "l’objectif consistant à atteindre un niveau d’emploi élevé est pris en compte dans la définition et la mise en œuvre des politiques et des actions de la Communauté" ;

6. invite la Commission à ne pas autoriser de fusions ou autres opérations similaires si la législation sociale européenne - et en particulier celle qui a trait à l’information et à la consultation des travailleurs - n’est pas respectée par les entreprises concernées ;

7. invite la Commission a prendre des mesures concrètes pour garantir le respect absolu de la directive 94/45/CEE précitée par le nouveau groupe ABB- Alstom ;

8. invite la Commission et les États membres à subordonner l’octroi de subventions communautaires et nationales à des engagements à long terme vis- à- vis de l’emploi et du développement local et régional, et à veiller à ce que l’application de ces dispositions, sous réserve d’un contrôle régulier associant, quant aux responsabilités à exercer en commun, la Commission, les autorités nationales, régionales et locales ainsi que les partenaires sociaux, soit assorti de pénalités en cas de rupture d’engagement ;

9. invite la Commission à entreprendre sans délai une évaluation de l’application de la directive sur les licenciements collectifs et les fermetures d’entreprises, à proposer des sanctions efficaces (notamment financières) applicables en cas d’infraction à cette directive et à proposer des améliorations propres à en accroître l’efficacité en termes de protection de l’emploi et de défense des travailleurs ;

10. souligne que la Commission devrait accélérer son réexamen de la directive 94/45/CE concernant la création d’un comité d’entreprise européen, en vue notamment de renforcer les dispositions relatives à l’information et à la consultation de façon à ce qu’elles s’appliquent au niveau de la planification, avant la prise de décision, et puissent ainsi se révéler efficaces et avoir une certaine influence, et souhaite en outre que la directive soit complétée afin d’accélérer la création de ces comités d’entreprise et de leur permettre d’agir de façon autonome ;

11. invite la Commission à réformer la législation communautaire et ses directives de telle sorte que les salariés concernés par un plan de licenciement collectif pour raison économique puissent ester en justice, auprès de la juridiction territorialement compétente, sans attendre le prononcé du licenciement, et contester le fondement économique d’une telle décision ;

12. demande au Conseil d’adopter le plus rapidement possible une position commune sur la proposition de cadre général relatif à l’information et à la consultation des travailleurs dans la Communauté européenne ; demande à la Commission et au Conseil d’accorder la plus grande importance aux amendements adoptés en première lecture par le Parlement européen ; attend, tout particulièrement, que tout manquement au respect des principes et des procédures dérivés de la transposition de la directive, soit sanctionné, y compris par l’annulation de la décision en question ;

13. invite les États membres à promouvoir et à renforcer le dialogue social et la coopération au niveau des entreprises et des régions afin, d’une part, de mettre en œuvre des modalités de consultation préalable et de dialogue sur les décisions ayant des répercussions économiques et sociales importantes et, d’autre part, d’instaurer des mesures efficaces de protection des représentants syndicaux ;

14. estime que l’adoption d’une législation sociale harmonisée dans l’Union européenne, visant notamment à prévenir les licenciements "économiques" et le dumping social par les entreprises situées sur le territoire de l’Union européenne, est devenue indispensable pour la cohésion de l’Union, et invite dès lors la Commission et le Conseil à formuler des propositions concrètes pour faire progresser la politique sociale européenne ;

15. charge sa Présidente de transmettre la présente résolution à la Commission et au Conseil, ainsi qu’aux gouvernements et aux parlements des États membres, aux partenaires sociaux, aux travailleurs et à la direction de l’usine Goodyear- Dunlop de Cisterna di Latina, et du groupe ABB- Alstom.


Voir la présentation de la situation.



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