Santé des femmes : un échec du Parlement
par Alain Lipietz

jeudi 8 septembre 2005

Le débat sur la santé des femmes devient de plus en plus compliqué au Parlement européen. C’est toujours la même chose depuis la précédente législature : les questions de la reproduction assistée, de l’avortement et du clonage s’entrecroisent, avec des résultats imprévisibles.

Cette fois, il s’agissait du rapport d’Eva-Britt Svensson, de la GUE (groupe communiste), une initiative de la commission « Droits de la femme et égalité des chances ». C’est une des compétences de l’Union, promouvoir « l’égalité hommes femmes », mais concrètement cela implique de s’occuper des « droits reproductifs » des femmes (comme dit l’ONU) et des problèmes de santé correspondants, même si en la matière le mot « égalité » fait un peu bizarre. Très concrètement, le débat se polarise depuis des années sur la question : « L’Union doit-elle financer des recherches sur le clonage humain ? ».

Dans la dernière législature, la réponse du PE est progressivement passée du Non au Oui, les Verts étant pour le coup alliés aux démocrates-chrétiens (contre le bloc « scientiste » des libéraux , du PSE et de la GUE), en faisant bien attention à ce que rien dans le texte n’assimile l’embryon à une « personne humaine », ce que recherchent certains démo-chrétiens pour délégitimer l’avortement. Quant aux Verts, ils s’opposent au clonage humain par principe de précaution contre toutes les dérives à la Frankenstein, et aussi pour éviter de transformer le corps des femmes en matière première marchande. Mais nos alliés traditionnels de la gauche sont pour parce qu’on n’arrête pas la Science et qu’il ne s’agit que de clonage « thérapeutique » (on interrompt la croissance de l’embryon à un stade où il ne présente que des cellules souches, c’est-à-dire non-différenciées et pouvant donc servir de matériau de réparation). Ce à quoi nous répondons que tout succès dans le clonage thérapeutique débouchera sur le clonage reproductif. D’énormes intérêts sont en jeu, et même la barrière constitutionnelle qui interdisait le clonage reproductif en Europe a été rejetée au printemps dernier. Surtout, on dispose d’assez de cellules-souches embryonnaires dans les stocks d’embryons surnuméraires (issus de la fécondation in-vitro), et de toute façon la voie royale est la recherche sur les cellules souches adultes. Mais politiquement la bataille n’est pas simple !

Le rapport Svensson « Sur la discrimination du genre dans les systèmes de santé » (pdf, 224 ko) était à peu près conforme à cette orientation, qui est aussi l’orientation principale, disons, du mouvement féministe français. Il réaffirmait le droit à l’avortement, s’opposait au clonage humain, demandait des études approfondies et des précautions sur l’hyper-stimulation des ovaires. On pouvait craindre le pire de la montée en puissance de la droite venue des pays de l’Est. Mais on fut assez vite rassuré. Les amendementss hostiles à l’avortement venus de la droite catholique polonaise furent largement battus.

En revanche, la prudence envers l’hyper-stimulation des ovaires (nécessaire à la fois à la fécondation in-vitro et à la production d’ovules pour le clonage) ne faisait pas l’unanimité parmi les libéraux et les productivistes de gauche. Le clonage humain risquait d’être soutenu par le bloc "scientiste" de la précédente mandature (libéraux, socialistes et communistes). C’est bien ce qui s’est passé, à ceci près que les communistes, sous l’influence d’Eva-Britt, prirent une position plutôt hostile au clonage. Les récentes découvertes de l’Institut Pasteur sur les potentialités des cellules-souches adultes avaient sans doute aussi contribué à désamorcer le discours des médecins sur l’absolue nécessité de produire des cellules souches embryonnaires.

Tous les « mauvais » amendements furent donc battus. Or il suffit de se reporter au rapport pour constater que ces points polémiques occupaient une part minuscule de ce rapport très complet. On s’attendait donc à une adoption sans problème. Hélas ! au moment du vote final, seuls les Verts et les communistes prirent résolument parti pour le rapport. Les libéraux démocrates (pro-clonage) votèrent résolument contre. La droite et l’extrême droite se divisèrent, selon l’importance relative qu’ils apportaient à la question de l’avortement ou à celle du clonage. C’est alors que le groupe socialiste opta… pour l’abstention !

Résultat : les votes de droite contre le rapport l’emportant sur les votes Verts et communistes en faveur du rapport, avec une vaste abstention socialiste, le rapport est rejeté.



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