Luxembourg, brevets médicaments, Bolkestein...
par Alain Lipietz

mardi 12 juillet 2005

Trouée de ciel bleu dans un ciel lourd de nuages : le Oui l’emporte par 56% au Luxembourg ! On peut sourire, mais ça fait du bien. En plus, avec ce 14è Etat, la majorité des pays, représentant la majorité de la population européenne, a ratifié. Pour ceux qui réclamaient l’application du principe majoritaire à la Constitution européenne, la question devrait donc être tranchée ! Non, allez, je rigole, nous sommes dans le traité de Nice qui ne se révise qu’à l’unanimité.

Le soir même, participant un débat avec Franck-Dominique Vivien sur France Culture, a propos de la "décroissance" et de la solidarité avec le Tiers monde, je suis invité par Dominique Rousset à commenter un évènement d’actualité. J’avais pensé évoquer le décès de François-Xavier Verschave, qui fût l’âme de l’ONG Survie et des Billets d’Afrique, infatigable pourfendeur de la" Françafrique". Mais bien sûr je choisis le Oui luxembourgeois. Je salue ce petit peuple, qui lors de sa libération en 1945, proposa sa fusion avec la France, mais ne reçut en réponse qu’une négligence à peine polie, qui subit les grands démantèlements de la sidérurgie planifiés par la CECA (à l’époque où le capitalisme était plus dirigiste que libéral), qui s’est reconverti dans les service financiers, qui vient de se voir imposer (le "paquet Monti" arrivant à son terme) un prélèvement à la source de 35% sur les revenus des capitaux placés à Luxembourg par les non résidents, dont 75% doivent être retournés au fisc des pays de résidence des épargnants, et qui pourtant, par esprit européen, choisit l’Europe politique et le TCE !

Mardi, à Bruxelles, nous félicitons nos collègues socialiste et verts luxembourgeois. Ils sont encore éberlués par la dureté de la campagne. Bien sûr, la communauté financière luxembourgeoise, révoltée par la fin du paradis fiscal, a fait campagne pour le non. Mais aussi, comme en France, une partie de l’électorat socialiste et vert a voté Non. Les militants français du Non, Henri Emmanuelli et José Bové en tête, sont venus labourer ce minuscule terrain où "une fermière franchit trois frontières en courant après son chat". Les militants d’Attac, nous racontent effarés nos collègues luxembourgeois, leur ont fait le coup du "toute personne a droit à la vie : ça veut dire que la peine de mort est rétablie et l’avortement interdit". Un autre argument qui a beaucoup porté chez les jeunes : "la Constitution institue une armée européenne, donc la conscription, donc vous devrez aller faire la guerre en Irak." Celle-là, on ne nous l’avait pas faite !

Mais il faut revenir au boulot. En Commission du commerce international (INTA), on vote, avec une pluie d’amendements, le rapport sur les licences obligatoires pour les médicaments, c’est-à-dire l’obligation pour les firmes pharmaceutiques d’autoriser les pays pauvres et menacés par une épidémie à produire eux-mêmes des produits génériques (et à les commercialiser entre eux... ce qui est le véritable problème !) Le rapport passe avec de bons amendements.

C’est très curieux de voir comment la répartition des députés dans les commissions ne suit absolument pas la loi des grands nombres. Autrement dit, les libéraux-démocrates, qui font pencher la balance dans un sens ou dans l’autre, sont plutôt ouverts à une régulation politique mondiale dans cette commission, alors qu’ils sont ultra-libéraux et défenseurs farouches des droits de propriété dans la Commission Economique ou dans la Commission juridique. Les amendements adoptés en Commission juridique sont d’ailleurs unanimement retoqués (même par le PPE) dans la Commission INTA. C’est un phénomène très général : les nuances politiques à l’intérieur de nos vastes partis européens sont telles que les députés se spécialisent dans les commissions qui résonnent le mieux avec leurs idées propres. Ainsi, la Commission de l’emploi et des affaires sociale est plus "sociale", y compris chez les députés PPE, de même la Commission environnement est plus "écolo"... et la Commission économique et monétaire est horriblement "économiste et monétariste".

J’y fais d’ailleurs un saut juste après le vote sur les médicaments, et après une visite de l’ambassadeur brésilien venu répondre à nos questions sur l’attitude du Brésil quant à la mise en oeuvre du processus "Forest Law, Enforcement, Governance and Trade" (Flegt). Ses réponses étant complètement ... langue de bois, il est inutile que j’en parle ici.

La Commission Economique et monétaire discute des amendements de compromis sur le rapport concernant la directive Bolkestein. Celui-ci, coup du sort, a été confié à Sahra Wagenknecht, une (jolie, je vous recommande le lien) communiste d’Allemagne de l’Est !

Néophyte et idéaliste, Sahra croît encore qu’on peut discuter avec les loups de la Commission économique et monétaire. Elle s’est décarcassée pour faire son rapport, et cherche sincèrement à construire des compromis. Ils sont déchirés à belles dents par la droite surreprésentée et déchaînée. Il n’y a pas de Vert en séance (je ne suis moi-même que suppléant), le PS et les communistes sont à peine représentés. J’interviens vigoureusement en défense de Sahra, argumentant selon le seul langage que peut comprendre cette commission : "Je me place du point de vue d’un consommateur véritablement européen, c’est-à-dire quelqu’un qui ne veut pas savoir si la marchandise qu’il achète vient du Portugal ou de Lettonie, pas plus qu’auparavant il ne s’intéressait de savoir s’il venait de Bretagne ou d’Alsace. Je ne veux pas savoir, quand je choisis un service, quelle est la loi qui s’applique à lui, car sinon, je choisirai la seule loi que je connaisse, la loi de mon pays. Le principe du pays d’origine, c’est la fin du marché unique, c’est le retour du nationalisme commercial. Le seul principe acceptable, c’est le principe du lieu de l’activité." Cette intervention déstabilise la droite qui répond par une deuxième salve de sophismes.

De toutes façons, le rapport Wagenknecht sera réduit en miettes et défiguré. Peu importe. Ce n’est qu’un des multiples rapport qui viendront converger en septembre pour apporter des avis à la commission en charge du rapport sur la directive Bolkestein à titre principal, la Commission du Marché intérieur. Et c’est en définitive la plénière qui tranchera.

Mais il est clair que l’offensive de la droite est largement facilitée par le Non. En avril dernier, je pouvais encore faire valoir que la directive Bolkstein était à la lettre contraire à la Constitution. On se souvient par exemple que l’un de mes arguments était que l’article 122 prévoyait une loi spéciale pour les services publics. Ceux-ci ne pouvaient donc pas être concernés par la directive "Services" de Bolkestein. Cet argument était alors considéré comme acquis. Mais aujourd’hui, la même Madame int’Veld - qui avait pourtant présenté le rapport anticipant sur ce que serait la loi Services publics - déclare aujourd’hui : "Tous les services, même d’intérêt général, ont une dimension économique. Il n’y a donc plus lieu de faire une directive spéciale pour les services d’intérêt économique général !"

Bon. C’est pas trop grave. Cette commission est particulièrement ultralibérale. Le même jour, en Commission de l’Emploi et des affaires sociale (dont l’avis pèse d’un poids "renforcé"), le rapport sur le même sujet est adopté. Et, première victoire, il est beaucoup plus social que libéral. Toujours la même histoire : la Commission des affaires sociales est... plus sociale !



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