Bolkestein, Bulgarie, Roumanie, Alstom, Romans…
par Alain Lipietz

vendredi 15 avril 2005

Nouvelle semaine à Strasbourg. Comme d’habitude, les débats tournent autour des sujets qui sont de fait absorbés par le débat « Constitution » en France. Sauf qu’au Parlement européen, on les traite pour eux mêmes !

Bien sûr, il y a la bataille des brevets logiciels avec l’exposé du professeur Pellegrini au groupe de travail. Et toujours la fameuse directive Bolkestein. Je mets au point avec la nouvelle collaboratrice du groupe Vert pour la commission des affaires juridiques, Francesca Beltrame, mes propres amendements pour l’avis de cette commission. Nous nous concertons entre les différents députés Verts engagés dans les commissions qui discutent la Bolkestein.

La position du Commissaire Mc Greevy, qui a remplacé Bolkestein, est connue depuis la session précédente. Il est prêt à préciser que le statut des salariés n’est pas concerné (« je ne veux plus entendre parler de dumping social »), les services publics (SIEG) seront écartés, et, s’agissant du principe du pays d’origine, ne seraient visés que les services transfrontières (on croit comprendre : quand l’activité est dans un pays et le client dans un autre).

En fait, la position du Conseil n’est pas encore arrêtée, mais d’ores et déjà, la position de la présidence (luxembourgeoise) du Conseil est sur le site de la Commission. Par ailleurs, le rapport de la rapporteuse en charge à titre principal de cette directive, pour la commission du marché intérieur du Parlement, Madame Gebhardt, une social-démocrate allemande, est déjà prêt. Les votes auront lieu dans les semaines qui viennent.

Ce qui nous occupe principalement cette semaine, c’est d’une part le rapport sur le sommet européen d’il y a quinze jours, d’autre part les traités d’adhésion de la Roumanie et de la Bulgarie.

Sur le premier point, les Verts, et notamment Inès (notre collaboratrice pour la Commission économique et monétaire), ont bien négocié le texte de compromis des différents groupes, qui n’est pas si mal que ça. Mais sur un certain nombre de points qui nous tiennent à coeur, il n’a pas été possible de faire prendre en compte nos propositions. Nous décidons donc de ne pas signer la motion de compromis et présentons des amendements en plénière (il s’agit essentiellement de la prise en compte de l’environnement). Tous ces amendements sont rejetés, nous votons donc contre le rapport.

Beaucoup plus complexe est le débat sur la Roumanie et la Bulgarie. La Commission, appuyée par le Conseil européen, a décidé de nous faire voter tout de suite l’adhésion de ces deux pays pour 2007. En soi, cette idée de voter 20 mois à l’avance est déjà choquante, d’autant plus que les rapports sur l’état d’avancement des droits de l’homme, de la gouvernance politique, de la normalité institutionnelle de ces pays sont assez alarmants. En gros, on nous demande de voter aujourd’hui sur la base de promesses des gouvernements roumain et bulgare de tout régler en 20 mois ! Certes, nos négociateurs ont réussi à faire inscrire des clauses de sauvegarde qui permettraient de retarder l’adhésion en cas de manquements trop flagrants à ces engagements. Mais la majorité du groupe est contre un tel chèque en blanc, même s’il reste la possibilité de le déchirer au dernier moment.

Le débat est assez pénible au sein du groupe ; bien sûr, les négociateurs vert-e-s, dont les membres de la délégation Roumanie, sont vexés, ce qui est toujours le cas des négociateurs qui ont fait correctement leur boulot quand néanmoins leurs mandants n’endossent pas le compromis. Le député Vert autrichien est particulièrement sévère : il fait observer que l’Autriche a été mise au ban de l’Union européenne lors de l’entrée de Heider au gouvernement, pour des reproches beaucoup moins graves que ceux qui sont fait aujourd’hui à la Roumanie et à la Bulgarie.

Quant à moi, je rappelle la petite plaisanterie qui court à propos des trois candidats à l’adhésion.

On fait passer un examen d’entrée à la Bulgarie, la Roumanie, la Turquie. On demande à la Roumanie : « Quel est le pays qui a envoyé la première bombe atomique ? » On demande à la Bulgarie : « Quelle est la ville qui a reçu la première bombe atomique ? » On demande à la Turquie : « Donner, par ordre alphabétique, la liste de toutes les victimes de la première bombe atomique. »

Il y a deux problèmes dans cette affaire. D’une part un traitement beaucoup plus laxiste pour ces deux pays chrétiens que pour la Turquie, d’autre part, un manque de respect pour le Parlement à qui on demande de voter 20 mois à l’avance.

Finalement, Dany Cohn-Bendit, notre président, propose un compromis astucieux : nous votons la résolution approuvant l’entrée de la Roumanie et de la Bulgarie, mais nous ne votons pas tout de suite le texte législatif qui acte cette décision. Ce qui nous laisse les moyens de contrôler la mise en applications des engagements des gouvernements roumain et bulgare. Malheureusement en plénière, notre proposition est rejetée. Il faut donc voter Oui ou Non au texte législatif. Le Oui l’emporte très largement avec le soutien des grands partis de gouvernement, du PPE et du PSE. Les Verts se dispersent ; pour ma part je vote Non, pas par hostilité à ces deux pays balkaniques, mais essentiellement pour protester contre le mépris du Parlement ainsi manifesté par le Conseil et la Commission, et la soumission des « partis de gouvernement ».

Mercredi soir, j’interviens au pied levé en plénière, pour interpeller le Commissaire à l’industrie et aux entreprises sur la liquidation par Alstom de ses centres de recherche travaillant notamment sur les énergies propres, ce que la Commission ne lui avait nullement demandé quand elle avait autorisé l’aide de l’Etat français. Rétrospectivement cette aide n’est donc plus justifiée. Les représentants français de tous les partis interviennent dans le même sens. Le Commissaire Verheugen est bien embêté, mais répond que la Commission n’a pas le pouvoir de demander, dans ce cas-là, la restitution des aides publiques. Une idée de pétition, si la Constitution est adoptée ?

Jeudi soir, retour sur Paris. Soirée de briefing pour les jeunes Verts.

Le lendemain, départ pour Romans, dans la Drôme, où je fais le premier meeting Vert en faveur du Oui (jusqu’à présent, je n’ai fait que des réunions-débats contradictoires). Il pleut, depuis le matin, une pluie froide. C’est pas plus mal : la Drôme est au sommet du triangle de la sécheresse qui s’étend sur le midi. Avant la réunion, on s’interroge : les hésitants, les partisans du Non viendront-ils ? Très vite, la réponse est positive, la salle est pleine (150 personnes). Pendant des heures, je dois répondre à toutes les objections classiques du Non, exactement comme si nous étions dans un débat contradictoire. Aucun partisan du Oui n’intervient depuis la salle. Les débats sont assez vifs, tant la présentation que je fais des avantages du traité diverge par rapport à la vulgate diffusée par les partisans du Non. Très tard, un membre de l’assistance prend la parole et dit : « Je vous remercie de ne pas avoir cherché à être aimable avec le Non. Je me rends compte que la campagne du Non fait une présentation biaisée du traité, que vous l’avez présenté d’une manière convaincante. Je change d’avis. ». D’autres personnes interviennent pour dire « Moi aussi, j’ai changé d’avis ». Je regarde ma montre avec stupéfaction : il est minuit et demi.

Le lendemain, la Drôme est couverte de neige ! Après Guéret et Umea : une malédiction me suit. J’ai repris la crève.



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