Grandeurs et crises de la campane EELV .
par Alain Lipietz

jeudi 12 janvier 2012

Oui, ça fait un mois que j’ai abandonné mon blog... C’est que la fin de l’année a été très active, les vacances magnifiques, et au retour (avec mes « meilleurs » vœux !), déjà pas mal de charges !

Cette fin d’année a été occupée essentiellement par la rédaction, à toute vitesse et jours et nuits, de mon livre sur la crise (que je suis d’ailleurs en train de corriger pour l’impression). Mon article de Libération vous en donne une toute petite idée. Mais aussi : d’assez lourds désagréments à l’intérieur d’Europe-Écologie-Les Verts, compensés par le plaisir toujours renouvelé du militantisme écologiste ! Je suis ainsi allé à Nice, et dés la rentrée, à Montluçon. La campagne d’Eva enthousiasme les uns et irrite ceux qui ne voteront jamais pour nous, mais la direction EELV me désespère.

Réunions-débats

A Nice, très belle après-midi de visite chez un producteur et collectionneur d’agrumes et autres fruits, Le potager de Saquier, qui s’accroche dans Nice au-dessus de la plaine du Var.

Main de Boudha (cedra digitata)

Occasion de discuter des problèmes du maraîchage périurbain et de la façon déraisonnable dont les villes sacrifient des terres précieuses, alors que la demande pour une alimentation bio et de proximité se fait croissante.

Puis visite à un petit entrepreneur, Guy Nègre, PDG de MDI, qui fabrique de jolis petits véhicules à air comprimé. Le stockage de l’énergie est souvent confondu avec le problème de la production de l’énergie. Il ne faut pas confondre : les voitures que nous utilisons habituellement brûlent en roulant le pétrole qu’elles embarquent. Les véhicules à batteries, à hydrogène ou à air comprimé emportent avec eux de l’énergie motrice produite avant le départ : électrolyse de l’eau par du courant électrique, compression de l’air à partir de n’importe quelle énergie mécanique (moulins, compresseurs électriques…)

L’avantage des véhicules à énergie stockée, c’est qu’en général la restitution de cette énergie est beaucoup moins polluante localement : de l’eau dans le cas de l’hydrogène, et rien du tout dans le cas de l’électricité et de l’air comprimé. Mais avec l’air comprimé, la recharge se fait en 2 minutes. Le problème de ces véhicules, c’est qu’ils ont une autonomie limitée. Comme les voitures électriques fonctionnant sur batterie, ils sont donc plutôt dédiés à des flottes de services urbains (bus, poste, taxis…).

Nous faisons joujou avec les petits véhicules, en nous désolant que les municipalités françaises ne s’intéressent pas plus aux nouvelles technologies peu polluantes.

Le soir, réunion débat très suivie sur la crise et ses solutions. Je raconte ce que je dis d’habitude, qui constitue l’ossature de mon livre. Ambiance très enthousiaste. Visiblement, on attend les écologistes, face à la grande crise du libéral productivisme.

Guy Nègre fait un petit exposé qui apporte un élément nouveau : comme ces véhicules sont destinés à des flottes urbaines captives, autant les construire sur place ! Et il propose un système de type "atelier flexible " de fabrication des véhicules à la commande, sur place, en quelques heures et pour un très bas coût, par des usines locales de 70 personnes. Concept industriel profondément écologiste !

Même ambiance à la rentrée pour la rencontre à Montluçon : 75 personnes... Un journaliste nous confiera : "À part les AG de Montluçon-Rugby, ça fait longtemps qu’on n’avait pas vu de réunion aussi courue..." Il y a vraiment une demande de solution écologiste à la crise.

++++ Crise à EELV

Hélas ! Les dirigeants actuels du parti ne se rendent pas compte de l’immense responsabilité qu’ils portent, et privilégient les batailles pour s’approprier les fruits de victoire qu’il reste encore à remporter.

Et la presse en profite.

J’ai raconté dans mon blog précédent l’affaire Rue89 : comment un journal-web, à partir d’une conversation sur les tensions internes du parti, m’avait fait tenir des propos passablement scandaleux. S’en était suivi une réponse de ma part ici, puis , dans le cadre d’un débat auquel s’était joint Arrêt sur Images à propos de la déontologie journalistique.

Au début de la réunion de Nice, une militante me montre une déclaration de Cécile Duflot contre moi dans Direct Azur : " L’aigreur, c’est mauvais pour l’estomac mais pas que, ça abime même le cerveau". Je lui explique que ce que me prête Rue89 pas plus que ce que lui prête Direct-Azur, ce genre de déclarations publiques ne peut exister de la part de dirigeants de EELV (qui l’une et l’autre ont suivi de près les manipulations de 2001), et qu’elle devrait apprendre à se méfier de ce qu’elle lit dans les journaux.

Mais les problèmes réels sont beaucoup plus graves.

Début décembre, Eva Joly dévoile son comité de campagne. J’apprends en direct que je suis débarqué du conseil politique, ainsi que Natalie Gandais (qui y défendait le thème de la crise alimentaire). Au moins je me retrouve au « comité stratégique », pole de ressources où je suis chargé de « l’économie sociale et solidaire et l’alimentation ». Sans doute parce que j’y tiens, et suis avec Natalie l’un des rares parmi les animateurs actuels de EELV à se souvenir que l’alimentation est le fondement de l’écologie politique. En revanche, ceux qui ont critiqué Eva publiquement lors de la terrible semaine de novembre sont promus au comité politique…

Visiblement, la direction EELV ne souffre plus l’intello-diversité. La crise éclate le 18 décembre au Conseil Fédéral, qui devait ratifier les candidatures des écologistes aux prochaines élections législatives. La procédure a été particulièrement floue : Les groupes locaux étaient censés ne proposer qu’un vivier de quatre candidat et candidates, dans lequel les instances nationales picoreraient. Donc, les militants étaient appelés à voter également sur des "listes nationales de préférence". Et là, le résultat est cinglant pour le courant principal de la direction EELV, Maintenant : de 51% au Congrès de la Rochelle, il y a à peine 6 mois, il est déjà tombé à 37% !

Piétinant ce signal très clair, le courant Maintenant se réserve néanmoins 65% des circonscriptions réparties à la proportionnelle, dans lesquelles le Parti socialiste ne présenterait pas de candidats, et bien entendu les plus susceptibles d’avoir des élus. Le courant le plus maltraité est le courant Envie, tandis que le courant Construire l’écologie pour toutes et tous (dont je fais partie) reçoit approximativement sa part, au moins au plan quantitatif. Quant aux quelques 400 autres circonscriptions, le coup de force du courant Maintenant y est tout aussi spectaculaire.

Je raconte ce coup de force ici, au nom du courant Construire. En résumé : le vote a lieu en deux temps, sur les listes réservées à EELV par le PS - et là, le vote est Pour (je vote Pour car je pense effectivement qu’il ne faut pas donner de prétexte au PS pour rompre l’accord nécessaire face à Sarkozy) - mais en ce qui concerne l’ensemble des autres circonscriptions, la proposition de la Direction est rejetée. Le courant Envie quitte carrément la majorité.

Cette tentative de coup de force de la direction me laisse dans un profond écœurement. Elle s’est enfermée dans un processus de retranchement bureaucratique, violant tous les principes démocratiques qui avaient jusqu’ici caractérisés les écologistes. J’ai beaucoup souffert dans ma vie chez les Verts (on se souvient peut-être de 2001...), mais je n’avais encore jusqu’ici jamais vu cela, et ne peut plus assumer, sans voir comment les choses vont évoluer, la défense de ce genre d’appareil. Je suspends donc toutes les réunions-débats publics que je devais faire à la rentrée, sauf celle de Montluçon le 9 janvier, car je sais bien qu’ils n’auront pas le temps de trouver quelqu’un pour me remplacer.

Je fais bien : la réunion de Montluçon est, comme je l’ai dit, un grand succès.

++++Eva et l’ESS

Je continue à soutenir, bien sûr, comme Natalie, la belle et courageuse campagne d’Eva Joly.

Au prix de grandes difficultés, Natalie et moi (soutenus évidemment par de nombreux autres militants) avons réussi à maintenir l’existence d’un chapitre Economie Sociale et Solidaire et d’un chapitre Alimentation dans le programme, face à cette direction EELV dont le moins qu’on puisse dire est qu’elle ne s’y intéresse guère.

Le 5 janvier, c’est la grande confrontation entre Eva et le Laboratoire de l’Economie Sociale et Solidaire. En charge de ce thème, je reviens de vacances le 3 pour préparer avec Eva, le 4, cette importante réunion. Nous mettons au point la réponse à l’interpellation des candidats présidentiels par les acteurs de l’Economie Sociale et Solidaire : L’urgence d’une autre économie. Vous trouverez leur texte et notre réponse ici. Interpellation et réponse vont bien au-delà de la seule ESS !

La réunion se passe très bien. Elle vous est racontée ici, et , mais surtout ne ratez pas les videos des interventions de Claude Alphandéry, celle d’Eva, et la mienne, sur le site de l’Ane Vert.

Avec Laurent Fraisse et Bérénice Dondeyne

Les « invitants » sont ravis, et nous vidons un kir au vestiaire entre jeunes gens résolus à changer le monde :

De gauche à droite : Jean-Louis Laville, Robert Lion (78 ans), Claude Alphandéry (90 ans, un jeunot à coté de Stéphane Hessel, 95) et la jeune garde, Eva Joly et votre serviteur (64 ans)

Eva fait un carton, pour le moment, dans les « mouvements sociaux ». Bonne stratégie : il faut, comme Europe-Écologie en janvier 2009, commencer par « gagner les réseaux ». Et ça marche : le 11 janvier, il y a foule à la « Nuit de l’égalité », au Bataclan, à Paris. Le discours d’Eva électrise la salle. Ecole, logement, fêtes religieuses : c’st un hymne à l’égalité républicaine. Évidemment, il traite en une demi-ligne les inégalités sociales d’accès à la nourriture saine, qui déterminent les inégalités sociales de santé, qui co-déterminent les inégalités sociales d’espérance de vie, mais, je vous l’ai dit, ces sujets sont désormais interdit par la direction, même à Eva Joly, leurs spécialistes n’étant pas du bon courant. Faudra faire sans. Dommage : je pense que c’est une entrée décisive, pour l’écologie, dans les classes populaires.

Heureusement, pendant ce temps, un petit village gaulois, le groupe de travail national "Alimentation", a préparé un tract succulent pour la campagne Eva. Miam ! Vous le trouvez en cliquant ici.

Mais je passe la parole à Bondy-Blog pour raconter le Bataclan ! !

Bon, je vous raconterai mes vacances plus tard.



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