La bataille des jardins familiaux de Villejuif
par Alain Lipietz

samedi 25 juin 2011

Mercredi 15, une lutte écolo comme je les aime : nous avons rendez-vous aux vieux Jardins familiaux de l’Epi d’Or à Villejuif, pour un pique-nique de mobilisation.

Visite des jardins avec Natalie Gandais et Marianne Jaouen (EELV Villejuif et Cachan)

Ces 103 jardins (103... comme les paysans du Larzac !) constituent un petit paradis en lisière de Villejuif . C’est une réserve de biodiversité et surtout un trésor de convivialité mûri petit à petit par 40 ans de patient travail d’ouvriers et d’employés de Villejuif, de la vallée de la Bièvre, même de Paris... et toutes origines. Les jardiniers se retrouvent autour des pompes à bras qui prélèvent dans la nappe (« I/3 de litre par coup de pompe »). J’avais été émerveillé en découvrant ce trésor au fond d‘une zone industrielle, il y a un quart de siècle. Les haies, les arbres fruitiers étaient en fleurs, les insectes bombinaient, couvrant la rumeur de l’autoroute…

Ce paradis est souvent menacé. Il y a une quinzaine d’années, nous (les Verts et Villejuif Autremen) avions déjà dû mobiliser l’opinion pour éviter le passage d’une route de déviation. Aujourd’hui, c’est Cancer Campus qui les menace.

Nous sommes résolument pour le projet Cancer Campus. Nous avons toujours pensé que les hôpitaux de Villejuif, loin d’être une charge, comme l’affirmait la mairie communiste, étaient une chance pour la ville. Cancer Campus est un grand projet de développement, avec 10 000 emplois et autant de logements, autour de l’Institut Gustave Roussy et des centres de recherche qui y sont déjà implantés.

Il est principalement prévu au nord du Parc Départemental des Hautes Bruyères. Et là, nous avons déjà dû intervenir pour négocier la réduction de son périmètre, qui mordait inutilement sur une zone pavillonnaire (ce dont la droite a tenté en vain, aux cantonales, de tirer un argument démagogique). Mais les jardiniers nous ont alertés, il y a quelques semaines, d’un projet d’extension, au sud du Parc, qui ne figure pas sur les cartes publiques du projet : l’implantation d’une faculté de pharmacie dévorerait 2/3 des jardins familiaux !

La ZAC du nord au Sud. Au centre, le parc avec la Redoute.

Clairement, il ne s’agit pas véritablement d’une opération interne à Cancer Campus, mais d’une tentative de son maître d’oeuvre, la SADEV, opérateur traditionnel (et peu écologiste !) des collectivités communistes de la banlieue rouge, pour valoriser encore plus l’opération.

Cancer Campus est piloté à la fois par l’IGR, le Département (communiste) et la Communauté d’Agglomération du Val de Bièvre (CABV), qui en a fait une ZAC, à valider avec son périmètre et son plan en septembre prochain, et a désigné, pour superviser l’opération, Daniel Breuiller, maire d’Arcueil... et Europe-Ecologiste. Mais la totalité de la futur ZAC se trouve sur la commune de Villejuif (communiste, avec socialistes et MRC, les écologistes étant dans l’opposition du fait du refus du PCF d’accepter la proportionnelle.)

Il s’agit donc de sauver les jardins tout en convaincant Daniel. Et le pique-nique a pour but de lui faire prendre la mesure du petit miracle biologique et social que constituent ces jardins...

Jeudi 23, nos élus, au conseil municipal de Villejuif, doivent présenter un vœu pour faire préserver la totalité des jardins. Notre première idée est de les faire exclure du périmètre de la ZAC (qui sera voté par le Val de Bièvre en septembre.) Nous présentons un vœu proposant : d’abord d’inscrire le bloc des jardins comme zone naturelle à valoriser dans le Plan Local d’Urbanisme de Villejuif ( comme il est d’ailleurs proposé dans les tracts de la mairie distribués à la population en vue du débat sur le PLU !), ensuite de les exclure du périmètre de Cancer Campus, enfin d’ouvrir une procédure de classement définitif (cf Site naturel classé), car même s’ils échappent à la ZAC, ils restent à la merci des appétits ultérieurs de promoteurs !

Dans l’après-midi du 23, Daniel Breuiller nous appelle. Il propose de modifier le vœu pour laisser la possibilité du passage d’une rue ouvrant la ZAC au nord-est des jardins, ce qui suppose de supprimer 3 ou 4 jardins, en échange d’une réimplantation ultérieure. Par exemple au sud, sur le territoire de l’Haÿ les Roses, en assurant la continuité avec les jardins familiaux des Castors. Nous avons déjà visité cette extension possible avec les jardiniers). On peut voir, sur la photos aérienne ci-dessous, le problème du coin nord-est, les deux groupes de jardins, et le délassé boisé entre les deux (mais attention, il est traversé par un aqueduc lui-même protégé... et l’Haÿ peut très bien avoir d’autres vues sur le sujet !).

Les 2 groupes de jardins

Mais le vœu est déjà proposé aux autres groupes. On prépare des amendements en ce sens. Le Conseil municipal commence, encerclé par les jardiniers. Le vœu passera en dernier, après un ordre du jour copieux. Devant la foule, les différents groupes multiplient les effets de manche sur tous les sujets. Ça traîne. Les jardiniers s’éclipsent les uns après les autres. Le vœu passe à 1 heure moins le quart de la nuit !

Notre conseillère municipale, Catherine Casel, présente le vœu dans sa première version et une pétition des jardiniers. Le PCF, assez méprisant , répond en substance que ces jardins sont très jolis mais qu’on n’arrête pas les progrès et qu’on les compensera à l’identique… sans préciser où ! Catherine propose alors la version amendée. La droite bondit sur l’occasion et propose la version « sans concession », comme elle l’avait déjà fait sur la zone nord.

On passe au vote, le PS se rallie à la position de la majorité communiste à laquelle il participe. Les jardiniers sont abasourdis. Leurs jardins seraient sacrifiés sur l’autel d’un projet d’urbanisation en pointillé ?

Mais la lutte n’est pas terminée… Le vote a au moins fait prendre conscience à la majorité communiste/socialiste de Villejuif qu’il y avait comme un problème.

Dès le lendemain, Daniel insiste sur la troisième partie de notre proposition, et suggère que le mieux serait en fait de les intégrer au projet Cancer-Campus, et de les classer en site naturel DANS le projet Cancer-Campus, en échange d’une intégration au projet (parcelles pédagogiques, herbes médicinales etc)… idée qui plait bien à certains jardiniers !

Le soir, dîner chez un ami de 40ans et sa compagne : Raymond Guglielmo, qui fut non seulement l’un des pères de la géographie critique, mais un pilier de la lutte des 103… du Larzac !



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