Epouvantable congrès.
par Alain Lipietz

mardi 3 mai 2011

Mois d’avril épouvantable après de délicieuses vacances : le congrès de Europe Écologie Les Verts est lancé. Désormais retraité, je ne comptais guère m’y investir. J’avais juste signé une contribution, RaRes, appelant à la poursuite de l’ouverture, à la construction de la coopérative et au rétablissement de la démocratie.

Et puis il y a eu les élections cantonales , le coup de poignard dans le dos à Cachan, où la direction verte nous a sacrifiés au PS pour un mystérieux plat de lentilles, et j’ai compris que même le militantisme local était désormais compromis par ces agissements et cette ligne de subordination à la sociale-démocratie. Puis les animateurs des « motions d’orientation » ont commencé à me solliciter. Et, après avoir hésité à signer la motion « Envie », j’ai décidé de signer la motion « Construire l’Ecologie pour Toutes et Tous », avec les artisans de Europe-Ecologie, Dany Cohn-Bendit, José Bové, Marie Bové, Yannick Jadot, Jean Desessard, etc… Eux, je savais ce qu’ils avaient vraiment fait pour le succès de cette magnifique aventure, qui nous avait hissés au même niveau électoral que le PS, et ouvert à la vie politique française des horizons nouveaux. Eux seuls correspondaient à ce que j’attendais en signant la contribution RaRes.

Je m’en suis expliqué assez longuement ici, le 14 avril. Bien sûr, j’ai de très proches ami-e-s politiques sur toutes les motions, mais mon diagnostic n’a pas été infirmé jusqu’ici : les autres divergences (notamment : Eva ou Nicolas ou pas de candidat du tout) divisent toutes les motions. Tout juste peut-on dire que les positions « autonomie des écologistes » (par exemple : présenter partout aux élections régionales des liste EE, ouvertes à 50% de non-verts ; ou bien : partout se maintenir au second tour des cantonales face à la gauche productiviste quand il n’y a pas de candidat de droite…) sont plutôt dans CETT que dans la motion « Maintenant ». Mais bon, cet enjeu est pour le moment caché… même si dans la motion Maintenant on en est déjà à se disputer les places de ministres :-D !

Cette motion de la direction, Maintenant, était présentée comme la motion unanime de synthèse de la direction sortante. Et elle a réussi en effet à regrouper les signatures de tous les anciens « chefs de tendance » des Verts et de pas mal de « divers » venus à Europe Ecologie qui ont été élus sur les listes régionales. La question de la démocratie a dorénavant franchi un seuil critique. Nous en sommes au stade où des militant-e-s, des cadres/animateurs , des salarié-e-s, pensent et confient qu’ils n’ont plus d’avenir ni professionnel, ni en interne, ni électoral, dans le mouvement EELV s’ils ne rendent pas hommage à cette direction incarnée par Cécile Duflot et Jean-Vincent Placé . Ne nous voilons pas la face : c’est un moteur auto- entretenu du regroupement "Maintenant". Cette évolution est classique, archi-connue et étudiée dans l’expérience des partis communistes staliniens, mais pas seulement eux : l’UMP et tous les partis centralisés autour d’une poignée de leaders fonctionnent ainsi.

L’erreur de certains sociologues est de penser que les partis de ce type fonctionnent seulement « à la terreur et à la clientèle » . En réalité, c’est pour commencer un simple effet de théorie des jeux. Bien sûr la carotte (« on te réserve une circonscription… tu seras ministre… ») et la menace du bâton (cf le mot célèbre de JVP à Mireille Ferri, qui avait fait mine de se présenter contre lui aux régionales « toi, t’as pas fini de descendre ») jouent un rôle. Mais le succès principal est d’avoir fait passer l’idée « hors de mon Eglise, point de salut. » Cette prophétie devient auto-réalisatrice.

On s’attendait donc à ce que la motion officielle rafle la quasi-totalité des signatures. Eh bien ce n’est pas ce qui s’est passé. Les deux motions critiques, Envie et CETT, ont recueilli la majorité des signatures ! Et une quatrième, « Objectif Terre », correspondante de l’intéressant courant inter-partis Utopia, a fait un joli score.

Sur l’ensemble des signatures « validées » pour les différentes motions, les 2370 signatures se répartissent ainsi :

Motion « Maintenant l’écologie » : 42,7%

Motion « Construire l’écologie pour toutes et tous » : 33,2%

Motion ENVIE : 19%

Motion « Objectif Terre » : 5 %

Par ailleurs, des motions ponctuelles ont obtenu assez de signatures pour être mises aux voix . dont 3 avec plus de 150 signatures : « Pas de projet écologiste sans projet culturel ! », « Laïcité n’est pas racisme ! », « Remettre la publicité à sa place »

Cela ne présage pas du résultat des votes en congrès décentralisé, le 29 mai. Mais dès que flux des signatures critiques s’est précisé, un tir de barrage a commencé pour discréditer les leaders de CETT. Sa cible principal allait être Dany Cohn-Bendit, évidemment l’ennemi principal du développement d’Europe Ecologie !

D’abord ce fut une fausse rumeur, selon laquelle Dany aurait signé un appel dans la presse à présenter un candidat unique de la gauche, sous-entendu DSK. Il est vrai que Dany exprime parfois ses doutes sur l’opportunité d’avoir un candidat (réflexion taboue dans EELV), un autre jour il pousse Eva Joly, un autre jour il appelle Nicolas Hulot à s’inscrire dans les « primaires » de EELV… Dany pense tout haut. Faut écouter ce qu’il dit, réfléchir, en prendre et en laisser. Il apporte les pavés, à nous de construire les murs, et quand il trouve que ces murs nous enferment, il balance les pavés. C’est comme ça depuis 43 ans.

Mais là, il n’avait rien signé du tout, c’était un bobard ! Et la vraie liste des signataires (de Hessel à aux animateurs de ATTC et de Copernic !), aussi intéressante que l’appel, est parue le lendemain. J’ai commenté ce texte ici, un texte à lire, à réfléchir, à discuter, pas à sataniser.

Et quand la motion CETT est apparue comme une vraie menace pour la direction, le tir de barrage s’est élargi, pour la faire invalider ! Comment ? en tentant de faire invalider par le « Conseil statutaire » la liste de candidats à la direction statutairement associée au texte (procédure à mon sens discutable : on peut être d’accord avec un texte d’orientation, mais faire confiance à quelqu’un d’une autre motion pour bien gérer le mouvement).

Sur le « fond » (au sens de « on touche le fond »), les accusations sont passablement ridicules pour un mouvement qui a pour objet de sauver la planète. Trois des six candidats mis en cause furent accusés de ne pas avoir versés leurs cotisations : ils ont pu faire la preuve du contraire ! Restent trois délinquants sur lesquels portent des charges plus lourdes.

La même accusation était portée contre Dany (ne pas reverser une cotisation sur ses honoraires d’eurodéputé). Or Dany restait avec des frais non remboursés (31000 euros) à l’issue de la magnifique campagne de 2009 qu’il avait conduite. Au lieu d’en exiger le remboursement immédiat, les finances vertes étant à sec, il se remboursait progressivement sur ces cotisations d’élu (méthode qui a été utilisée à mon égard lorsque j’ai moi aussi concédé une grosse avance aux Verts). Des portes flingues ont porté « l’affaire » devant la presse, et, piteusement renvoyés à cette dette du mouvement à l’égard de Dany, l’attaquent maintenant pour avoir consenti ce prêt… et l’avoir caché. Une opération bien calculée de « victimisation » ! Du coup, je dois essayer de récupérer les frais qui ne m’ont pas été remboursés lors de mon harassante participation à la campagne de 2009.

Laurence Vichnievsky était aussi en cause. Je l’avais sollicitée pour les régionales et nous avions longuement discuté des lourdes pertes sur ses revenus professionnels que cela entraînerait (elle allait être nommée à la cour de cassation). Elle ne pouvait pas se présenter en Ile de France pour des raisons légales et a dû se présenter en PACA. Il a été entendu dès cette époque qu’elle retranchait ses frais de transports résidence – circonscription de ses cotisations d’élue.

Stéphane Gatignon état le principal délinquant. C’est la direction de la motion « Maintenant » qui lui avait demandé de prendre la tête de liste régionale dans le 93, alors qu’il est maire de Sevran. Personne ne lui a dit qu’il se le mettrait ainsi dans « l’illégalité » des Verts. Lui avait-on caché sciemment ? Je ne le crois même pas. La vieille « grille de cumul » des Verts était caduque depuis que Noël Mamère et D. Voynet, qui étaient député et sénatrice-maire, avaient été désignés par les militants comme candidats à la présidence de la République !. On avait juste demandé à Stéphane d’abandonner son poste de conseiller général (au profit d’un copain Vert, qui vient d’ailleurs d’être élu) ainsi que ses présidences au conseil d’agglo et à un établissement public : ce qu’il a fait. L’exhumation de cette règle de cumul maire/Conseiller régional, règle qu’il n’a jamais votée et qu’il a « violée » sans le savoir, à la demande des dirigeants verts, relève de ce qu’on appelait autrefois « félonie ». Son recours devant le conseil statutaire ayant échoué, Stéphane a jeté l’époge. Ce praticien de la politique de banlieue populaire (où il triomphe là où de nombreux/ses dirigeant-e-s de Maintenant échouent) manquera à la direction du mouvement, d’autant qu’il est désormais bien seul à poursuivre le combat contre l’imbécile prohibitionnisme en matière de cannabis.

Restent donc les deux cas Dany et Laurence. Le conseil statutaire s’étant défaussé sur le bureau exécutif pour régler cette histoire d’arriérés (pas les militants, les dettes…), une réunion du Bureau exécutif , dramatique, a eu lieu par téléphone. L’affaire est remise au Conseil fédéral, parlement du parti, le 15 mai.

Ces tentatives pour invalider une motion (recueillant un tiers des signatures !) avant le congrès sont sans précédent dans le passé des Verts (auxquels j’ai adhéré en 1988). À elles seules, elles justifient la mobilisation démocratique que représente la motion CETT.

Si je remonte dans mon passé militant, je me retrouve il y a bien longtemps. C’était en 1972, Michel Rocard, secrétaire national du PSU, avait rompu avec ses anciens amis devenus à ses yeux trop « mouvementistes » : ils avaient lancé en effet un dispositif de co-élaboration politique, avec les associatifs et syndicalistes de la nouvelle gauche, les « Assemblées Régionales Ouvrières et Paysannes. Pas très différent du projet de coopérative d’Europe Ecologie ! Comme ils avaient emporté la direction de la fédération d’Ile de France, Rocard l’a dissoute, et a enterré les AROP. Nous devions ré-adhérer individuellement. Certains le firent, d’autres (dont moi) allèrent fonder un intéressant groupuscule (la GOP), la plupart quittèrent le militantisme de parti. Le PSU ne s’en est jamais relevé. Quelques années plus tard, Rocard se rapprochait du PS au point d’y adhérer.

Pas très encourageant ? Sauf que le nihilisme de la direction entraîne une réaction des « colombes » de la motion Maintenant, tels Philippe Meirieu (président du Conseil fédéral), qui a proposé de régler ces histoires d’arriérés dans une commission financière ad hoc.

Le pire n’est jamais sûr (sauf en matière nucléaire, ça va de soi).

Et à par ça ? Bien des choses… Les galéjades de Kokopelli sur Fukushima, le « hoax » sur la fin des médicaments à base de plantes le 1er mai (hi !hi !), les sottises de la FFF sur les quotas de blancs dans les centres de formation de foot, et bien sûr l’actu du terrorisme (Marrakech/Ben Laden) qui éclipse les massacres du printemps arabe… De tout cela je discute sur Facebook, média qui profite de sa forte interactivité. J’avais promis de reporter tous ces débats sur mon site. Reste à…



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