Pacte civique et Sénatoriales
par Alain Lipietz

mercredi 2 février 2011

La politique électorale envahit progressivement la scène écologique et nationale, alors même que le débat sur le fond (celui de la transformation sociale et de la conversion verte) semble s’épuiser sans avoir commencé. Est-ce une caractéristique de la "démocratie creuse" d’aujourd’hui ? Méfiance...

La presse se fait écho des violents affrontements à la fin du conseil fédéral provisoire (CFP) d’Europe Ecologie - les Verts, sur la date de désignation du (de la) candidat-e à la présidentielle. Empoignade qui cache la forêt : Europe Ecologie patine en matière de démocratie, d’invention d’une nouvelle façon de faire de la politique, et en matière de projet.

Dans la société, le débat sur le projet n’avance pas non plus. On est très loin des grands débats de société qui avaient précédés par exemple l’élection de 1981 ou celle de 1997. Libération et Marianne ont tenté de relancer avec les Etats Généraux du Renouveau à Grenoble. Énorme succès public, débats extrêmement intéressants, mais même Libération n’a fait un reportage que sur le cirque de Mélenchon et l’embarras de Jean-François Kahn. Alors à quoi ça sert ?

Localement, la bataille des cantonales est lancée, particulièrement dans le Val-de-Marne, et interfère puissamment avec la question des sénatoriales... qui vient de mettre en crise la fragile coopérative Europe Ecologie - Les Verts. On va commencer ce billet par là.

Val-de-Marne

Le Val-de-Marne est le dernier bastion communiste de l’Ile-de-France et même le dernier bastion tout court avec l’Allier.

Le Conseil Général est à majorité communiste, le département a deux sénateurs communistes et un socialiste.

La crise du parti communiste y est plus progressive qu’en Seine-St-Denis avec la formation de groupes citoyens municipaux, qui se coordonnent sous le nom de Gauche Citoyenne. Gauche Citoyenne compte plusieurs maires (Arcueil, Orly, Limeil-Brévannes...) et de nombreux conseillers municipaux qui participent aux élections sénatoriales comme grands électeurs. Cet électorat de gauche flottant hésite entre Europe Ecologie et le Parti de Gauche, dans la proportion deux tiers / un tiers jusqu’ici.

Europe-Ecologie a nettement progressé dans ce département, aux européennes comme aux régionales. Légitimement, les écologistes souhaitent obtenir au niveau départemental et sénatorial une représentation plus juste des aspirations de leur électorat. Nous avons donc demandé au PS et au PC de présenter des candidatures communes rééquilibrant la composition du Conseil Général et du Sénat. Le PC a accepté une liste commune qui donnerait probablement 1 sénatrice de plus à la gauche (une écologiste), mais au niveau cantonal ils refusent avec acharnement de « partager », comptant sur la faible mobilisation des électeurs pour maintenir de très anciennes positions acquises il y a plus d’un demi siècle.

Ecologistes et socialistes ont donc décidé de faire alliance sur le département pour les élections cantonales afin de tenter un réequilibrage du Conseil Général. Dans certains cas, des cantons devront être conquis sur la droite et dans d’autres sur le parti communiste. C’est le cas par exemple à Villejuif, où Europe-Ecologie a fait quasiment jeu égal avec le Front de Gauche aux élections européennes, et où les scores Verts + PS aux dernières cantonales pesaient plus que les votes communistes, mais qui est représenté par deux conseillers généraux communistes. Nous soutenons donc (nous : PS, Europe Ecologie - Les Verts, Gauche Citoyenne, Villejuif-Autrement...) un candidat écologiste (François Labat) sur le canton ouest tandis que Europe-Ecologie soutient la candidate socialiste (suppléant MRC) sur le canton Est...

Cet accord provoque la fureur du parti communiste qui, sans admettre qu’il est l’unique responsable de cette division au niveau cantonal, menace de rompre son accord au niveau des sénatoriales. Dans ce cas il y aura une liste socialiste-écologiste contre une liste Front de Gauche, et probablement il n’y aura que 3 sénateur de Gauche élus par les grands électeurs. Soit : 1 communiste d’une part, un socialiste et une écologiste d’autre part, soit au contraire et comme maintenant 2 communistes et un socialiste. On verra bien. Mais dans le cas où il y aurait deux listes, il faudra avoir une excellente candidate écologiste, susceptible de rallier les voix entre Front de Gauche et écologistes !

Quant à la campagne des cantonales, elle a extrêmement bien commencé mardi dernier à Villejuif par une réunion-débat en présence de Cécile Duflot et Benoît Hamon. 120 personnes se pressaient dans la petite salle de la Maison pour Tous Gérard Philippe, alors que le PC n’a pu lancer sa campagne que devant une petite centaine de personnes...

Nous comptons porter le débat sur le fond, en organisant un cycle de « débats du Mardi », avant de publier un programme de synthèse à la fin du mois de février.

++++CFP et sénatoriales

Hélas ! Ce week-end se réunissait le Conseil Fédéral provisoire d’Europe Ecologie.

Il est provisoire parce qu’il maintient une parité Verts / ex non-Verts, en attendant l’AG du printemps prochain.

Pour ma part, j’étais à Grenoble le samedi, et j’ai dû m’occuper de ma mère le dimanche après-midi. Je n’ai donc pas assister au cirque sur la date du choix de notre candidat présidentiel. Ce qui ne m’empêche pas de donner ici mon avis.

Cette bagarre sur les dates est extrêmement désagréable et typique de moeurs importés du parti socialiste. Si on veut avoir le débat « Hulot ou Joly », ayons-le tout de suite mais sur le fond. Pour moi, le problème avec Hulot c’est qu’il n’est toujours pas clair sur l’abandon du nucléaire, que Ushuaia a laissé des souvenirs peu écologistes, et qu’il ne s’inscrit pas encore clairement dans le regroupement des écologistes (voir l’article dévastateur du Canard enchaîné de cette semaine). Le problème avec Joly, c’est qu’elle a encore trop d’accent (ce qui la rend parfois inaudible, en particulier de l’électorat populaire… ayant un autre accent) et ne sait pas se bagarrer dans un débat télé.

Mais le choix de la date ne doit pas être fixé de façon à « embêter » Eva Joly. C’est vrai, Eva Joly a intérêt à une élection rapide car elle doit cumuler cette campagne pour la désignation avec la présidence de la commission Développement au Parlement européen. Elle ne va pas démissionner de la présidence de cette commission très importante pour nous, si finalement elle n’est pas choisie comme candidate ! Tous les militants écologistes devraient avoir l’élégance de le comprendre. Ceux qui jouent la montre pour la désavantager jouent en fait contre le travail des écologistes en direction du Tiers Monde.

Mais ces minables manoeuvres ne sont pas pour moi le plus grave de ce qui s’est passé ce week-end au CFP. La confusion qui en a résulté doit être d’ailleurs principalement attribuée aux fatigues d’un débat de fin de week-end. Elle ne doit pas masquer le vrai scandale de cette CFP : le débat sur les sénatoriales, ou plus exactement sur la douzaine de candidatures intégrées dans des listes unitaires avec le PS et à ce titre considérées comme plus ou moins « éligibles ».

Il est vrai qu’il avait été fort mal préparé. Le CNIR « élargi » avant la fusion des Verts et de EE avait rappelé que la décision était de compétence nationale (ce qui est vrai, mais il faut voir ce que cela veut dire) tout en laissant la possibilité de « consultations » de la base. Ces consultations ont eu lieu dans un certain nombre de départements. Elles ont abouti à la désignation de candidats préférés, dans un certain ordre.

Traditionnellement, les Verts disposaient d’une Commission électorale qui avait pour mission de rééquilibrer nationalement les votes locaux (par exemple : par tendance, mais surtout pour assurer la parité homme/femme). Une Commission électorale paritaire, comprenant la moitié d’ex non-Verts, a donc été créée. Mais, au lieu d’assurer l’équilibrage de desideratas locaux, elle s’est crue autorisée à les ignorer totalement, et a présenté au vote du CFP trois scénarios bloqués parachutant des candidats totalement inconnus localement, sous prétexte soit d’équilibrage entre ex-courants des Verts, soit de représentation d’ex non-Verts.

C’était le cas notamment à Paris (où les militants d’Europe Ecologie, toutes tendances confondues Verts et non-Verts, avaient choisi Alice Le Roy, auteure d’un reportage écologiste célèbre, et se voient bombarder une inconnue mais ex-Cap 21). C’est le cas en Maine et Loire mais un des scenarios est conforme au vote des militants.

En Val-de-Marne, le courant EEA des ex-Verts voulaient imposer une de ses représentantes (Suzanne, une amie, par ailleurs fort aimée dans le mouvement.) Les Val-de-Marnais avaient choisi Annie Lahmer, figure des luttes locales, ancienne attachée parlementaire européenne et actuellement directrice de cabinet de Jacques Boutault, d’où elle organise mobilisations et colloques pour toute l’Ile de France. Et ils n’avaient accordé… qu’une voix à Suzanne. Pourtant la Commission elctorale ne présente aucun scénario intégrant Annie Lahmer, et imosent au Val de Marne soit Suzanne , soit… Esther Benbassa, dont il n’avait jamais été question.

Que penser de telles pratiques ? Tout d’abord elles sont totalement inadaptées à la question qui nous est posée : désigner une bonne candidate Europe-Ecologiste au vote des grands électeurs pour le Sénat.

Les Verts sont contre le Sénat et pour la fusion-réorganisation des compétences région/département. Mais ils sont pour l’existence d’une deuxième chambre "des régions et collectivités territoriales" représentant non pas les préférences des citoyens au niveau national, mais la préférence des citoyens regroupés par collectivités territoriales. Le « Sénat de la VIème République » restera d’ancrage territorial. Et en tout état de cause, quand on s’engage dans une élection, on y va dans le cadre constitutionnel existant. Aux Sénatoriales, ce sont les « grands électeurs » (c’est-à-dire les élus, principalement conseillers municipaux) qui votent, et ils tiennent particulièrement à cet ancrage territorial.

Choisir un parachutage c’est donc risquer l’échec... ou alors profiter de ce qu’une candidate est noyée dans une liste qui la fera élire. Et nous avons vu qu’il y a de forte chance que ça ne soit pas le cas dans le Val-de-Marne : la candidate-sénatrice écologiste du Val-de-Marne devra aller chercher le vote des grands électeurs avec les dents, si elle est opposée à une liste Front de Gauche.

Mais par ailleurs, cette élection était la première occasion de constater qu’après un an et demi de transition, la fusion était réalisée dans EELV qui prévoit explicitement dans ses statuts la fin du lotissement des candidatures par courants internes. L’agression de la Commission électorale contre les militants est de ce point de vue extrêmement grave. D’autant qu’en présentant plusieurs scénarios, elle aurait pu avoir l’élégance de présenter au moins UN scénario conforme aux votes des militants !

Je monte à la tribune avec quelques autres pour protester. Nous déposons une motion demandant à la Commission électorale de se remettre au travail. Elle est rejetée par 2/3 des voix. Le vote a lieu ensuite et choisit la liste qui donne satisfaction aux militants du Maine et Loire... mais pas du tout à Paris et au Val-de-Marne

Dés le lendemain, la Commission administrative provisoire du Val-de-Marne (exécutif qui regroupe à parité Verts et non-Verts) vote à l’unanimité une protestation contre ce tour de force qui compromet grandement la conquête d’un nouveau siège à gauche pour le Val-de-Marne, et que ce siège soit écologiste. Il va de soit que je continue à soutenir la légitimité de notre candidate, Annie Lahmer. Cela dit, j’ai une grande admiration pour Esther Benbassa, pour son travail en faveur du dialogue entre juifs et musulmans, et entre Israéliens et Palestiniens, pour sa lutte en faveur de la liberté religieuse et du respect des minorités. Elle serait aussi une bonne sénatrice du Val de Marne. C’est pour moi un grand embarras d’avoir à combattre une candidature dont par ailleurs je serais fier !

++++Pacte civique

Des débats sur le contenu ? on en a eu plein aux Etats Généraux du Renouveau, organisés par Libération, Marianne et une pléiade d’associations.

Problème : je ne sais pas qui va en faire la synthèse politique et pour quoi en faire.

Je participe toute l’après-midi à une succession d’ateliers organisés par Patrick Viveret, Jean-Baptiste de Foucault, Claude Alphandéry et leurs amis. L’idée : déboucher sur un « Pacte civique » proposé aux partis et candidats (selon le modèle du pacte Hulot de 2007). L’originalité, c’est que le pacte comprend non seulement une liste de politiques publiques, mais également un engagement proposé aux citoyens et aux élus sur la manière de se comporter soi-même ! Il s’agit essentiellement de revaloriser la valeur « responsabilité ».

J’interviens pour souligner que cela va beaucoup plus loin qu’une exigence politique. Très certainement la gravité de la crise actuelle, équivalente à celle qui provoqua la Seconde guerre mondiale et déboucha en France sur le programme du Conseil National de la Résistance, exige ce double niveau d’engagement : un nouveau modèle de société, une vision du monde partagée, y compris individuellement, par des citoyens du monde responsables.

Le paradoxe : un tel pacte doit recueillir bien plus de 50 % pour que ses politiques soient mises en oeuvre, mais, tel qu’il est présenté par JB de Foucault, avec sa dimension « conversion », il ne s’adresse pour l’instant qu’à une élite ou à une mouvance politique fondant son action sur la « responsabilité ».

Le pacte est déjà signé par exemple par le président de la LDH et celui d’ATD Quart Monde, qui est présent et objecte par ailleurs : « Je ne sais pas si ce niveau d’exigence peut être assumé par une victime de l’exclusion sociale ».

Je remarque : « Mais justement, dans la Résistance et à la Libération, des pauvres se sont engagés pour un nouveau modèle de société et une nouvelle citoyenneté, et pas seulement les cadres passés par la Résistance et l’Ecole des cadres d’Uriage. Mais beaucoup se reconnaissaient dans un parti qui faisait l’apologie du stalinisme. Le problème aujourd’hui est que beaucoup d’exclus qui se « convertissent » le font via l’Islam ou le Pentecôtisme. »

Là-dessus, Claude Alphandéry intervient : « Oui, je dirigeais à l’époque un maquis dans la Drome. Nos troupes, c’étaient surtout des paysans. Tous rêvaient d’une démocratie sociale ».

Je suis exterminant ému d’entendre un partenaire politique évoquer ses souvenirs de la Résistance comme origine de ses engagements. Claude, comme Stéphane Hessel, a soutenu Europe-Écologie aux régionales. C’est une immense responsabilité pour nous, de s’inscrire dans une telle filiation. Il n’en est que plus déprimant de voir ce que certains cherchent déjà à faire d’Europe-Ecologie. Mais je suppose que c’était déjà le cas à la Libération…

À part ça : la direction de la Sncf a franchi un nouveau cran, beaucoup plus satisfaisant, dans l’examen critique de la collaboration de l’entreprise à la Shoah. Les mots sont dits, et avec force, par le président Guillaume Pepy. Cela dit, il s’accroche néanmoins au mythe « on était contraint , on ne pouvait pas faire autrement ». On ne pouvait pas faire très différemment, certes, mais le problème est que la direction de l’époque en a « rajouté ». Voir sur ce point mon commentaire du discours de Pepy.

Et à propos de Stéphane Hessel, j’ai signé avec lui une tribune sur « Quelles sanctions européennes contre Israël ? ». On peut la critiquer, mais ça évitera de faire dire à Stéphane n’importe quoi.



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