Ingrid et Juan Carlos
par Alain Lipietz

mercredi 23 février 2005

Mercredi, je fais un aller-retour Strasbourg-Paris-Strasbourg pour la commémoration du troisième anniversaire de l’enlèvement d’Ingrid Bétancourt. L’organisation est un peu bizarre : trois points de rassemblement et de recueil des signatures, à l’Hôtel de Ville, sur le parvis de Notre-Dame, à St Michel. La petite troupe des responsables Verts retrouve la famille d’Ingrid sur le parvis de Notre-Dame. Les journalistes s’attardent longuement sur les enfants d’Ingrid, les merveilleux Mélanie et Lorenzo, ainsi que sur ses neveux, les enfants d’Astrid, sa sœur, qui sont là aussi. Le père des enfants est là, ainsi que son second mari, Juan Carlos Lecompte.

En une petite intervention je fais le point sur la position de l’Union européenne (telle qu’elle a été rappelée par la Commissaire aux relations extérieures, Bettina Ferrero-Waldner),ma conversations avec le président Uribe (mais je sais maintenant que la « libération unilatérale de guérilleros » était bidon), avec les responsables vénézueliens après l’incident Granda (il se confirme en effet que Granda servait d’intermédiaire entre la France et les Farc).

Il fait froid, il neige, il n’y a pas grand monde. Les difficiles relations entre les « deux familles » d’Ingrid sont palpables. J’ai pu suivre depuis longtemps les difficultés entre la soeur et la mère (Astrid et Yolanda) d’une part, Juan Carlos de l’autre. La famille d’Ingrid a cru longtemps en la bonne volonté du président d’Uribe. Juan Carlos, devenu leader du parti Oxygeno Verde en remplacement d’Ingrid, n’y a jamais cru...

Je reprends rapidement l’avion pour Strasbourg, mais à Orly, j’achète le livre de Juan Carlos, Au nom d’Ingrid (Denoël). Je le lis d’une traite jusque tard dans la nuit, souvent les larmes aux yeux. C’est un excellent livre. Avec une extrême simplicité, Juan Carlos y raconte la vie du mari d’une otage, et au delà, de tout ce réseau de familles d’otages, d’anciens otages, qui s’entraident en un immense SOS-Amitié.

Juan Carlos raconte très bien. On n’oubliera pas de si tôt la galerie de portraits qui défilent, les anecdotes à la fois tragiques et cocasses, comme ce « Maestro » traîné par les Farc à travers les montagnes avec sa couverture en « peau de pute », et qui adorait les orchidées. Il empruntait les fusils à lunette des guerilleros pour observer celles qui étaient trop loin, et avait pu cultiver un petit jardin d’orchidées dans un de ses lieux de détention ! Ou encore la confrontation entre les chamanes de la Sierra de Santa Marta et les paramilitaires autour d’Ingrid qui, en extase, ne se rend compte de rien.

Juan Carlos éclaire une série d’incidents bizarres. Il montre bien comment le départ d’Ingrid pour San Vincente del Caguan était tout à fait naturel, puisque le maire de cette ville était le seul élu Vert de Colombie (je l’avais invité au Parlement européen), et qu’elle avait l’habitude de s’y rendre, y compris pour parler avec les Farc. Il détaille la fameuse histoire de la libération ratée au Brésil. Il est sans indulgence pour la duplicité des Farc et du président Uribe, qui n’ont intérêt ni l’un ni les autres à procéder à l’échange.

Je retrouve surtout le caractère attachant de Juan Carlos. Il ne cache pas son passé d’ancien play-boy, forcé au sacerdoce de son épouse disparue. Par certains aspects, il fait penser au héros de « La chambre verte » de François Truffaut. Je retrouve cet appartement où il m’avait accueilli, et où toutes les affaires d’Ingrid sont encore à leur place. Nos relations de sympathie se sont approfondies quand il a appris le cancer de ma compagne : lui, comme Astrid et Yolanda, ont aussitôt assimilé leur malheur et le mien. Juan Carlos, toujours avec une grande pudeur et une grande simplicité, ne cache rien de cette situation de « demi-veuf », ni les problèmes de son absence de vie sexuelle, ni sa difficulté à prier, lui qui est athée, aux côtés de Yolanda.

Un très très beau livre, aussi passionnant qu’émouvant.



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