Europe-Écologie : ça ne va pas si mal !
par Alain Lipietz

mardi 20 avril 2010

On me l’a reproché : je délaisse ce blog au profit de ma page Facebook. C’est vrai que ce truc est très addictif ! Super-réactif, mais les débats lancés sur Facebook disparaissent en quelques jours sous le fatras des messages. Tandis qu’il y a encore des lecteurs pour intervenir sur les forums de billets de mon blog, vieux de plusieurs années !

Bon, je vais essayer de rectifier, de mieux partager mon temps. En un mois, on a eu sur Facebook des débats intéressants sur « Le jeu de la mort » de Christophe Nick, sur la déclaration du Vatican comparant les accusations contre le laxisme des évêques face aux prêtres pédophiles à… l’antisémitisme, sur la question des voyage aériens suspendus par le volcan, etc. J’aurais mieux fait de les lancer par un texte sur mon site, comme je l’ai fait pour la burqa, j’y retrouverais moi-même mes petits…

Autre débat : les retraites. J’ai pondu un texte… mais sur mon blog d’Alter Eco ! C’est là, cliquez. Vous pouvez le discuter ici ou là-bas… C’est en fait un développement de mon intervention à la conférence de presse de l’Appel Faire entendre les exigences citoyennes sur les retraites. Allez voir et signez –le !

Et puis bien sûr il y a le débat sur la « crise de croissance » d’Europe Ecologie. J’avais signé l’appel du 23 mars qui prenait résolument parti pour une structure politique unique Les Verts-EE, j’ai participé à une réunion, le 14 avril, dans la suite de l’appel du 22 mars de Dany, et à un « Festival du développement durable » du Collectif 21 de la région de Pau, j’ai participé à la première réunion Europe-Ecologie du Val de Marne, et à la « réunion de crise » entre animateurs nationaux des Verts et d’Europe Ecologie.

Eh bien ça marche plutôt bien. Les idées évoluent très vite, on n’hésite pas à changer d’avis grace à la discussion, c’est très bien.

À la réunion en Béarn (très gros succès, 1500 personnes sont passées), un homme d’un certain age, béret, m’accoste : « Je suis vert, ancien maire de Mourenx ». Je me souviens : la première des « villes nouvelles », créée pour les travailleurs du gaz de Lacq, cible des urbanistes anti-fonctionnalistes de Mai 68. « Mais tu étais maire vert ? — Non, communiste. Je suis resté communiste jusqu’à la fin de mon troisième mandat, puis j’ai rejoint les Verts. — Et les communistes sont sortis avec toi ? — Oui mais ils ne sont pas rentrés chez les Verts, En revanche ils viennent aux réunions d’EE, on y est cinq fois plus nombreux que quand on était Les Verts. »

Il y a là un vrai déclic difficile à interpréter . Qu’est-ce qu’ils reprochaient aux Verts qu’ils ne reprochent pas (pas encore ?) à Europe Ecologie ? À Poissy, le groupe EE est, me dit-on, très dynamique, il va au delà du groupe local Vivre sa Ville qui a soutenu notre campagne à la législative partielle d’Octobre, et dont la secrétaire, Sophie Renard, ma suppléante, est dorénavant conseillère régionale EE.

À la réunion « 22 mars » du 14 avril, Pascal Durand me demande d’introduire en présentant le « socle culturel de l’écologie politique ». Je résume en 10 minutes mon discours habituel (voir par exemple ici) sur nos valeurs fondamentales, explique que partager ces valeurs devrait suffire pour se définir comme Europe Ecologie. Le débat s’ouvre d’une part sur « valeurs et délimitation », d’autre part sur « Ecologie scientifique, écologie politique ».

La question de la délimitation est sensible. Si l’on définit a priori un « socle » de valeurs, ne risque-t-on pas d’exclure une partie de celles-ceux qui sont venus à Europe Ecologie ? Certes. Mais il faut bien partir de quelque chose : se déclarer écologiste, ce n’est pas n’importe quoi. Et dès qu’est abordée la question de la parité hommes-femmes, un type se met à hurler qu’on n’est pas venu pour discuter de ça mais d’organisation…

Il y a bel et bien un problème de délimitation idéologique et d’« acquis commuautaire » ! Il faut y faire tres attention, comme on le constate à la réunion Val de Marne. Dans ce département, la composante politique de EE est très forte : les non-Verts de la liste ont un fort passé politique (ex PCF, Gauche Citoyenne, MEI…). La réunion est convoquée le vendredi 16 avril au soir, date du début des vacances de Pâques ! On n’attend donc pas grand monde. Surprise : près de 100 personnes viennent débattre, réparties autour de tables de travail studieuses ! Des Verts ou ex-verts, des non-Verts « politiques ». Mais aussi des EE de base, alternatifs de terrain, AMAPiens, jardins familiaux, etc. Les « vrais gens de l’écologie ».

Eh oui : si on considère que les 42 % d’électeurs EE des européennes n’ont pas revoté EE aux régionales, il ne faut pas oublier qu’ils ont été remplacés (hélas insuffisamment sauf dans 3 régions) par une masse de « vrais gens » qui n’avaient pas été convaincus sur l’Europe mais l’ont été aux régionales. Qui sont-ils ? J’ai essayé de le déchiffrer d’après les sondages (voir mes deux billets de blog précédents) , mais là on les voit en vrai, et ils veulent continuer. Et ils viennent sur la base d’une « culture écolo ».

Au fond : ils attendent de EE une sorte de répondant politique d’une économie alternative, écologique, sociale et solidaire qu’ils promeuvent au quotidien.

Or justement, une tendance des Verts est à brader l’économie sociale et solidaire, qui semblait faire partie de l’acquis commun : « Du moment que les socialistes s’y intéresse, on va pas garder ça comme un ghetto ! Laissons leur, et retournons aux thèmes environnementaux et sociétaux. » Et de fait, le PS (mais aussi le PCF), qui a bien compris que les militants de l’ESS sont les « hussards verts de l’écologie populaire » ( on ne s’en était pas caché : cliquez ici ou  !! ), est décidé à reprendre le secteur en main. Les élus régionaux EE ont perdu ou abandonné la responsbilité de l’ESS dans les régions les plus emblématiques d’une tradition ESS verte, le Nord-Pas-de-Calais, L’Ile-de-France et la Provence-Alpes-Côte-d’Azur.

En Ile de France, le PS présente cash la facture : le contrat ESS négocié par la verte Francine Bavay dans la précédente mandature est suspendu pour un an en vue d’un réexamen ! Panique dans les communautés d’agglo, où l’on se demande s’il faut abandonner les projets , en pleine explosion du chômage, ou tenter de passer en force… Affaire à suivre.

Mais bien sûr, c’est la question « fédération ou coopérative » qui ouvre la crise. Depuis le début (et on n’aurait pas pu commencer autrement !) , EE fonctionne en fédération, voire en confédération, comme l’Union européenne. Des « négociateurs » dealent des compromis, au sein des Verts entre les courants historiques (qui viennent avec la pondération des mandat de l’AG d’il y a deux ans…) et entre les Verts et « les non-Verts », qui pour les uns sont des individus et pour les autres des représentants de partis, voire de regroupements de partis, comme Régions et Peuples Solidaires. Résultat : une expropriation totale des militants verts et non-verts par une sorte d’oligarchie de négociateurs qui , comme les gouvernements au retour des Conseils européens, expliquent à leur base stupéfaite : « on aurait bien voulu, c’est les autres qui voulaient pas ».

D’où la réaction « coopérativiste ». Une coop, c’est « Une personne une voix » et « Indivisibliité des bénéfices affectés au but social ». Cela signifie entre autres que les décisions sont prises par les militants et ne peuvent plus être ensuite tripatouillées pour des raisons « diplomatiques ». Cela signifie aussi que de fait il faut définir « Qui fait parti d’EE » , tout en gardant la capacité d’ouverture qui a permis à EE de « polleniser » dans la société civile.

Plus concrètement encore : y aura-t-il deux niveaux, EE comme cercle « large » et les Verts comme noyau, ou une seule structure politique de type nouveau ? C’est là-dessus que Dany Cohn-Bendit et Cécile Duflot ont semblé polémiquer publiquement. Des Verts soupçonnent certains animateurs de EE de vouloir créer une orga concurrente aux Verts, comme jadis Génération Ecologie. D’où cette « réunion de crise », l’après-midi du 16 avril.

Excellente réunion, qui désamorce les malentendus. Après une inroduction de Jean-Paul Besset, j’interviens au début pour dire en substance ce qui suit.

« En préalable, deux choses. Un : on ne dissoudra que ce qu’on aura remplacé. Les Verts ne pourront se fondre que dans quelque chose qui tient la route. Deux : y en marre de lire sur les listes vertes des insultes incessantes contre les non-Verts, que « nous, on cotise et milite depuis longtemps, etc. » Les Non-Verts militent dans d’autres structures depuis aussi longtemps que nous et y ont souvent plus « transformé la réalité ».

Maintenant, il faut choisir ; je suis pour la règle coopérative, une personne, une voix. Ce qui implique une auto-déclaration d’appartenance. En finir avec les accords inter-tendances ou inter-orga par dessus la tête des militants. Il n’y aura à terme qu’une seule organisation regroupant ex-Verts et ex-non-Verts.

Enfin, la nouvelle structure devra se donner les moyens d’un militantisme différencié, et veiller par dessus tout au maintient d’une co-élaboration de sa politique avec les associations de la société civile ».

Plusieurs non-Verts prestigieux interviennent en renvoyant l’ascenseur sur mon second point : ils ont trouvé les Verts très bien !

Dominique Voynet rappelle que les Verts ont déjà muté deux fois : lors de leur création (fusion de plusieurs partis) et lors de la fusion avec les morceaux de Génération Ecologie. Elle, maire de Montreuil, première ville de plus de 100 000 habitants conquise par les Verts sans alliance de partis, et Stéphane Gatignon, maire communiste de Sevran, deux villes de la banlieue rouge, lancent le même appel : « Si nous, EE, ne trouvons pas comment sauver Montreuil et Sevran face à la crie (et ce n’est pas l’Etat sarkozyste qui nous y aidera), comment pourrons-nous prétendre sauver la planète ? »

De nouveaux (surtout de nouvelles ) élus non-verts se plaignent de se faire engueuler tout le temps par la base. Je souris sous cape. On devrait se retirer des listes de débat Internet quand on est élu…

Dany désamorce la crise : « Bien sûr qu’il y aura une période de transition où les Verts subsisteront tant que EE sera en construction ». Jean-Vincent Placé lui répond assez agressivement et présente alors une proposition étrange : « Il y aura des Verts qui seront dans Europe Ecologie, d’autre non, c’est pas grave ». Proposition totalement ignorée par les intervention suivantes. Au contraire, la « coopérative unitaire » fait désormais l’unanimité. Le débat porte sur « A partir de quel moment faudra-t-il adhérer à EE pour participer à la définition de ce que sera et fera EE ? » (le débat de la poule et de l’œuf sur la structure, son « socle » et son action…)

J’insiste que ce débat est tout à fait détendu et « ouvert ». Par exemple, Cécile à Eric Loiselet (de Convergence-s, ex-PS) : « Je n’est jamais été pour une fédération. Mais quand toi tu disais, il y a six mois, que pour un certain temps vous souhaitiez garder votre identité de Convergence-s, je devais en tenir compte. Si vous n’y tenez plus , ce n’est plus la peine de parler de fédération ».

On se quitte soulagé. Mais des problèmes restent entiers. D’abord, les arguments en faveur de la fédération restent pertinent, parce que d’autres structures voudront s’ associer à EE sans s’y fondre, au moins un certain temps : RPS et je l’espère la FASE…

Ensuite, et c’est là l’essentiel : si les adhérents cherchent à EE ce qu’il ne trouvaient pas dans les Verts, c’est quoi au juste et comment le leur garantir ? Vaste débat , qui engage tout le problème de la subjectivité militante de ce début de XXIe siècle : individualitaire mais aspirant à la coopération, en vue du Bien commun…



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