Europe Écologie. Bernard Langlois. Guy Marimot, Marie-Renée Legrand
par Alain Lipietz

lundi 8 février 2010

La campagne Europe Ecologie d’Ile de France s’ébroue enfin, tandis que l’UMP étend sur la France une lourde chape raciste à visée électorale, sous le prétexte d’identité nationale et de débat sur la burqa.

J’avais déjà donné ici mon point de vue sur l’identité nationale et sur le foulard islamique. Je suis tombé récemment sur un texte remarquable de Victor Hugo que l’on peut largement transposer à la burqa. Je vous l’ai mis ici. Du coup je viens d’écrire « ce que je pense actuellement de la burqa », c’est là.

J’ai un peu travaillé aussi à mettre au net des interventions qui peuvent intéresser certaines et certains, comme sur « où en est la crise » ou sur le débat des biens communs globaux. Je me suis un peu évadé pour une conférence sur l’écologie, à Rabat, mais maintenant la campagne va progressivement me prendre à plein temps. Un mot quand même sur un retraité, Bernard Langlois, et sur deux amis disparus.

EE Ile de France

Ca commence à embrayer.

Depuis mon précédent billet le site a fait des progrès.

Le programme est sorti. Hélas ! Ce programme est très en retrait par rapport à ce qui s’écrivait cet été et se discutait cet automne. Il confirme mon analyse des candidats retoqués : l’économie sociale et solidaire y est vraiment à portion congrue et surtout, tout ce qui concerne l’alimentation des pauvres ou l’écologie du travail a disparu. C’est ne pas comprendre que, face au pouvoir sarkozyste, les régions ont en charge d’organiser la résistance, et que, si elles n’ont pas beaucoup de moyens, elles en ont quand même, ne serait-ce que par l’importance des contrats publics qu’elles passent, leur rôle dans l’alimentation via les cantines etc…

Plus grave : la formation professionnelle, responsabilité propre de la Région au même titre que les transports en commun, se retrouve en portion congrue. Mais là, c’est une véritable faiblesse de l’élaboration collective des écologistes. Nous savons que notre programme sera énormément créateur d’emplois, et d’emplois assez spécialisés dans certaines branches, et nous n’avons toujours pas produit la politique de formation professionnelle qui va avec, malgré une présence déjà longue dans les conseils régionaux où nos élus sont censés suivre le dossier.

Je le dis tranquillement aux électeurs : tout ça, c’est pas grave. Les mini-coups de force de certains à la direction de la campagne n’empêchent absolument pas les militants et les candidats d’assumer pleinement leur rôle de défense des plus démunis. On le constate dans les réunions publiques qui s’auto-organisent sans financement officiel, comme dans les réunions ayant le label de la campagne.

Par exemple, lors de la présentation à la presse de la liste d’Europe-Écologie Val-de-Marne, présidée par la tête de liste d’Ile de France, Cécile Duflot, chacun a pu dire ce qu’il voulait et qui reflète certainement beaucoup plus le consensus des militants que ce programme hélas restrictif.

Vous constatez peut–être que la page et la video de cette présentation sont hors du site officiel. Oui, comme une bonne partie des propositions mises en œuvre sont issues de la base qui s’auto-organise et s’autofinance si l’on peut dire de façon décentralisée, lasse d’attendre… Et d’ailleurs est-ce grave d’utiliser comme réseau social Facebook plutot que le réseau EE ? Je suis impressionné par la résilience, la force de ce mouvement politico-social qui, sauf peut-être dans des départements gravement blessés (comme le 95), passe outre aux obstacles venus de sa propre direction.

++++Langlois

Bernard Langlois tire sa révérence dans Politis

Le chroniqueur infatigable et l’âme du journal s’en va. Mais il s’en va sur une sorte de… désaccord avec lui-même.

Ses justifications sont parfaitement légitimes : il reconnaît que son terrible pessimisme est dorénavant contradictoire avec l’orientation d’un journal qui a quand même une vocation militante de mobilisation. Chapeau Bernard, pour une telle lucidité et une telle honnêteté.

Ce pessimisme de Bernard, je l’avais constaté il y a déjà bien des années. Nous avions déjeuné ensemble et nous étions tombés d’accord sur nos divergences : moi je croyais qu’on pouvait encore améliorer le monde, lui pensait que dorénavant il ne pouvait plus aller que de mal en pis. Cette divergence essentielle explique toutes les autres, y compris son choix de voter blanc à chaque élection, y compris son refus des secours au Kosovars ou de sortir du traité de Maastricht par le référendum de 2005.

Bernard avance une autre raison tout aussi légitime : il en a marre de cette astreinte d’un bloc-notes toutes les semaines. Ça, je le regrette, car, si je n’aimais plus le contenu de sa chronique, j’en aimais encore la chaleur humaine et le style… et comme disait Buffon, « le style, c’est l’homme… ».

Personnellement, j’éprouve les mêmes difficultés à tenir ce blog-ci, qui n’a plus la fonction, comme dans les 5 ans de ma seconde mandature de député européen, de compte-rendu de mandat permanent. Je n’ai plus de mandat, et donc je ne me sens plus d’obligation. Or, la concurrence qu’exercent sur mon temps dorénavant « libre » (quelle blague !) d’autres moyens de communication de mes réflexions, comme Facebook ou mon blog sur Alternatives économiques, ou encore la mise au net de mes conférences, me bouffent une bonne partie de ma retraite…

Petit détail amusant : Bernard Langlois se replie lui aussi sur un blog, et Denis Sieffert parle de « Blog-notes ». Or blog était justement une contraction de bloc-notes et de log-in ! En espagnol on dit bitácora, c’est-à-dire carnet de bord. En ce qui me concerne, mon blog n’est pas seulement un journal me servant de mémoire externe, me servant à retrouver moi-même ce que j’ai dit, vu, entendu ou fait, mais c’est déjà une première ébauche d’élaboration, un premier pas dans la transformation de l’expérience en conscience, un peu comme le bloc-notes de François Mauriac (toute proportion gardée...)

++++Guy, Marie-Renée

J’apprends sur une liste que Guy Marimot est décédé.

Guy était d’abord un infatigable militant handicapé, et pas seulement un militant de l’handicap.

Dés mon entrée aux Verts, il m’avait impressionné par son acharnement à vaincre les obstacles, son énergie. Il s’était pointé chez moi à Villejuif début juillet 1989, sur sa chaise roulante, car il devait rattraper en catastrophe la non-organisation des journées d’été des Verts… prévues pour fin août !!! Depuis, nous avions toujours été plus ou moins dans les mêmes courants de la gauche des Verts, et je restais toujours impressionné par son ouverture et son courage. Non moindre était celui de sa compagne Murielle à qui, récent veuf moi-même, j’adresse des condoléances qui ne sont pas du tout, et elle le sait, de pures formes.

J’avais repéré, par ailleurs, sur une liste de solidarité avec la Palestine, la mort d’une « Marie-Renée Legrand ». Un ami me confirme qu’il s’agit bien de Marie-Renée Morvan-Legrand. Cette nouvelle n’est relevée nulle part. Pourtant Marie-Renée était une personnalité extraordinaire. Si, un jour, j’écris un vrai roman de qualité, l’un des personnages sera certainement inspiré par elle.

Marie-Renée Morvan était au début des années 70 une jeune paysanne du Finistère, mère de 6 enfants, dont la beauté volontaire (cheveux très courts, yeux bleus, sourire ferme) paralysait de timidité le jeune militant que j’étais. Dans la terrible grève du lait de 1970, où les paysans refusèrent pendant 11 jours de livrer le lait aux entreprises laitières qui les « intégraient » (y compris à leurs propres coopératives !) pour exiger une hausse de leur revenu net, se posa vite le problème que toutes les vaches devaient quand même être traites. Que faire de ce lait qu’on ne livrait pas ? Marie-Renée su mobiliser les femmes de façon autonome, pour ressortir les vieilles barattes et produire du beurre. Au-delà de cette solution « technique », ce fut un spectaculaire exemple d’autonomisation des femmes à l’intérieur d’un mouvement de lutte sociale.

Bientôt cette autonomie féministe de Marie-Renée devait l’entraîner dans de graves conflits avec son propre mari, dirigeant syndical paysan. Ils finirent par se quitter. À force d’engagement, cette jeune paysanne intégra le personnel soignant de la [Clinique de La Borde] de Jean Oury et Félix Guattari.

Je l’avais suivie hélas de plus en plus loin, jusqu’à douter qu’il s’agît bien d’elle parmi ces victimes des tensions de la Marche pour Gaza de Noël dernier, au Caire. On en trouve trace sur Google… mais elle était dorénavant une psychanalyste aussi engagée que reconnue. Qui saura encore d’où elle venait, si ce n’est sa famille et de vieux militants ?

Marie-Renée était de ces personnages qu’il suffit d’avoir connus pour ne pas regretter d’avoir consacré sa vie au militantisme.

PS Je vous ai déjà parlé de ma « thérapie de troisième age » par laquelle j’essaie de me creuser un trou hors du militantisme, jusqu’à ce que je puisse me remettre à mon Mallarmé : des essais en littérature de gare, simili-nouvelles policières mais qui restent très politiques. La dernière, Le sextoy éjaculteur, suscite sur ILV des « commentaires » qui me permettent d’en préciser certaines clefs. La guerre commerciale avec la Chine reprend sur les chaussures : le sujet n’est pas prêt d’être épuisé !



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