La crise d’Europe-Écologie Ile de France
par Alain Lipietz

jeudi 28 janvier 2010

Alors que je suis plongé dans un jeu de Tetrix entre les dates des zones de vacances et les multiples invitations à des réunions-débats des listes Europe-Écologie à travers la France, je reçois un coup de téléphone du Val d’Oise : « Il faut remettre ta venue prévue pour le 8 février, la liste du Val d’Oise vient d’exploser, la moitié des Verts l’ont quittée. Elle ne sera pas réparée à temps pour le 8, il faut que tu viennes début mars ». C’est-à-dire la période la plus encombrée…

Raison de cette crise du « 95 » ? La direction de campagne a eu la main particulièrement lourde, imposant les candidats « non-verts » sans concertation (ce qui est peu admissible) et, ce qui est plus grave, ne tenant aucun compte du vote des militants dans la composition de la partie « verte » de la liste (ce qui est inadmissible).

Le problème, c’est que, incompétence ou sabotage ou les deux, ces couacs se multiplient. Ils engendrent la désorganisation technique et, ce qui est plus grave, affectent l’orientation politique de la liste EE en Ile de France.

Techniquement, tout se passe comme si la campagne était organisée en fonction de l’apparition médiatique de quelques têtes d’affiche. C’est n’avoir rien compris à ce qui a fait une part du succès de la campagne européenne de l’an dernier (en particulier la différence avec Bayrou) : elle s’est faite dès janvier, six mois à l’avance, à pieds, à l’ancienne, dans les préaux, et dans l’indifférence totale des médias. Cette fois nous sommes à 7 semaines du vote, et nous n’avons reçu en tout et pour tout que 12000 tracts A5 appelant… au meeting national de Montreuil. Un « 4 pages » a bien été imprimé, dans l’indifférence générale : une galerie de photos de têtes de listes de tout la France sans aucun contenu programmatique, qui n’a même pas intéressé les militants. Indistribuable.

On touche là une seconde ignorance des leçons de l’an dernier : le succès aux européennes tenait à la combinaison d’un « casting » expressif et du programme précis qui va avec. Or les équipes qui planchaient dans l’enthousiasme sur le programme Ile de France cet été ont été dispersées, découragées par la direction de campagne. À sept semaines du vote le programme n’est même pas public, malgré des réunions de la base qui en ont discuté le contenu en décembre.

Or une régionale ne se gagne pas sur des têtes (Huchon ???) mais sur un programme et des compétences pour le mettre en oeuvre. Nous les avons, mais la direction de campagne semble bloquer leur apparition.

Bon, les écologistes ne sont pas manchots, et dans mon coin, l’agglomération du Val de Bièvre, nous nous concoctons 4 « évènements de campagne ». Mais nous ne pouvons même pas compter sur le site web EE de la campagne : malgré toutes les promesses de septembre, impossible d’y créer des groupes Europe Écologie, pas de réseau social.

C’est pas grave, on se débrouille avec les instruments existants : les listes des Verts, googlegroups…

Mais ce dédain de l’instrument houèbe traduit un phénomène plus grave : l’éviction d’une partie des « ecologeeks ». Le choix est fait en haut lieu : élimination sans remplacement de la liste des éligibles sur Paris, puis de la liste tout court, de la fée Perline, pilier de la lutte contre Hadopi et de la défense du logiciel libre (tant par son rôle de conseil aux associations, de vulgarisatrice de Spip, d’auteure de livres sur la bataille du Libre, etc.), puis entrée sur la liste de Sanseverino. J’aime bien la musique de Sanseverino, mais il a quand même signé en défense d’Hadopi !

Ici on touche au cœur du problème, un problème politique. J’étais enthousiasmé par EE en septembre-octobre (voyez mon blog !), par cette magnifique convergence des mouvements sociaux et de dissidents de la vieille gauche, autour de l’écologie politique.

L’élimination des militants du Libre est peut-être une étourderie ? Quand elle s’accompagne de l’entrée d’un partisan d’Hadopi, c’est une décision politique.

La bataille du Libre et contre Hadopi a pourtant pesé lourd dans le succès du 7 juin. Dany, c’était pour beaucoup le porte-drapeau de… l’amendement Cohn-Bendit au Parlement européen, dans la bataille du « paquet Telecom ». On pouvait admettre des divergences sur ce point dans la liste, comme il y a de plus pro-sionistes et de plus pro-paletiniens. Mais éliminer le mouvement social de l’Internet libre, que soutiennent officiellement Europe Écologie et Les Verts, et faire rentrer la ligne opposé est un choix délibéré. Et pourtant, j’insiste solennellement auprès des électeurs potentiels : les Verts et EE sont pour le Libre, pour la Licence Globale et contre Hadopi. Ce choix est le fait exclusivement de la direction de campagne, sans aucune consultation de qui que ce soit.

Or la Région est un énorme « grand compte » dans l’équipement logiciel, par ses multiples services, et surtout parce qu’elle équipe les lycées… Un soutien potentiel à ce mouvement de qui s’en va.

Résultat : on annonce la formation d’une liste du Parti Pirate (du Libre), conduite à Paris par… Perline, et susceptible de nous grapiller des pourcents... si les Pirates arrivent à couvrir l’Ile de France.

Ce n’est pas le seul mouvement social éliminé sans phrase. On a déjà parlé de l’éviction de LA spécialiste de la malnutrition des plus démunis : Christine César, dans le 93. Or nous aurons à prouver, dans les lycées encore une fois, que le « passage au bio » ou du moins à la nourriture saine n’est pas un luxe de bobo, mais une exigence de justice sociale environnementale. C’est raté.

Plus grave si l’on peut dire car cette fois il n’y avait pas à ramer à contre courant : la liaison santé-environnement-travail. Le Vert André Cicolella avait commencé à se tailler une réputation médiatique quand les évènements se sont précipités, avec les suicides chez Renault puis France Telecom. La question des accidents de travail a été exacerbé par la scandaleuse taxation des indemnités des accidentés du travail, dont j’ai parlé au trimestre dernier. Deux meetings ont été organisés par la Fondation Copernic, dont la présidente, Caroline Mécary, a accepté d’être sur nos listes. J’y ai représenté Cécile Duflot. Ce mouvement a sa revue : Santé & travail

L’amiante est le symbole même de ces combats contre un crime industriel devenu crime de l’Etat de par son silence complice, jusqu’à ce que Chirac cède. C’est une des premières victoires de l’écologie sur le lieu du travail, et en même temps de prise en charge de leur propre lutte par les malades victimes du productivisme, un mouvement social particulièrement important, commencé à Jussieu dès 1968 et qui ne touchera hélas que trop tard les victimes chez Ferodo, et maintenant partout.

La télé vient de consacrer QUATRE émissions à cette tragédie qui fait (et fera encore pendant trente ans) plusieurs milliers de morts par an en France :

*Amiante, le prix du silence, France 5

*Mourir d’amiante, France 3

*La mort lente de l’amiante, Arte (le DVD sort le 29 janvier)

* Et enfin (vous le verrez peut-être) : 100 000 cercueils : le scandale de l’amiante , France 2 à 22 h 50, demain jeudi 28.

L’homme qui a incarné ce combat, François Desriaux, avait accepté d’être sur nos listes, en place éligible, pour mener en Ile de France un combat exemplaire à partir des cahiers de charge de la région. Il fut, dix ans, le président de la fameuse Association des victimes de l’amiante (ANDEVA). Il est rédacteur en chef de la revue Santé & Travail.

Encore en position bien éligible en décembre, il était quand même, jusqu’à la semaine dernière, en position inéligible sur la liste de son département, le 94. Il n’y est plus. Décision de qui ?

Europe-Écologie Ile de France a certes un bon potentiel de départ : 20 % le 7 juin, 6 points devant le PS. Il peut se permettre d’en dilapider un peu. Pas trop, quand même. Car l’Ile de France, l’une des deux mégapoles polluantes d’Europe occidentale, a besoin d’une direction écologiste.

Une crise est faite pour être surpassée. Et les militants sauront sauver la campagne, contre la direction de campagne s’il le faut. Car nous n’avons ni planète de rechange, ni Europe-Écologie de rechange.

À part ça ? Ça va. Comme je l’ai dit au début, ça doit boomer dans les autres régions : je suis saturé d’invitations, j’y ai déjà fait plusieurs réunions-débats avant les vacances de Noël et j’ai recommencé cet année (le 21 janvier en Picardie, à Compiègne, sur l’emploi, en présence du leader des Conti, Xavier Mathieu)

Et j’ai fini mon devoir de vacances, une longue nouvelle loufoque mais très politique sur un mystérieux complot de spameurs cherchant à provoquer une guerre commerciale entre l’Union européenne et la Chine. C’est là, cliquez, lisez et surtout critiquez : Le sextoy éjaculateur.



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