Europe Ecologie : la nouvelle vague
par Alain Lipietz

vendredi 23 octobre 2009

Le succès électoral d’Europe Ecologie désormais confirmé, je reviens vers son succès « social » auquel, en compagnie de Natalie Gandais-Riollet (porte parole des Verts Ile de France en charge des acteurs sociaux), j’ai contribué à ma mesure pendant tout l’été.

Le phénomène est si important que la presse et l’Université commencent à s’en apercevoir ! Dans Le Monde même Sylvia Zappi a remisé son aigreur contre les écologistes. Mercredi 21, je participe à un débat à Bordeaux sur le thème « l’Ecologie est-elle durable ? » co-organisé par Sud Ouest et l’Institut d’Etudes Politiques. Vous trouverez ici l’intégrale de ce débat.

Bordeaux, Aquitaine ? J’apprends, la veille du départ, qu’une polémique se lève avec la proposition de Noël Mamère de confier la direction de la liste Aquitaine-Ecologie à Marie Bové.

Dans le train, contact au téléphone avec Cécile Duflot, qui m’explique que Noël, ayant décliné les amicales pressions des Aquitains, a proposé trois noms, deux vertes et Marie Bové, que celle-ci acceptait avec enthousiasme, qu’il en a parlé à la direction régionale des Verts qui n’a pas élevé d’objection. Cette candidature à la tête de liste est sortie dans la presse sans la moindre considération d’un très mauvais timing : le scandale Jean Sarkozy à la direction de l’EPAD.

Je me prépare donc à affronter les critiques des étudiants. Eh bien pas du tout. Le problème n’est même pas évoqué. Pour ces jeunes qui ont l’âge de Jean Sarkozy, Marie Bové est une femme qui pourrait être, sinon leur mère, du moins l’aînée de leur grande sœur, qui a fini ses études, qui travaille depuis longtemps.

Cela dit, je suis d’accord : son patronyme la dessert, et prête le flanc à l’amalgame. J’interroge les dirigeantes vertes à la sortie de la conférence. Non, elles ne trouvaient pas d’autres femmes associatives candidates tête-de-liste pour l’Aquitaine…

C’est un problème dont il faut être conscient. Dans la deuxième quinzaine de novembre, les Verts et (par un processus inconnu mais qui promet bien des couinements) les associatifs d’Europe Ecologie auront à choisir les têtes de listes dans 26 régions et une centaine de départements. Cela en tendant vers une double parité, hommes/femmes, et Verts/non Verts. On tiendra le plus grand compte des choix locaux, bien entendu, mais cette double parité ne pourra être assurée que de façon centralisée. Chaque région a donc intérêt à anticiper en choisissant elle-même des femmes non-vertes.

C’est ce que vient de faire la région Provence Alpes Côtes d’Azur en approuvant chaleureusement la candidature de Laurence Vichnevsky, avocate générale et ancienne juge d’instruction dans l’affaire ELF aux côtés d’Eva Joly. Cette candidature de Laurence nous avait été suggérée, à Natalie et moi, par Eva. Nous avions discuté avec elle. Le problème était bien sûr que, contrairement à Eva désormais en marge de la magistrature française, Laurence est proche du sommet de la carrière d’une magistrate : la nomination à la Cour de cassation. Nous lui avions proposé de différer sa candidature jusqu’à ce qu’elle en ait fini avec son travail d’avocate générale dans le procès en appel de l’Erika. Elle s’en était ouverte à sa hiérarchie qui l’avait du coup privée de cette prestigieuse mission, qu’elle avait pourtant longuement préparée.

Cette candidature est un immense honneur pour les écologistes. Il traduit le niveau de reconnaissance sociale auquel l’écologie politique est enfin parvenue.

Mais revenons à Marie Bové. Son principal défaut est, on l’a vu, son patronyme. Autre défaut, secondaire : si elle a fait la majeure partie de sa carrière à Marseille, elle a dû revenir, pour des raisons personnelles, à Bordeaux et accepter un emploi de collaboratrice du groupe socialiste à la Communauté Urbaine. Ce problème n’est pas pour moi dirimant : ma première assistante au Parlement européen avait été collaboratrice du groupe communiste au Sénat ! Et elle n’avait vraiment rien de pro-nucléaire…

En revanche Marie a trois atouts : femme, jeune (la génération de Cécile Duflot) et… associative. Et pas n’importe quelle association : elle a travaillé pendant 7 ans pour le CCFD, Comité Catholique contre la Faim et pour le Développement. Ce qui ne veut évidemment pas dire, si elle est choisie en novembre, qu’elle « représentera le CCFD », pas plus que Yannick Jadot ne représentait Greenpeace… Mais elle représentera évidemment, et elle ne sera sans doute pas la seule, la sensibilité CCFD au sein des listes Régions-Ecologie.

Arrêtons-nous un peu sur cette sensibilité. Les listes Europe-Ecologie ne s’étaient prudemment ouvertes, au niveau tête-de-liste, qu’aux associatifs « environnement ». Les listes Régions-Ecologie vont refléter la variété des mouvements impliqués dans l’écologie politique au sens large. En réalité : tous les mouvements sociaux faisant référence aux valeurs écologistes de solidarité, autonomie, responsabilité environnementale, féminisme, pacifisme... Exactement comme, il y a trente ans, les Verts européens sont nés de la fusion des mouvements environnementalistes, autogestionnaires, féministes, anti-nucléaires, contre les Pershing et les SS 20…

Naturellement, les mouvements de solidarité avec le Tiers Monde y auront toute leur place. Ce qui soulève incidemment la question des mouvements liés aux Eglises (et soulèvera peut-être la question de mouvements liés à l’Islam). C’est un fait que, aux derniers Forums Sociaux Mondiaux de Nairobi et de Belém, près de la moitié des participants français étaient venus avec des mouvements d’église, Secours catholique, CCFD, MRJC, JOC, ACO…

Je l’ai constaté sur le terrain dans les Yvelines : comme dans les années 60, il redevient difficile de faire de la politique sans prendre en compte cet engagement par le biais des mouvements religieux. Et il est clair que le succès d’Europe-Ecologie doit beaucoup au bouche à oreille à travers les réseaux tiers-mondistes (Coordination Sud), mais assez particulièrement à travers le CCFD.

Autre nouvelle tombée cette semaine : la composante « refondatrice ». Coup sur coup, le maire d’Arcueil, Daniel Breuiller, annonce son ralliement à Europe-Ecologie et le Maire de Sevran, Stéphane Gatignon, rend publique une lettre à Marie-Georges Buffet demandant au PCF de négocier plutôt avec Europe-Ecologie qu’avec les sociaux-démocrates ou les trotskiste pour les régionales.

L’un et l’autre sont les héritiers de cette vague « refondatrice » qui, avec Charles Fiterman, avaient quitté le PCF, soutenu la candidature de Dominique Voynet aux élections présidentielles de 1995, et n’ont que très partiellement rejoint Verts. La barrière culturelle était trop forte (Dominique Voynet devra arracher Montreuil à Jean-Pierre Brard). Beaucoup de ces militants post refondateurs s’étaient réfugiés dans les structures du militantisme municipal, sans référence à un parti national : phénomène assez présent dans le Val de Marne sous le nom de Gauche citoyenne, mais qui s’étend désormais (on l’a vu à ses assises du 11 octobre à Arcueil, auxquelles j’ai participé) un peu au delà.

Plusieurs militants de la Gauche citoyenne avaient participé à l’aventure Europe Ecologie. Si le phénomène s’approfondit à l’occasion des régionales, ce sera un coup de tonnerre dans l’ancienne « banlieue rouge ». Car si la « barrière culturelle » était trop forte à la génération précédente, il n’en est plus nécessairement de même aujourd’hui. Un maire-adjoint d’Arcueil, président de l’agglomération, m’avait soutenu lors de la législative de 2007, un autre avait soutenu Europe-Ecologie…

Problème : ces militants se sont trouvé souvent dans la situation de « plus proches concurrents des Verts » dans la décennie écoulée, aux élections locales (municipales et cantonales), et ces contradictions n’étaient pas toujours dénuées de fondement !

Puissent les Verts se rendre compte que lorsque qu’on passe de 5 à 20 % des voix on franchit un saut qualitatif. Les vielles disputes avec les « plus proches concurrents » vont désormais devoir se gérer à l’intérieur du mouvement.

Des rapports avec les écologistes centristes, j’ai parlé dans mon billet précédent. La fracture annoncée se précipite aussi : de partout remontent les nouvelles de Cap 21 passant à Europe Ecologie…

Vous trouverez en cliquant ici un panorama de ce « big bang » des listes régionales d’Europe-Ecologie.

Et les associations environnementalistes dans tout ça ? Rassurez vous, elles ont de moins en moins de problème avec les « politiques » verts. Mardi 20 , le WWF m’invitait à prononcer la conférence introductive du débat de leur université de rentrée sur les aspects humains de la crise climatique. Occasion de revenir sur les aspects nord-sud de la conférence de Copenhague : je vous renvoie à cet article.



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