Douillet : l’étrange défense
par Alain Lipietz

lundi 5 octobre 2009

On se sent le vent dans les voiles. Chez les commerçants, sur les marchés, l’accueil est de plus en plus favorable. Le souvenir des élections européennes se réveille (« On a déjà voté pour vous, on va revoter pour vous »), l’écho de la 10e circonscription (Anny Poursinoff à Rambouillet) nous fraye la voie : « Perdre de 5 voix, on ne va pas laisser faire ça une deuxième fois ! ».

La réunion-débat de mercredi dernier à Carrières avec Mireille Ferri, la vice-présidente verte du Conseil régional chargée du Schéma directeur, est de haute tenue. On y parle du pont d’Achères, mais aussi des problèmes généraux de la « conversion verte » en Yvelines, des « O.I.N. » (ces machins bureaucratiques du gouvernement passant par dessus la tête des collectivités locales pour déménager les territoires), etc.

Lors d’une distribution de tracts devant un supermarché du sud de Plaisir, on croise d’ailleurs des électrices et électeurs de la 10e circonscription venus faire leurs courses depuis la commune voisine de Saint-Germain-de-la-Grange. Une électrice d’Anny m’avertit : « Certains de mes amis du PCF ou d’ATTAC n’ont pas voté pour Anny. Je connais vos livres, avec vous ça risque moins d’arriver. ». Je m’empresse de prendre contact avec mon collègue-candidat du Front de Gauche, François Delapierre, qui est effectivement un peu dur contre moi (m’a-t-il jamais lu ?). Mais il me confirme que bien sûr il me soutiendra au deuxième tour. Même chose chez mes collègues du Modem et du PS. Le front des écologistes, de la gauche et du centre se consolide pour le second tour.

Un sondage a d’ailleurs lieu dans la circonscription, probablement commandé par l’UMP. Il ne doit pas lui être très favorable, car vendredi après-midi les déclarations se précipitent : les deux candidats UMP (David Douillet à la législative et Valérie Pécresse à la régionale) se déclarent contre le circuit de Formule 1 à Flins !

C’est super : la défaite à un cheveu près d’Anny, plus un sondage qui m’est probablement favorable suffisent à inverser la position des candidats UMP… Il s’agit certes de petites manœuvres tactiques : seule mon élection compromettrait définitivement le circuit F1 et probablement le passage de l’A104 à travers la circonscription.

Les déclarations de Douillet et Pécresse n’en témoignent pas moins de la nervosité chez l’adversaire. Et pour la première fois Douillet fait une faute tactique. Jusqu’à présent il a impeccablement maîtrisé sa campagne. Sachant que l’UMP n’est pas au mieux de sa forme et que les projets de l’UMP yvelinoise sont rejetés par la population, il avait réussi jusqu’ici à ne pas parler de choix politiques, jouant simplement de sa notoriété de judoka et de Monsieur Pièces Jaunes de Bernadette Chirac. J’avais beau l’appeler à un débat public : il me renvoyait toujours vers son directeur de campagne, lequel feignait d’accepter un débat…privé, ou alors renvoyait sur Douillet, et ainsi de suite.

Mais les choses évoluent. Une campagne entièrement fondée sur l’image du candidat est susceptible d’être érodée…par l’érosion de cette image. Et justement : après l’allusion d’Eva Joly aux comptes de Douillet dans un paradis fiscal, le Liechtenstein, c’est au tour du Canard Enchaîné de nous révéler que David Douillet dirige la CFA Sport Engineering, bureau d’études dédié à la conception d’équipement sportif associé par exemple au groupe Vinci pour la conquête du marché du Vélodrome de Saint-Quentin-en-Yvelines. Le mélange des genres continue donc à l’UMP entre politique et affairisme personnel.

Ce changement d’image a-t-il pesé dans le sondage commandité par l’UMP ? Toujours est-il que l’équipe Douillet change son fusil d’épaule face à nos propositions de débat. On nous menace de porter plainte pour calomnie – oui,ce serait une calomnie que d’avoir dit dans nos tracts que Douillet soutenait le circuit de Formule 1 à Flin ! Et pour faire bonne mesure, le directeur de campagne nous révèle qu’il envoie des huissiers dans nos réunions-débats et que lui va porter plainte contre Eva Joly pour avoir relayé les articles de Bakchich et de l’Express !

Vendredi, le site d’information Mediapart annonce qu’effectivement Douillet porte plainte contre Eva Joly. Plainte qui n’a évidemment aucune chance d’aboutir : la dernière fois que Douillet a cherché à clouer le bec aux journaux qui parlait de ses comptes au Liechtenstein, (Bakchich puis l’Express) , il a perdu son procès et renoncé (selon Bakchich lui-même) à faire appel. En réalité, Douillet cherche désespérément à empêcher les médias d’en parler (et apparemment ça marche : un hebdomadaire des Yvelines nous avoue son embarras). Mais peut-être aussi cherche-t-il déjà des prétextes pour faire annuler l’élection dans le cas d’une défaite qui lui apparaît maintenant tout à fait possible.

Ce qui est grave dans cette affaire, c’est que le candidat UMP feint de ne pas comprendre où est le problème, et en quoi ça peut intéresser les électeurs. Personnellement, je n’ai aucune animosité contre lui : rien ne prouve d’ailleurs que ces comptes au Liechtenstein lui servent à frauder le fisc ! Le Ministère des finances a renoncé à enquêter car ces comptes remontent à plus de 3 ans… Peut-être déclare-t-il ses dividendes… Mais l’opinion peut supposer que s’il loge sa fortune dans un paradis fiscal, c’est qu’il a ses raisons.

Voici d’ailleurs en quels termes le Tribunal de Nanterre a débouté, le 17 avril 2008, David Douillet qui tentait de faire taire Bakchich. « Enfin, la bonne foi [des journalistes] doit s’apprécier en tenant compte de la légitimité du but poursuivi et de l’intérêt plus ou moins grand que présentent les données litigieuses pour l’information du public. Or, en l’espèce, l’évasion fiscale au moyen des comptes ouverts au Liechtenstein est un sujet qui a largement dépassé le cadre de la France pour concerner l’ensemble des pays européens et a amené de vives réactions de la part de différents gouvernements. Ainsi, l’information sur l’éventuelle participation de personnalités françaises à ces faits présente un caractère particulièrement légitime ».

Et quelle « personnalité » ! Les Français sont indulgents envers les sportifs qui choisissent la nationalité suisse ou monégasque pour réduire leurs impôts. Il en va tout autrement pour un candidat à l’Assemblée nationale française qui aurait, s’il était élu, à voter des lois, un budget. Or la question des paradis fiscaux est justement liée dans l’opinion publique aux dérives de la finance qui ont provoqué la crise de 2007-2008. Corruption ou paradis fiscaux, c’est économiquement la même chose : un détournement des ressources publiques au profit d’une personne privée. Ressources qui ne sont même pas utilisées par cette personne pour la « relance », lorsqu’elles sont placées à l’étranger. On considère que les pertes de recettes dues aux paradis fiscaux représentent 80 milliards d’euros par an pour la France, soit environ la moitié de son déficit budgétaire. Autrement dit, la politique « keynésienne » de relance par le déficit public pourrait être deux fois plus importante en France, à déficit égal, s’il n’y avait pas l’évasion fiscale.

Nicolas Sarkozy nous a réaffirmé à la dernière réunion du G20, à New York, qu’il avait terrassé les paradis fiscaux. Dans la réalité, le G20 n’a fait que blanchir leur activité en les sortant de la « liste noire » dès lors qu’ils s’ouvraient réciproquement leurs informations (c’est-à-dire, par exemple du Liechtenstein à Andorre, dont le Co-Prince n’est autre que Nicolas Sarkozy.) Bref, pour blanchir l’évasion fiscale qui sert souvent de recel à la corruption, on a autorisé les paradis fiscaux à se blanchir les uns les autres !

C’est ce débat extrêmement grave que David Douillet cherche à fuir en recourant à la menace pour éviter d’avoir à exprimer le fond de sa pensée sur le recours aux paradis fiscaux.

Mais une campagne permet la plupart du temps d’échapper à ces manœuvres sordides. On rencontre des gens extraordinaires, comme ce commerçant musulman de Carrières avec qui nous avons une longue discussion sur ce qu’est vraiment la laïcité (il exhibe du fond de son magasin le livre de la verte Françoise Duthu, Le maire et la mosquée !. On va danser avec le quartier de Beauregard, à Poissy, pour fêter la fin du Ramadan. On fait la tournée des églises romano-gothiques de Poissy à Thiverval, avec leurs clochers octogonaux. On assiste au pèlerinage littéraire de Médan, dans la maison d’Emile Zola, avec une conférence de Claude Lanzmann…



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