Batailles contre la droite, batailles écologistes
par Alain Lipietz

dimanche 13 avril 2008

Cette semaine, commissions et plénière à Bruxelles. Dommage, car le gros de l’actualité se passe en France : la bataille de la loi sur les OGM, les manifestations lycéennes contre la destruction de l’éducation nationale….

Europe

Les votes sur le « 3e paquet énergie et son Agence » ont été pour l’instant décalés de quelques semaines. Je participe donc in extremis aux autres débats de mes commissions, celle du commerce international (INTA) et celle des affaires juridiques.

En commission du Commerce international, votes intéressants sur l’accord d’association avec l’ASEAN (immense zone de l’Asie du Sud et de l’Est, comprenant à la fois des pays très pauvres et des nouveaux pays industrialisés devenus très riches). Contrairement à l’Amérique latine, cet accord a été défini d’emblée comme un « accord de libre-échange », et le Parlement s’efforce de rétablir la norme européenne, c’est-à-dire un accord d’association à trois piliers, politique, coopération-développement, et accord commercial.

Les votes sont relativement bons en INTA, néanmoins ça reste très « libre-échange » : les Verts s’abstiennent, tout en reconnaissant que finalement le résultat est pas mal. Cela dit, tout ceci n’a aucune importance pratique puisque, le TCE ayant été repoussé par la France et la Hollande, le Parlement européen n’a pas d’autorité autre que morale sur la négociation des accords internationaux.

« Autorité morale »… C’est ce que j’essaie d’expliquer à la revue Défis Sud qui m’interviewe cette semaine sur la politique agricole de l’Europe à l’égard des pays du Sud.

En commission juridique, on discute de la directive européenne introduisant les crimes contre l’environnement dans le droit pénal européen. Là encore, cette directive est un coup parti qui était fondé sur l’idée que le TCE serait passé avec son fameux article III-271 , et qui reprend du service sur l’hypothèse que le traité de Lisbonne va passer. Pour l’instant, on en est toujours à Maastricht-Nice, donc il n’y a pas de droit pénal européen. Mais avec la possible ratification du traité de Lisbonne, l’idée du droit pénal européen est relancée. Je rappelle que dans le TCE (et dans Lisbonne), ce droit pénal comprend tous les crimes transfrontières (trafic d’armes et de drogue, « trafic » d’êtres humains), mais aussi certain crimes locaux comme le proxénétisme (même sans franchissement d’une frontière !), et tous ceux que le législatif voudra y ajouter, donc les crimes contre l’environnement.

Nous perdons d’une seule voix la bataille en commission juridique, mais la plénière étant plus progressiste que la commission juridique, nous ne désespérons pas d’y gagner la bataille contre la droite.

Encore faut-il que le traité de Lisbonne soit ratifié. Il est très probable que ce sera le cas, car tous les gouvernements s’étant mis d’accord sur sa rédaction et ayant passé tous les compromis nécessaires les uns vis à vis des autres, les majorités parlementaires sont toutes censées l’accepter. D’autant que la nouvelle majorité parlementaire polonaise est plus pro-européenne que l’ancienne… dont le gouvernement avait signé.

Le seul suspense est le référendum en Irlande. Politiquement, les Verts, partisans d’un référendum européen, considèrent qu’il serait tout à fait anormal que le destin de 460 millions d’Européens se joue sur le seul vote de quelques millions d’Irlandais. Juridiquement, une déclaration des gouvernements (non contraignante mais engageant ces gouvernements) reconnaît que l’adoption du traité de Lisbonne sera soumise aux même règles que ce que définit le traité de Lisbonne pour la réforme future des traités, c’est-à-dire la règle des 4/5e : un traité est réputé adopté quand il est ratifié par 4/5e des États, et on discute de leurs cas avec les pays nonistes.

Sur le terrain, l’Irlande a commencé très hostile au traité de Lisbonne (20% de Oui l’automne dernier…) mais les Verts, qui sont actuellement au gouvernement, se sont engagés très fortement pour le Oui (à 63% lors de leur référendum interne). Ils semblent entraîner l’opinion, qui serait aujourd’hui majoritairement « Oui »…

Il est donc fort possible qu’au premier janvier 2009, l’Europe ait une nouvelle constitution remplaçant celle de Maastricht-Nice, certes moins bonne que le TCE mais permettant au moins d’adopter les embryons d’un droit pénal européen de défense de l’environnement, et permettant au Parlement de contrôler les accords commerciaux.

À propos de sondages… « L’eurobaromètre » vient de sortir un rapport sur la perception et la connaissance du rôle du Parlement et des institutions européennes par les citoyens de l’Europe. Cet ensemble coordonné de sondages , réalisé à l’automne (donc quand l’Irlande était noniste), est publié en mars… En matière de connaissance, presque partout, les Français arrivent dans le peloton de queue ! Il est vrai que c’est le seul pays qui, pendant six mois, a été bombardé de mensonges par la propagande du Non.

En revanche, quand on regarde ce que les citoyens voudraient, la France est un des pays qui souhaite le plus l’augmentation du rôle du Parlement européen (donc qui aurait normalement dû choisir le TCE et le traité de Lisbonne plutôt que le maintien de Maastricht-Nice !), tandis que très logiquement, l’Irlande et la Grande-Bretagne arrivent bons derniers. Bizarrerie, les Autrichiens apparaissent ensuite comme les plus anti-Parlement européen. C’est sans doute la trace de la condamnation par l’Europe de l’entrée de Haider dans leur gouvernement, en 2000. Le Parlement s’était porté en pointe. Nos copains Verts nous l’avaient dit à l’époque : « C’est peut-être une position juste, mais ça va coûter cher ».

++++France

C’est en France qu’ont lieu, hélas pour moi, les batailles les plus intéressantes cette semaine.

D’abord la bataille sur la transposition de la directive OGM, justement. On sait que la directive européenne prescrit la séparation des 3 filières (bio, classique et OGM) « de la fourche à la fourchette », mais ne dit pas comment. Un vote ultérieur du Parlement européen a précisé que cette séparation ne pouvait passer que par un « zoning », c’est-à-dire par la déclaration de « zones sans OGM », mais ce vote du Parlement européen (toujours à cause de la constitution de Maastricht-Nice !) n’avait pas valeur législative. Du coup, chaque pays transpose la directive un peu comme il veut, et le Conseil a envoyé paître la Commission européenne qui prétendait « interdire (à un pays) d’interdire » les OGM ».

Voilà donc enfin la France qui s’y colle (avec 6 ans de retard, mais on a vu pire avec la directive « Oiseaux ») et tout la bataille portait sur la question de savoir si certaines régions pourraient se déclarer « sans OGM ». C’est la fameuse bataille de l’amendement 252, où l’on a vu une partie de l’UMP voter avec la gauche contre les OGM. Rupture très intéressante avec la tradition : l’UMP n’est plus forcément du côté des gros céréaliers et de la FNSEA. Elle tient compte localement, et en particulier dans les terroirs d’appellations contrôlées, de l’hostilité aux OGM des petits et moyens producteurs...

Il faut absolument soutenir l’amendement 252 : signez ici la pétition, et pour continuer le combat, suivez Stop-OGM. Rejoignez la bataille des Jeunes Vert et de toute la jeunesse contre les OGM !

Deuxième bataille de la semaine, la mobilisation des lycéens contre les suppressions de postes d’enseignants. On l’avait annoncé dès l’été ici même, les cadeaux fiscaux fait par Sarkozy en période de vaches grasses seraient payés par les classes populaires dès le retour des vaches maigres. C’est maintenant. Et ce qui est épouvantable, c’est que Sarkozy sacrifie en priorité l’investissement d’avenir par excellence, l’éducation. Il n’est pas le premier de la droite à le faire : la dérive de la France vers le bas de la division internationale du travail en Europe date d’une trentaine d’années. Pendant ce temps-là, les nouvelles puissances émergentes de l’Asie de l’Est (Corée, Taïwan, Singapour etc) ont investi massivement dans l’éducation...

Troisième bataille, la tentative de supprimer la carte famille nombreuse. Là, la résistance l’a emporté en trois coups de cuiller à pot, au nom de la politique familiale. On oublie de dire que cette mesure, qui aurait rendu extrêmement chers les voyages en trains pour les familles, était aussi une politique anti-écologiste....

Bref, c’est la fin des critiques de diversion sur le « Président bling-bling ». La bataille n’est plus sur le style mais sur le fond (quoique le « style corrompu » à la Carlos Menem, c’est le fond qui se montre à la surface). Et le fond devient extrêmement brutal quand la crise écologique frappe les classes populaires de la planète, exactement là où René Dumont l’avait annoncé : « Nous allons à la famine ». Entre l’explosion démographique urbaine, le glissement des plus riches vers une consommation à base de viande (qui réduit d’un facteur 17 le rendement-protéines des terres arables pour l’alimentation humaine ), l’utilisation de ces terres pour donner à bouffer aux bagnoles (voir le combat des verts européens contre les agro-carburants, ici et ), et bien sûr le changement climatique, la nourriture devient rare et chère. Chez nous, elle est chère. Dans le Tiers-monde, elle est rare. Émeutes de la faim, grèves contre la vie chère : même combat écologiste !

Et puis, le week-end, on va enfin à Londres, Francine et moi, découvrir mon quatrième petit enfant, Romain ou Roman, fils de Barbara et Sasha. Bon, il n’a qu’un mois et pas encore très causant. Et comme je l’ai déjà mis en logo du billet de sa naissance, je préfère remettre sa sœur Lola quoique vous la connaissiez déjà.

Il faut dire que Lola est une merveille pour un député européen amateur de Chomsky : à deux ans elle parle indifféremment le français (sa langue maternelle), le bosniaque (sa langue paternelle, variante du serbo-croate dont une autre est langue officielle et même actuellement présidente de l’UE : le slovène), et la langue du sol, l’anglais. Et ne vous avisez pas de lui parler dans une langue qui n’est pas la vôtre : elle vous répond dans « votre » langue, et traduit pour celles et ceux qui ne peuvent comprendre…

Nous nous étions demandé dans quelle langue elle parlerait à son petit frère. Réponse : en français, la langue « maternelle ».



Reproduction autorisée avec la mention © lipietz.net http://lipietz.net/?page=blog&id_breve=297 (Retour au format normal)