Scandale au Parlement européen
par Alain Lipietz

vendredi 14 décembre 2007

Mercredi à Strasbourg était signée en grande solennité la Charte des droits fondamentaux par les trois institutions de l’Union, le Parlement, le Conseil et la Commission. C’est le moment qu’ont choisi fascistes, conservateurs anglais et certains communistes pour provoquer un scandale inouï dans cette enceinte. Cette session de Strasbourg a fait l’objet de quelques votes disputés mais pas très intéressants. Je m’y étais rendu lundi avec un crochet par Bruxelles pour rencontrer les représentants de la société civile bolivienne.

À part ça, mardi soir, le groupe Vert a fait sa fête de Noël traditionnelle (très, très sympa) et… on avance sur les actes du colloque « Amnistie… Amnésie… Impunité…Problèmes de la Justice transitionnelle ».

Scandale au PE

Donc, les trois institutions signaient solennellement mercredi la Charte des droits fondamentaux, permettant ainsi au Conseil européen réuni le jeudi à Lisbonne de signer le Traité modificatif faisant référence à cette Charte en lui reconnaissant valeur constitutionnelle.

Jusqu’à présent, cette Charte, qui synthétise à peu près tout ce qu’il y a dans les différentes déclarations européennes de droits civiques et sociaux, n’avait que la valeur d’une déclaration intergouvernementale signée à Nice. Comme le Parlement européen l’avait lui-même adoptée, il n’y avait plus à la Commission qu’à la reconnaître, et elle devenait de fait un objet juridique non identifié, une déclaration inter-institutionnelle européenne. C’est uniquement à partir de la ratification du TME qu’elle deviendra juridiquement opposable par les citoyens aux actes des institutions européennes et aux gouvernements dans l’application des politiques de l’Union.

Sans problème, le président du Parlement européen prononce un petit discours, mais au moment où le président du Conseil, le Premier ministre portugais Socrates, s’apprête à prendre la parole, les souverainistes de l’UEN, l’extrême droite villiériste (Indépendance et démocratie) et le « non-groupe » des fascistes français, roumains etc se lèvent en vociférant, avec des T-shirts noirs et des pancartes « Referendum ». On ne les avait pas vus aussi acharnés pour la démocratie directe lors de la signature et la ratification du traité de Nice ! Et comme en janvier 2005, une petite partie des « tories » conservateurs britanniques les plus réactionnaires se joint à eux.

"Tories" et extreme droite

Tout l’hémicycle les regarde, effaré : s’il est usuel (et particulièrement Vert !) de manifester silencieusement par des pancartes et des T-shirts, jamais personne n’avait osé perturber par des hurlements une cérémonie du Parlement. En 2005, la droite souverainiste manifestait en chantant L’Internationale et en criant « Union européenne égale Union soviétique », mais à l’extérieur de l’hémicycle.

C’est alors que, presque par hasard, certains tournent les yeux vers l’extrême gauche. Et horreur ! dans les rangs communistes (la GUE), des député-e-s déploient la même banderole, vétu-e-s des mêmes T-shirts !

C’est sans doute la première fois depuis l’Entre-deux guerres et les erreurs du Parti communiste allemand sous la République de Weimar (le KPD n’hésitait pas à manifester avec le parti nazi) que des fascistes et des communistes, non seulement font le même choix politique (ce qui arrive forcément même aux Verts), mais manifestent ensemble avec du matériel fabriqué en commun.

Communistes en chemises noires

Prestement, la banderole disparaît des rangs communistes, mais évidemment pas les T-shirts. Je me précipite vers les travées de la GUE pour essayer de comprendre. Au passage, la fabiusienne Pervenche Berès me dit « Mais nous aussi, on est pour un référendum, mais c’est pour voter Oui ! » Le groupe communiste est en plein chaos. La communiste d’Allemagne de l’Est, Sylvia Kauffman, sanglote (de honte ? sûrement de mauvais souvenirs…) L’excellent communiste italien Agnoletti, à grand renfort de moulinets de bras, me dit « Mais ce n’est pas du tout la position de notre groupe ! c’est un coup des communistes portugais et de quelques scandinaves »…

Les trois présidents (du Parlement, du Conseil et de la Commission) signent sous les quolibets de l’extrême droite. L’Hymne à la joie de Beethoven (hymne européen pour quelques heures encore…) retentit. Tout le monde se met au garde à vous, y compris les communistes, pendant que les fascistes et autres souverainistes continuent leurs cris de singes. Nous apprendrons le lendemain qu’ils ont traité de nazis et molesté quelques huissiers qui essayaient de les calmer.

L’incident est suspendu par l’arrivée surréaliste du roi de Jordanie qui vient faire un très beau discours sur le conflit israélo-palestinien.

Aussitôt le roi parti, les présidents de groupe demandent la parole, condamnant très fermement l’attitude de l’extrême droite, mais aussi de l’UEN qui, en conférence des présidents de groupes, avait approuvé la signature solennelle de la Charte des Droits fondamentaux. Certains vont jusqu’à proposer des sanctions pour les perturbateurs. Heureusement, Dany, au nom des Verts, met un halte-là à ces pulsions répressives : « Une assemblée de 750 personnes a bien droit à un quota de 50 imbéciles, qu’il nous faut supporter. »

C’est alors que le président de la GUE, le communiste français Francis Wurtz, prend la parole d’un ton posé. Il a senti que son groupe explosait et a pris ses responsabilités : « Nous condamnons avec la plus grande fermeté cette manifestation anti-européenne, chauvine et indigne. Mon groupe est pour une ratification par un référendum, et a quelques doutes sur certains articles de la Charte. Mais il ne fait aucun doute que nous sommes pour une Europe fondée sur des valeurs. »

Bilan des courses :

* Il apparaît dorénavant clairement, au niveau européen, que gueuler « référendum », ce n’est pas tant réclamer une procédure, c’est déjà donner une réponse, NON. Ce qui nous pose un problème à nous, les Verts, qui souhaitons un referendum déjà européen.

* Il est clair que ce Non ne porte pas principalement sur le statut de la Banque centrale ou tel ou tel détail du droit de la concurrence, mais bel et bien sur la Charte des Droits fondamentaux, avec ses avancées démocratiques, sociales, écologistes et féministes, comme fondement de l’Europe.

* Il est clair dorénavant qu’au niveau européen, ce référendum-Non est porté essentiellement par l’extrême droite et les conservateurs britanniques, et par une honteuse minorité des communistes.

Le lendemain, les « Européens de cœur » (dont moi-même…) vont poser sous le drapeau de l’Union, avec un petit écriteau « I want my flag back »

++++CAN

Auparavant, j’avais fait lundi un saut à Bruxelles pour déjeuner avec les représentants de la société civile bolivienne (associations d’agriculteurs, de petits producteurs, indigènes etc). À noter que seule la délégation officielle bolivienne avait invité avec elle des représentants de la société civile ! Ça valait bien le coup de faire ce petit effort…

C’est en effet cette semaine que commencent les vraies négociations de l’Union européenne avec l’ensemble de la Communauté andine. Comme je l’ai dit dans mon blog précédent, la Bolivie, qui a fait reconnaître par l’Union européenne des asymétries à l’intérieur de la Communauté andine, était venue la semaine précédente présenter ses demandes particulières. En fin de semaine, j’avais eu un coup de téléphone avec la RELEX (la Direction des relations extérieures de l’Union), pour essayer d’arrondir les angles. Et il semble en effet que l’atmosphère soit relativement détendue.

Un lecteur ou une lectrice s’étonne, sur ce forum, de ce dialogue particulier avec la Bolivie qui semble contraster avec la négociation « de bloc à bloc ». Pourtant, là, rien d’étonnant : cette asymétrie reconnue était la règle du jeu dès le départ et, en tant que délégation pour la CAN, nous avions averti la Bolivie que cela ne devait pas servir à rétablir par la fenêtre des accords « par pays ». C’est d’ailleurs ce que je ré-explique aux représentants de la société civile bolivienne. De la même façon, j’ai des discussions avec l’Equateur ou avec la Colombie sur la question des bananes, point qui oppose ces deux pays, et seulement eux au sein de la CAN, à l’Union européenne, et qui d’ailleurs les oppose aussi entre eux.

(À noter que, devant l’échec des négociations avec les pays ACP pour des « APE », la Direction générale du Commerce de la Commission européenne, en violation de la doctrine proclamée de l’Union, ne se gêne pas pour négocier des accords particuliers avec des pays africains).

L’Union européenne elle-même est à géométrie variable : certains pays font partie de l’espace de Schengen ou de l’Euroland, d’autres non. Les traités actuels sont entourés d’un essaim de protocoles et de déclarations, parfois assez croquignolettes, comme celle de tel pays qui tient à souligner que la façon d’écrire Euro sur les billets n’implique rien quant à sa grammaire nationale, ou bien que le Danemark refuse la multiplication des résidences secondaires (allemandes !) sur son littoral…

Pour en revenir à la CAN, les nouvelles d’Equateur sont assez inquiétantes. Comme je le craignais, le Président Correa est revenu de Chine avec un discours très « productiviste-exportateur », limite « intreguista » (« vendre l’Equateur ») et traite de « terroristes immoraux » les écologistes, les communautés indigènes et les Églises qui, à Dayuma, en Orellana, manifestent contre les exploitants pétroliers qui ne leur ont rien apporté au niveau communal. La ministre des Affaires étrangères, Maria-Fernanda Espinosa, a démissionné pour raison de santé et sa successeure a pour mission d’adopter une ligne plus « commerciale ». Le ministre de l’Intérieur est changé de poste pour ne pas avoir su prévoir les incidents d’Orellana. Le projet de « garder le pétrole sous terre » à ITTest implicitement menacé si la communauté internationale ne paie pas, etc.

Bon, il semble que la mobilisation des organisations de droits de l’homme ait un peu ébranlé Rafael Correa. Affaire à suivre de très près, en ce qu’elle illustre la contradiction "productivisme/écologie" qui déchire la gauche latino-américaine, avec la Chine dans le rôle du Mauvais Ange.

À part ça, Coralie, Natalie, notre stagiaire Mariame, Perline et même Francine sous perfusion se démènent pour régler administrativement, traduire et mettre en ligne au plus vite les passionnantes interventions du colloque « Amnistie… Amnésie… Impunité… problèmes de la justice transitionnelle ». Sonos, textes VO et traductions sont mises en place au fur et à mesure. Vous avez déjà presque tous les textes originaux ou, à défaut, l’enregistrement vocal quand il est en français, et quelques textes traduits.

Sinon, rien de bien folichon dans les votes de Strasbourg. Un gros débat sur le vin où je finis par m’abstenir tant la résolution du Parlement européen (sans aucune valeur législative, comme tout ce qui concerne la politique agricole dans le cadre de Maastricht-Nice) tourne à un catalogue de revendications catégorielles. Une résolution sur l’accord d’association en négociation avec la Corée (prototype des futures APE !) contient des éléments intéressants, en ce qu’ils offrent de nouvelles bases à ce que les Verts appellent les « échanges qualifiés » (c’est-à-dire un commerce mondial régulé par des lois supérieures en matière sociale et environnementale). Néanmoins, nous nous abstenons parce qu’il subsiste des paragraphes passablement arrogants sur la défense de la propriété intellectuelle.

Et le reste, vous pouvez le voir vous même sur le site du PE et sur notre site



Reproduction autorisée avec la mention © lipietz.net http://lipietz.net/?page=blog&id_breve=279 (Retour au format normal)