2e succès climatique. Mer Noire. APE. Trichet. Ciné.
par Alain Lipietz

mardi 9 octobre 2007

Mardi 9 octobre

C’est le grand jour : vote en commission du Commerce international (INTA) de mon rapport « Commerce international et effet de serre ». Total succès : mon rapport passe avec toutes ses idées, même amélioré par les apports des commissions Transport et Environnement. Nous avons d’autres votes, principalement sur la mer Noire. Aussitôt après, je cours assister à l’audition de Jean-Claude Trichet en commission Économique, et en sortant, je vais visionner le 3e film du Prix Lux.

Climat

Ce succès total (seulement deux voix contre, du PPE) est dû à un faisceau de facteurs dont j’ai bénéficié pour mes négociations qui se sont prolongées jusque la veille au soir avec les "shadow rapporteurs" des autres groupes (les députés en charge du suivi d’un rapport pour un groupe politique, par opposition au "rapporteur" qui rédige le premier jet et est responsable des négociations devant l’ensemble de la commission responsable - d’autres commissions pouvant donner des "Avis"- puis devant la plénière) et leurs collaborateurs.

* Le fonctionnaire de la commission, Christopher, a été particulièrement disponible et avisé. C’est lui qui fixe l’ordre de vote des amendements au fur et à mesure qu’ils arrivent, et des nouvelles versions des compromis sont échafaudés jusqu’à 19h la veille. Il avait déjà été particulièrement efficace dans l’organisation de l’audition préparant mon rapport.

* Le shadow-rapporteur des libéraux, le britannique Sajjad Karim est particulièrement pro-écologiste, et tous ses amendements étaient très bien. Du côté de la GUE, aucun problème, c’est Jens Holm, écologiste scandinave, qui est le shadow rapporteur et qui rapportait aussi l’avis (excellent) de la commission Environnement. Pas de problème non plus du côté du shadow du PSE, [David Martin-% http://www.europarl.europa.eu/members/expert/groupAndCountry/view.do?partNumber=1&group=1534&country=GB&language=FR&id=1403]. Mais je fais une gaffe : je le félicite pour le match de samedi contre l’Australie ; il me répond "Non, je suis Ecossais, on a été battus par les Argentins". Bof, ça nous est arrivé, et sa collaboratrice, elle, est anglaise et apprécie le compliment. Du côté des souverainistes, j’avais pris en compte les amendements de Madame Muscardini.

* Enfin, et c’est le plus important, le rapporteur du PPE, Georgios Papastamkos, qui n’était pas très « chaud » à la veille des vacances, a fait l’expérience d’un été brûlant en Grèce et sait dorénavant parfaitement ce que signifie « changement climatique ». À partir de la rentrée, il m’a soutenu avec constance et courageusement contre certains de ses collègues, y compris dans mes propositions les plus "osées" telle que la démarche de l’empreinte écologique, la préparation d’une taxe d’ajustement aux frontières pour l’après-Kyoto, ou le fait de considérer les licences sur les technologies propres comme une barrière non tarifaire qu’il fallait réduire. Ce dernier point figurait déjà dans la Convention climat de Rio 92, articles 4-3 et 4-5, ainsi que dans l’Agenda 21 de Rio, Section IV, chapitre 34.14b, mais tout le monde l’avait oublié…

Avec le représentant des Amis de la Terre et mes collaborateurs (Gaby et Martin) nous nous congratulons à la sortie : un résultat aussi favorable était tout à fait inattendu dans une commission aussi « pro commerce ». Cela augure plutôt bien pour la plénière, mais rien n’est acquis !

Vous pouvez lire mon texte ainsi amendé.

MerNoire

Suit toute une série de votes sur la politique de l’Union dans l’orient européen : Mer Noire et Caucase.

Eh oui ! Depuis le 1er janvier 2007, avec l’entrée de la Roumanie et de la Bulgarie, l’Union européenne s’étend jusqu’à la Mer Noire. La Moldavie, l’Ukraine, la Géorgie, l’Arménie, l’Azerbaïdjan font maintenant partie de la « politique de voisinage » européenne, la Turquie négocie son entrée, la Russie est dans un accord de partenariat stratégique avec l’Europe. Ces différents types de statuts diplomatiques appellent une « synergie de la Mer Noire », et imposent à l’Union européenne des responsabilités particulières sur les 4 conflits gelés : Transnistrie (minorité sécessionniste russe de Moldavie), Abkhazie, Ossétie du Sud (minorités sécessionniste de la Géorgie), Haut-Karabagh (îlot d’Arménie coincé en Azerbaïdjan).

Je sais bien, ça va encore faire hurler les bons Français qui « n’ont déjà pas compris l’entrée de la Tchécoslovaquie ou de la Pologne ». Le problème des "frontières lointaines", je l’ai déjà dit, c’est que c’est toujours relatif. Pour un Français, l’entrée du Danemark dans la Communauté européenne allait de soi. Pour un Danois, l’entrée du Portugal était une bizarrerie, mais faire de la Baltique une mer intérieure de l’Union européenne était "tout naturel". L’entrée de la Pologne et de la Lituanie était donc normale, aussitôt tombés le Pacte de Yalta et l’empire soviétique. Pour les Polonais et les Lituaniens, l’Ukraine et la Biélorussie sont des morceaux d’Europe que leurs ancêtres ont libéré de la Horde d’Or. Quant à l’Arménie, c’est le premier État à avoir proclamé le christianisme religion officielle, avant l’empereur romain Constantin.

Partie de l’Europe de Charlemagne, l’Union européenne s’élargit lentement à la surface de l’Europe géographique (Turquie, Ukraine et Caucase compris), retrouvant l’aire d’influence de l’Empire Romain ou de l’Empire d’Alexandre le Grand. Ira-t-elle vraiment jusque là ? Nul ne peut le dire.

Ce qui est certain, c’est qu’elle se projette vers l’Est de façon strictement pacifique : en répliquant son modèle de relations internationales, fondé sur les Droits de l’Homme, l’État de droit et l’intégration commerciale régulée par l’intégration politique. Il va de soi que cet élargissement géographique de la zone de libre-échange commercial rend plus que jamais indispensable l’approfondissement de l’intégration politique. Plus que jamais, le souverainisme national est le strict équivalent du libéralisme économique.

APE

La veille, pendant que nous négociions, M. O’Sullivan, le directeur de la DG Trade (notre "ministère du commerce international") était venu avouer l’échec de la tentative de démanteler les avantages dont bénéficiaient les pays ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique) pour "les aligner sur le normes compatibles avec l’OMC", à la faveur de la transformation de l’accord ACP en "Accords de partenariat économique", devant l’opposition résolue d’une partie des intéressés, des ONG, de la gauche du PE, de quelques puissances néo-coloniales comme la France. Vengeance ou pression ? Le "régime sucre" entre l’Union et ces pays est suspendu. Mais on peut considérer l’aveu d’O’Sullivan comme une victoire, dont je ne vois pas trace dans les communiqués des ONG tiers-mondistes, y compris l’Église...

Trichet

Après les votes en Inta (Committee on International Trade), je file en Emac (Economic and Monetary Affairs Committee) où Jean-Claude Trichet, président de la BCE, achève son audition. Vous remarquerez que c’est la deuxième fois à un mois de distance : Trichet prend très au sérieux son obligation de dialogue monétaire, même si on ne peut pas parler de responsabilité démocratique. Comme j’arrive en retard, je lis rapidement son exposé introductif. Rien que du classique, y compris l’appel à la flexibilisation du rapport salarial, à une bonne gouvernance de l’économie et à la surveillance des risques (ça, c’est la prise en compte des événements de l’été). On note un dégagement inattendu sur le piétinement des gains de productivité en Europe par rapport aux États-Unis, piétinement naturellement imputé à « la rigidité du marché du travail ».

La discussion sera assez intéressante, car, contrairement à Duisenberg, Jean-Claude Trichet aime répondre. Il lui échappe donc d’étonnantes remarques :

* Il reconnaît qu’aujourd’hui, en l’absence de transparence sur ce que contiennent les fonds internationaux adossés à des actifs réels (par exemple des hypothèques sur les subprimes), plus personne n’a envie d’acheter des titres étrangers. C’était exactement l’argument qui nous a fait travailler pendant plus d’une mandature sur les « prospectus simplifiés » décrivant les titres financiers émis à l’autre bout de l’Europe, mais c’était aussi l’argument que j’avais employé contre le "principe du pays d’origine" de la directive de Bolkestein : un client ne va certainement pas acheter un service régi par une loi qu’il ne connaît pas ; la Bolkestein dans sa version initiale aurait donc conduit à la renationalisation des marchés européens…

* Suite aux votes (désastreux) sur le rapport Wagenknecht intervenus en Emac pendant que j’étais en Inta, à propos de la fiscalité en Europe, on lui demande son avis sur l’effet inflationniste de la fiscalité indirecte. Jean-Claude Trichet répond tout droit : « La fiscalité indirecte est inflationniste, il faut donc se méfier des transferts de la fiscalité directe vers la fiscalité indirecte ».

C’est vraiment le monde à l’envers ! Il y a quelques années, c’est la gauche qui tenait ce genre de propos. Aujourd’hui les écologistes, au moins, sont « pour » une fiscalité écologique (attachée au prix des produits, elle est donc indirecte). Et les Verts français sont « pour » la TVA sociale, parce qu’elle ferait cotiser le capital comme le travail, serait déduite à la frontière et serait ajoutée aux produits importés des pays sans protection sociale. Ce dernier point aurait évidemment une incidence inflationniste : on achèterait plus cher, en payant la Sécurité sociale comme si la marchandise avait été produite en France, ce qu’on a l’habitude d’acheter à très bas prix parce que produit par des travailleurs très mal traités… et c’est le but recherché !

* L’hypocrisie, qui dure depuis Maastricht, sur l’interdiction pour les institutions de l’Union ou des pays membres, de "chercher à influencer la BCE" devient de plus en plus grotesque. Attaqué sur la question des taux de change, Jean-Claude Trichet n’hésite pas à employer textuellement les mots : « Au prochain G7, nous allons discuter avec nos amis chinois de la sous-évaluation du yuan ». Autrement dit, Trichet dit « nous » pour désigner quelque chose qui était jusqu’à présent les chefs des exécutifs de l’Union européenne, et il accepte de « discuter avec nos amis chinois » alors qu’il n’est pas sensé discuter avec ses amis européens !

* La Lituanienne Margarita Starkevičiūtė reprend la balle au bond sur la faiblesse de la productivité européenne et fait observer fort justement que c’est grâce à la politique des bas taux d’intérêt pratiqués aux États-Unis pendant 20 ans que les entreprises ont pu s’équiper en nouvelles technologies et creuser l’écart de productivité avec les entreprises européennes...

Cinema

En sortant de l’audition de Trichet, je cours voir le troisième et dernier film du Prix Lux : De l’autre côté, du Turko-Allemand Faith Akin.

Il est assez long, avec un scénario très complexe, un peu fourre-tout, traitant une quinzaine de thèmes : non seulement son thème apparent, les rapports Allemagne-Turquie, mais des thèmes éternels, les rapports entre amies, les rapports père-fils, les rapports mère-fille, le drame et la tragédie, l’adoption, le totalitarisme venu d’en bas (du PKK ou des islamistes)… et bien sûr les rapports Europe-Turquie. Ça fait vraiment beaucoup, alors que 4 mois, 3 semaines, 2 jours est un film simple, direct et terrible, avec un sujet apparent (l’avortement dans les pays où il est interdit) et un sujet réel (jusqu’où la solidarité peut mener deux copines, face aux mecs). De ce point de vue, en tant qu’œuvre cinématographique, le film roumain est le meilleur et il méritait sa Palme d’Or à Cannes. Je ne parlerai pas du film d’Oliveira, sorte d’ébauche d’un Célimène et le cardinal (« Quarante ans après »), qui aurait pu décoller mais ne décolle pas.

Malgré son défaut (l’excès de thèmes abordés), De l’autre côté est un film extrêmement émouvant et sensible. Si 4 mois, 3 semaines, 2 jours traite de thèmes universels (et a failli être interdit dans les lycées par le pouvoir sarkozyste), celui-ci traite en plus des thèmes spécifiquement européenS (y compris le thème de la traduction). Il me semble donc le mieux mériter le prix Lux, dont un film déjà Palme d’Or à Cannes peut très bien se passer.

Finalement, je vote pour lui.

Photo Plaque minéralogique moldave, de woody1778a, sous licence CC.



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