Senior !
par Alain Lipietz

jeudi 20 septembre 2007

Ben oui, j’ai eu 60 ans le 19 septembre ; avec 42 ans de cotisations : je suis retraité ! Mais rassurez-vous, je finirai quand même mes deux actuels rapports au Parlement européen et la négociation avec la CAN, ce qui m’amènera sûrement à la fin de mon mandat, dans un an et demi. Et après… Mallarmé ! Je devine déjà les ambitions naissantes, chez les Verts, pour la future tête de liste de l’Ile de France aux européennes de 2009…

Senior

Autrefois, pour les « grands anniversaires », nous organisions de grandes fêtes costumées, mais la santé de Francine ne le permet plus. Dimanche, donc, fête de famille : 4 générations... Entre autres cadeaux, les œuvres poétiques complètes d’Éluard, d’Aragon, la tétralogie de Wagner-Boulez-Chéreau… Je feuillette les pages du jeune Éluard, en qui Henri Mondor voyait le véritable héritier de Mallarmé, et je tombe pile sur un proverbe : « Qui sème des ongles récolte une torche » ! J’ajoute immédiatement une note de bas de page à mon essai sur Ses purs ongles très haut….

À Bruxelles, autre très beau cadeau : un dîner de filles ! Mes assistantes et collaboratrices sont là, le problème était « qui inviter parmi les députées ». Elles ont très judicieusement tranché en invitant… une députée slovaque non inscrite, Irena Belohorska. Excellent choix, Irena est une femme extrêmement appréciée dans le Parlement, médecin et mère de deux filles oncologues, qui n’oublie jamais de me demander des nouvelles de Francine et de me raconter les dernières trouvailles des cancérologues.

Entre Isabelle Zerrouk (attachée de presse du groupe) et Irena

C’est un dîner de filles, mais évidemment très politique. Ines (« vraie Belge », c’est-à-dire fille d’une Flamande et d’un Wallon), nous dit sa progressive résignation à la scission de la Belgique. Irena nous raconte comment ça c’est passé entre la Tchéquie et la Slovaquie.

Sinon, côté boulot, rien de bien passionnant, c’est une semaine de groupe où on prépare les batailles suivantes. Avec les autres partis progressistes et les Comités Ingrid Betancourt de Belgique, nous accueillons au Parlement Gustavo Moncayo, ce père d’un soldat colombien prisonnier des Farc qui, grâce à une longue marche, enchaîné, à travers la Colombie a réussi (enfin !) à y susciter un mouvement d’intérêt dans l’opinion publique pour le sort des séquestrés.

Capital humain

Mercredi après midi, je file à Bordeaux conclure un colloque de l’Université de la Formation, de l’Éducation et de l’Orientation sur la mobilité professionnelle. Je dois expliquer la politique européenne. Occasion d’une longue mise au point sur la stratégie de Lisbonne, dont je leur cite intégralement le chapitre sur l’investissement en capital humain.
La stratégie de Lisbonne était excellente, le problème c’est qu’elle était basée sur l’idée « d’un État social actif et dynamique investissant dans la ressource humaine pour faire de l’Europe le continent le plus compétitif dans l’économie de la connaissance », mais qu’elle ne prévoyait, pour cet État social fort… aucun renforcement ! Simplement une « MOC » : une Méthode Ouverte de Coordination. C’était se moquer ! Six ans plus tard, il a fallu se rendre à l’évidence : comme il n’existait aucun critère de convergence obligatoire, la situation des pays (comme la France) qui n’étaient pas engagés sur la stratégie de Lisbonne s’est plutôt aggravée. Finalement, pour prendre l’objectif chiffré de part de recherche et développement dans le PNB (3%), seuls deux pays l’ont dépassé, la Suède (3,8%) et la Finlande (4%)… C’est-à-dire les pays qui appliquaient avant la lettre la stratégie de Lisbonne.

Des années de recherche en économie régionale et internationale me l’ont montré : aujourd’hui, dans l’après-fordisme, les pays qui jouent la carte de l’implication négociée des travailleurs, de l’investissement en capital humain, c’est-à-dire de la formation, de la recherche et du coût qui va avec, sont finalement plus compétitifs (pas forcément dans toutes les branches d’activité) que les pays qui jouent la carte de la précarisation du salariat. En Europe, nous avons les deux : les pays « vertueux » (Scandinavie, arc alpin, pays rhénans), et les pays qui jouent la compétitivité par la précarité et les bas salaires (Grande-Bretagne, France, pays du Sud et de l’Est).

Rendre tous ces pays vertueux ? Pour ça, il faut des lois, des traités contraignants, avec au moins la Charte des droits fondamentaux comme « voiture balai » sociale pour tous les pays. C’est ce pourquoi les Verts se sont battus depuis le traité de Maastricht, c’est le pas en avant que représentait le TCE, c’est ce pourquoi nous nous battons dans la conférence de Porto.

Au retour, je lis avec intérêt les nouvelles de la semaine. La colère qui monte dans toute l’Europe contre l’arrogance de Sarkozy. La fonte dramatique de la banquise arctique. La déplorable et misérable attaque de Lionel Jospin (Monsieur 16%) contre Ségolène Royal (Madame 47%), critique aux accents sexistes qui ne semble pas s’appesantir sur les responsabilités du parti socialiste, son refus d’une négociation sérieuse avec des alliés, ni sur les siennes propres, la désastreuse « inversion du calendrier ».

Et surtout, la décision de la Cour de justice européenne confirmant la Direction de la concurrence de la Commission européenne dans sa sanction contre l’abus de position dominante de Microsoft. J’espère qu’un jour les citoyens européens comprendront que cette Direction de la concurrence, en luttant contre les monopoles, est en ce moment l’institution la plus utile à l’Europe sociale. Malheureusement, même les femmes et les hommes de gauche de la vieille école qui jadis vilipendaient « les grands monopoles » semblent l’avoir oublié

Photo hb9252, sous licence CC.



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