Journées d’été des Verts. La macro de Sarko
par Alain Lipietz

mercredi 29 août 2007

Gros succès des Journées d’été des Verts à Kemper. Plus de mille personnes : on ne tient pas tous ensemble dans la grande salle du Chapeau rouge… L’humeur est à la fois morose (on vient de prendre une succession de défaites, la direction n’a pas l’air très « allante », certains cadres parlent de dissoudre les Verts…), et en même temps très apaisée : plus personne n’a envie de s’engueuler.

Kemper

Les Journées d’été des Verts, c’est à la fois un événement de politique politicienne (le seul dont parlent les journalistes parisiens) et une multitude d’événements de formation-débat. Elles sont couplées avec l’Université d’été du Cédis, l’organe de formation des élus partageant une orientation écologiste.

Personnellement, je ne suis pas énormément intéressé par l’aspect politicien de ces journées. J’ai donné mon avis : les problèmes des Verts sont des problèmes de pratiques plus que de statuts (même si des réformes statutaires peuvent être utiles pour encourager la vertu). Il faut que chacun apprenne à prendre sur soi, à être discipliné, à ne pas répondre à chaque micro qu’on lui tend en disant des méchancetés contre les autres Verts pour avoir une chance de passer dans les média. Et surtout, les Verts doivent renouer avec le monde associatif et syndical dont ils sont issus, en termes propositionnels et non plus apocalyptiques.

Je me concentre donc essentiellement sur l’aspect formation et l’aspect productif des Verts, ignorant assez délibérément les débats sur « la réforme interne ». Elle est importante, mais je sais que Mireille Ferri s’en occupe très bien. Ainsi, jeudi, j’assure la formation des nouveaux adhérents aux principes et valeurs fondamentales de l’écologie politique.

Vendredi, petit déjeuner avec les eurodéputés et notre hôte-collègue-eurodéputé-maire socialiste Bernard Poignant. Puis, comité d’orientation de Sinople. Puis compte-rendu d’activité des eurodéputés : vous avez ici mon bilan. Puis informations sur la préparation du congrès des Verts mondiaux à Sao Paulo, et débat sur la situation en Amérique latine. Puis déjeuner avec mes invités au forum sur « La querelle des agrocarburants ». Ce forum reprend partiellement celui que j’avais organisé à Bruxelles, mais s’élargit cette fois aux problèmes de politique énergétique interne à la France (sujet développé le matin même dans un atelier du Cédis). Les intervenants sont extraordinaires, encore mieux que je ne l’espérais, le débat est passionnant. (D’une manière générale, on peut écouter tous les forums et plénières en cliquant là). J’espère pouvoir mettre en place ici la transcription des interventions, le plus vite possible. La position des eurodéputés Verts, avec la fameuse carte postale "Manger ou Conduire, faudra-t-il choisir ?", c’est là

Mais, dès 16h 30, je dois filer pour la visite d’une ferme expérimentale dans le vaste bocage de Quimper (adorable préfecture, mais qui est aussi la deuxième commune agricole du Finistère), pour un débat avec la Chambre d’agriculture.

La rencontre, à laquelle participent Marie-Hélène Aubert, eurodéputée de la Commission agriculture et pêche du Parlement, et Pascal Dacheux, le responsable de la Commission agriculture des Verts français, est assez rude. Nous rappelons aux agriculteurs que la légitimité des subventions dont ils bénéficient de l’Europe et la tolérance des institutions pour le style violent de leurs luttes revendicatives sont de moins en moins acceptés par la société. Ils en sont parfaitement conscients. Nous leur proposons de défendre à l’Europe le principe des primes (dont le volume sera certainement fortement réduit à partir de 2013), mais en le réorientant vers des aides à la personne et sous conditionnalité de développement soutenable et de multifonctionnalité de l’agriculture.

Au retour, réunion de la sensibilité dans laquelle je m’inscris, Audaces, très engagée à la fois dans la réforme des Verts et dans la bataille du Grenelle de l’environnement.

Samedi matin, point en équipe restreinte sur le Grenelle de l’environnement. Nous sommes déjà une bonne vingtaine dans cette bataille, au titre des collèges associatifs, élus locaux, parlementaires, ou experts.

Dans l’après midi, forum organisé par l’excellent Pascal Canfin, le responsable de la Commission économique des Verts, sur « Écologie, capitalisme, marché ». Je suis chargé de rappeler l’histoire de la pensée des Verts sur ce sujet… en rappelant qu’à l’époque de la définition de nos positions, l’Union soviétique existait encore ! Il ne suffisait donc pas d’être « antilibéral », il fallait en même temps insister sur notre opposition à la planification centralisée. Les plus grandes catastrophes écologiques du 20e siècle, de l’avis unanime, sont Tchernobyl et l’assèchement de la mer d’Aral, et elles n’ont rien à voir avec le libéralisme, mais avec le productivisme.

Samedi soir, assemblée plénière des différents groupes ayant travaillé sur la réforme interne, sous l’œil vigilant de trois sociologues. Pour un ancien chercheur comme moi, le plus intéressant est encore d’analyser le discours des sociologues. Tous y parlent de « reconstruire du récit ». Ça doit être la mode : quand j’ai arrêté la recherche, il y a dix ans, on en était encore à « déconstruire les récits ». Y’a du nouveau en sciences sociales !

Après le dîner, fest-noz. Chemise à tordre. Arrêter de fumer la pipe ?

Dimanche, plénière sur la bataille du Grenelle de l’environnement. Les interventions des associations du « in » (FNE, Greenpeace, Fédération de l’agriculture biologique) et du « off » (Sortir du nucléaire, Faucheurs volontaires) sont excellentes, celle de Patrick Viveret extrêmement brillante. Les Vertes (Michèle Rivasi, Dominique Voynet) expliquent nos positions : « des » Verts sont dans le Grenelle au titre de trois des collèges, mais nous sommes aussi dans le « off » et il faut que les deux coexistent car le Grenelle de l’environnement est une négociation qui sanctionne un état de l’affrontement. Notre tâche est de définir, avec les associations, ce qui est inacceptable, ce qui est le strict « minimum syndical », et ce qui constituerait une avancée.

Les interventions de la salle sont également intéressantes… Elles fournissent un tas d’infos et remarques qui vont au delà des Verts. Par exemple : la bataille de Marie Blandin sur la 7è corbeille (les OGM) ; la remarque de Denis Baupin sur le fait que le gouvernement s’estimait à l’aise de 13 milliards d’euros par an, qu’il a donné en cadeaux fiscaux, qu’on aurait pu dépenser chaque année à tel ou tel grand projet écologique ; la mise en perspective par Mireille Ferri de l’affrontement Sarkozy-Région à propos du Schéma Directeur de l’Ile de France ; ma remarque selon laquelle le caractère « quintipartite » de la négociation, bicéphale du coté institutions (État-collectivités), laissait envisager une situation où Sarko rejetterait des demandes des associations, mais les régions les accepteraient, surtout si elles s’inscrivent dans la légalité de l’Union européenne, etc. Il y a du pain sur la planche !

Sarkonomie

Retour des journées d’été, visite chez l’oncologue avec Francine. Le dernier petscan montre que certains foyers cancéreux se résorbent, d’autres non. Nous décidons de continuer la chimiothérapie. Francine, très courageuse, s’était préparée à l’avance à cette possibilité.

Les discussions avec des amis, médecins ou non, m’ont fait constater un phénomène intéressant : les énormes coûts des soins lourds (chimio, petscan etc) ne sont plus un problème pour personne depuis le coup des treize milliards. La remarque de Denis, manifestement tout le monde l’a faite : « Puisqu’ils avaient treize milliards par an à foutre en l’air, alors tout est permis. »

Je crois que c’est là le plus grave de ce qui tient lieu de politique macroéconomique pour Sarkozy : comme elle se limite à des cadeaux aux copains qui lui paient ses vacances, alors, tout est permis. Car tout le monde a parfaitement intégré que ces treize milliards par an de cadeaux fiscaux aux plus riches ne servent strictement à rien du point de vue de l’intérêt général. Normalement, les baisses d’impôts se justifient macroéconomiquement par la formule « trop d’impôts tue l’impôt » ; autrement dit, on espère que la baisse du taux d’impôts entraînera un regain de l’activité et un élargissement de la base fiscale, qui permettra de nouvelles rentrées d’impôts. Cela s’appellait jadis la Reaganomics, s’appuyant sur la « courbe de Lafer ». Chez Sarkozy, ce n’est structurellement pas le cas.

D’abord, l’abaissement du bouclier fiscal : même s’il fait revenir des fortunes placées à l’étranger, par définition, elles ne paieront pas plus d’impôts puisqu’elles seront en dessous du bouclier.

L’abaissement des droits de succession ? Les gens ne vont pas s’efforcer de mourir plus vite pour profiter de l’abaissement du coût de l’héritage, dont ne bénéficieront d’ailleurs que les très haut revenus (la couche entre les 12% et les 8% des plus grosses successions), qui ne consommeront pas cet argent mais l’investiront, et pas forcément en France.

La suppression des cotisations sociales et des impôts sur les heures supplémentaires ? Là, c’est pire : si ça marche, les « dépenses fiscales » exploseront. En effet, dans cette mesure, le plus important est la dispense de cotisations sociales qui profite essentiellement au patronat. Pour faire passer la pilule, on fait miroiter aux ouvriers et employés un abattement d’impôt sur le revenu, que de toutes façons ils avaient fort peu de chance de payer. Mais le résultat macroéconomique est clair : cette mesure incite les patrons à avoir recours à des heures supplémentaires plutôt qu’à de nouvelles embauches.

La somme de treize milliards a été calculée en fonction du nombre d’heures supplémentaires actuellement utilisées en France, avant la mesure. Si elle marche, cela voudra dire que des employeurs auront davantage recours aux heures supplémentaires qu’aux embauches. L’État et la Sécurité sociale perdront donc en plus les cotisations sociales et les (maigres) impôts qu’auraient générés les nouvelles embauches, et ils continueront à payer le RMI ou les Assedics qu’il n’aurait plus fallu payer aux nouveaux embauchés…

Bref, ce pactole de treize milliards par an, dont Sarkozy et Christine Lagarde nous certifient qu’il ne compromet pas le retour à l’équilibre des comptes avant 2010 promis à nos partenaires de l’eurogroupe, suite à la réforme du Pacte de stabilité, ainsi qu’aux électeurs de Bayrou et aux écologistes qui n’aiment pas faire payer leurs frasques par les générations futures, donne des idées à tous ceux qui ont des suggestions de dépenses légitimes… que ce soit les médecins ou les écologistes !



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