Midi Rouge et flamants roses
par Alain Lipietz

dimanche 19 août 2007

Après le Briançonnais, nous poursuivons les vacances en zigzagant à travers la Provence et le Languedoc. Ces vieilles terres magifiques qui furent cathares, vaudoises, huguenotes, camisardes, ce Midi rouge est maintenant un Sarkoland, une Europehaine. L’histoire des transformations sociologiques qui ont conduit là (fin de la viticulture de masse, arrivée des pieds-noirs, désindustrialisation…) reste à faire, mais elle amènerait aussi à relire, à la lumière de cette évolution, ce que fut la construction idéologique de la gauche du Midi rouge, et peut être de la gauche française depuis plus d’un siècle.

À Manosque, le local du Parti socialiste. En devanture, une affiche dénonce les hausses des prix et conclut « Merci l’euro ! ». La hausse des prix n’est pas la faute des commerçants, ni des grandes surfaces, ni des gouvernements de droite qui se succèdent depuis le 1er janvier 2002 (oui, oui… 2002, c’était encore Jospin jusqu’en…mai !), c’est la faute à l’Europe, l’Europe de Maastricht et de Nice, celle que les Socialistes nous ont imposée, celle que des Socialistes de Manosque, probablement nonistes, ont préféré garder. Et on voudrait que les gens votent Ségolène.

À Saint-Rémy de Provence, nous déjeunons à la table d’hôtes de M. Moron. C’est un vrai paradis, au fond d’une carrière romaine envahie de verdure et de lavande. On mange à la même table. Des voisins me demandent un autographe et affirment leur soutien à mon « combat ». Je pense d’abord qu’il s’agit de l’écologie et comprend ensuite qu’ils pensent au procès de mon père. M. Moron, octogénaire chaleureux (et bon cuisinier) a amassé dans la partie souterraine de la carrière un immense musée des outils agricoles. Il est viscéralement « pro-français, contre l’Europe parce que contre les Allemands ». Il évoque les atrocités allemandes pendant la guerre, il était Franc Tireur et Partisan. Francine lui glisse : « Eh bien, au moins avec l’Europe, c’en est fini des guerres avec l’Allemagne ». Il avoue : « Oui, c’est vrai, d’ailleurs, quand nous, les FTP, avons libéré Saint-Rémy, on a arrêté les miliciens mais j’ai voté contre leur exécution parce qu’on ne sait jamais ce qu’ils avaient vraiment fait ». Je demande quel a été le résultat du vote. « 45 voix pour les exécuter, 55 contre », répond-il avec précision, avec la tête d’un homme qui a eu chaud. « Et je me suis fait porter pâle quand il a fallu exécuter les gestapistes ». Mais de toute façon, poursuit-il, « la France coule à pique, les jeunes ne veulent plus travailler ». Pour lui, « travailler dur » a été toute sa vie une évidence et aujourd’hui une fierté, mais se rend-il compte à quel point son travail est « autonome », comme on disait jadis chez les écologistes, et même à gauche, quand la gauche ne jetait pas la valeur travail avec le bain de l’exploitation capitaliste ?

À Marseillan, près d’Agde, dîner avec des amis chez nos enfants. L’un d’eux me demande : « Mais alors, ces gens de l’Est, comment ils sont ? Parce que finalement, on n’a pas compris, c’était l’overdose ! ». Je leur explique que pour le fils d’un Polonais, l’entrée de la Pologne, ce n’était pas du tout l’overdose, qu’il y a en France quatre millions de descendants de Polonais dont la plupart ne vivent pas dans le midi mais en Nord-Pas-de-Calais et en Lorraine et que, lorsque l’on est Autrichien, il est tout à fait normal de voir arriver la Pologne, la Slovaquie, la Tchéquie, la Slovénie, la Hongrie… Notre ami répond : « Ah ! C’est vrai, quand j’ai vu Prague, j’étais sur le cul, je me suis senti dans la vraie Europe ». Je leur raconte ma découverte de la relativité des frontières de l’Europe avec les paquets de chips grecs.

Dans le Lubéron, Francine se trouve mal au cours d’un concert. Des organisateurs, aux petits soins avec elle, lui disent : « Y’en a marre de cet individualisme qui envahit tout, malheureusement Sarkozy n’arrivera pas à changer les mentalités… ». Pourtant Sarkozy est déjà reparti en vacances de milliardaire payées par de grands patrons, auprès de son ami Bush.

Le Midi rouge est devenu une terre sans boussole, où l’on attend d’un Sarkozy-Bonaparte qu’il guérisse les écrouelles et nous défende contre une Europe ennemie. Tant que la Gauche n’aura pas reconstruit un projet porteur d’espérance, de solidarité, d’autonomie, qui passera nécessairement par l’Europe et l’écologie, la Droite dispose d’un socle majoritaire inentamable, jusque dans ces terres de révoltes et de résistances.

En Camargue, autre souci : les flamants roses ne se reproduisent plus ou abandonnent leurs œufs. « C’est la faute au changement climatique », m’explique-t-on. Evidemment, direz vous. Mais la chaîne (éco)logique n’est pas si évidente. En fait, avec le réchauffement climatique (d’hiver, parce que cet été…), il y a de moins en moins de verglas sur les routes. Or, le salage des routes est l’un des principaux débouchés des salines. L’activité de celles-ci ralentit donc. La salinité des marais de Camargue augmente, et cela déplaît aux flamants roses. L’écologie politique, c’est vachement compliqué…

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Photo kiknok, sous licence CC



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