Europe et écologie politique
par Alain Lipietz

dimanche 1er juillet 2007

Fin de semaine un peu éclatée : jeudi, réunions andines le matin, constitution européenne le soir, samedi, le point sur l’écologie politique.

CAN

Jeudi matin, deux réunions en même temps à Bruxelles, l’une sur la Bolivie où je dois intervenir, une autre où je suis invité, sur la Colombie.

La réunion sur la Bolivie est une présentation, au siège du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) à Bruxelles, d’une étude sur la situation politique andine. On y montre, à partir d’enquêtes d’opinion, la conflictualité persistante en Bolivie, mais en même temps l’espérance populaire de parvenir à un accord. Je reçois des Sms de Coralie qui assiste à l’autre réunion, sur la Colombie : on y annonce la mort de 11 députés régionaux de Calli détenus par les FARC depuis aussi longtemps qu’Ingrid Betancourt, lors d’un affrontement entre les Farc et l’armée.

Je prends la parole pour expliquer que certes, il y a une conflictualité permanente en Bolivie (j’ai d’ailleurs intitulé un de mes blogs « Un peuple en grève contre lui-même »), mais finalement, avec l’Équateur, c’est l’un des deux pays de la Communauté andine où il n’y a pas eu de conflit armé, récent ou en cours !

Et je file à la réunion sur la Colombie, organisée par une ONG britannique, Justice for Colombia, à l’invitation de notre collègue socialiste anglais Richard Howitt. Rien que du beau linge : la fine fleur de la gauche colombienne, le président de la conférence épiscopale, et…Yolanda Pulecio, la maman d’Ingrid Betancourt !

Il s’agit essentiellement d’obtenir un soutien européen à la perspective d’échange humanitaire en Colombie, entre les prisonniers des Farcs et ceux de l’État. J’interviens pour rappeler le soutien du Parlement à une solution négociée, tout en soulignant à la fois le caractère extrêmement dangereux des tentatives de libération des otages par la force, et la nature criminelle de la prise d’otages elle-même.

En même temps, je griffonne une lettre au président de la république, Alvaro Uribe. Je la corrige légèrement après avoir eu connaissance de la version officielle : il n’y a pas trace, dans les communiqués militaires, d’un affrontement à la date et à l’endroit que disent les Farc. Peu importe : qu’il s’agisse d’une opération de libération par la force qui aurait échoué, ou que les Farc se soient affolées au passage d’une patrouille de l’armée, à partir du moment où le président Uribe a donné l’ordre de libérer les otages par la force, ce genre d’incident ne peut que se produire et se reproduire.

Je déjeune avec Yolanda, extrêmement préoccupée par ce qui peut arriver d’un jour à l’autre à sa fille, et avec Carlos Lozano, un des dirigeants du Parti communiste colombien, qui dispose encore d’un canal de correspondance avec les Farc et approuve tout à fait ma position.

MiniTraité

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Le soir, à Paris, réunion avec l’Association Française des Juristes Démocrates, sur l’invitation de ma vieille amie Monique Chemiller-Gendreau. Comme ce sont des juristes, je suis venu avec tout mon matériel : les traités actuels (traités « consolidés » à l’issue de Maastricht, Amsterdam et Nice), le projet de TCE, la proposition Merkel, le mandat à la CIG du Conseil européen de vendredi dernier. L’autre intervenant est Anicet Le Pors, qui fut noniste.

Je fais un exposé assez technique pour expliquer à la fois l’intérêt que présentait le TCE, ce qu’on peut encore en sauver, et ce qu’on risque de perdre à la faveur de la conférence intergouvernementale au Portugal. Pour moi, il s’agit d’appeler du pied l’AFJD à suivre de très près ce qui va se passer.

Hélas, je me rends bien compte que, comme la plupart des intellectuels français, les juristes de l’AFJD, tout en se montrant relativement soulagés par le plan Merkel (qu’ils aient voté Oui ou Non !), ne semblent pas avoir l’intention de s’impliquer beaucoup dans cette bataille qui ne va durer que quelques semaines, et encore, pendant les vacances… D’ex-nonistes confient même qu’ils considèrent comme une victoire d’avoir fait tomber le mot « Constitution » (alors que la chose demeure une constitution, un ensemble de règles pour voter des lois). Ils sont peu soucieux de lancer des opérations de sauvetage pour des articles dont ils avaient feint, il y a deux ans, de ne pas voir l’intérêt, comme l’article III-122 sur les services publics. Il leur faudrait pour cela dire du bien de ce qu’ils avaient abhorré, et reconnaître par exemple que la Charte des droits fondamentaux représentait une considérable (mais encore insuffisante) avancée pour la solidarité et pour l’écologie. Une avancée qui mérite qu’on se batte, dans les mois qui viennent, pour la constitutionnaliser le plus fermement possible.

C’est peut-être le bilan le plus triste de toute cette histoire. Après s’être engueulés pendant tout le premier semestre 2005 sur une question que peu avaient comprise, faute d’avoir comparé systématiquement le traité actuel avec celui qu’on nous proposait d’adopter, tout le monde semble se rallier en détournant les yeux à une solution qui nous restituera sans doute 70% de ce que nous promettait le TCE, mais en déléguant la décision à de « plus sages que nous », les gouvernements.

Cette démobilisation des intellectuels, et en particulier des juristes, est très embêtante. Car le projet de « traité de réforme » qui sera discuté au Portugal sera beaucoup plus compliqué à analyser que le TCE. Le TCE (dans sa forme rédigée soumise au referendum) représentait en quelque sorte une version « consolidée » noir sur blanc. Qu’il y ait eu des intellectuels pour s’obstiner à faire peser la totalité de leur critique sur les articles de ce traité (essentiellement la troisième partie) qui ne bougeaient pas d’un mot entre le traité de Maastricht-Nice et le TCE relevait de la bévue pure et simple. Qu’on vote Oui ou Non, ces articles restaient strictement inchangés, et même doublement « sacralisés » (selon le terme devenu cher aux nonistes laïcs) puisqu’on les avait une première fois votés lors du referendum sur Maastricht, et qu’on les renforçait en refusant (par le Non au TCE) de leur adjoindre les articles du TCE qui pouvaient en limiter la portée…

Pourtant, c’est dans cette fameuse 3e partie qu’un grand nombre d’articles étaient modifiés, imperceptiblement pour un « primo lecteur », mais de façon décisive. Là où Maastricht-Nice disait « le Conseil adopte à l’unanimité les directives correspondantes », le TCE disait « la loi européenne déterminera, etc ». Ainsi, ces articles passaient du domaine de l’unanimité en Conseil (donc avec droit de veto de 27 gouvernements !) à celui de la majorité en co-décision avec le Parlement. Énorme avancée démocratique, qui n’était inscrite nulle part ailleurs que dans ces minuscules amendements de la troisième partie. C’est la raison pour laquelle les Verts n’avaient pas demandé, pendant la campagne des élections européennes de 2004, que la 3e partie soit supprimée ! Ils avaient demandé qu’elle soit mise dans une annexe, amendable à une majorité « surqualifiée », c’est-à-dire plus forte que pour une directive, mais moins forte que celle nécessaire pour modifier les parties constitutionnelles (parties 1, 2 et 4).

Ces avancées démocratiques n’étaient certes pas décelables à l’œil nu : il fallait avoir l’œil sur la version actuelle des traités issus de Maastricht-Nice. C’était assez facile si on lisait le TCE dans l’édition du Sénat, car celle-ci commentait, article par article, ce qui changeait par rapport à l’existant.

Le futur traité indiquera uniquement les modifications. Donc, quand un article de l’actuel traité (Maastricht-Nice) passera de l’unanimité en Conseil à la majorité et à la codécision, ce sera écrit. Quand un article gardera le même statut, on n’en parlera même pas, et personne ne s’en apercevra..

Donc, cet été, il va falloir re-vérifier, un par un, que les articles qui avaient été modifiés entre Maastricht-Nice et le TCE, seront bien re-modifiés, et dans le bon sens, par le futur Traité de Porto. Et pour cela, nous n’aurons que quelques mois… On aurait bien besoin que beaucoup d’intellectuels, juristes en particuliers, se joignent au travail !

EcologiePolitique

Le samedi matin, je ne me joins pas finalement aux deux centaines de Verts qui se rendent à Tours pour y discuter d’une rénovation dont j’avais cru comprendre qu’elle ne serait intéressante que si elle impliquait tout le mouvement. Car ce que nos sympathisants reprochent aux Verts, c’est d’abord de donner éternellement le spectacle de leurs divisions : « La Planète brûle et les Verts s’engueulent sur la réforme annuelle de leurs statuts ». Les Verts ont avant tout besoin de réformer leurs pratiques.

Je suis donc disponible pour répondre à des jeunes Verts, membres de Chiche, ou anciens jeunes Verts, qui m’ont invité, en compagnie d’Erwan Lecoeur, pour discuter de l’avenir de l’écologie politique. Je me retrouve tout à fait d’accord avec Erwan sur le risque important de « re-ONG-isation » de l’écologie politique, mais pas tout à fait d’accord avec les conclusions qu’il en tire.

J’explique que dans les années 70, quand l’écologie politique est devenue un thème « prophétique », il était normal qu’on ne distingue pas trop entre les cercles intellectuels, les associations, les micro-partis en formation. Puis, dans les années 80, s’est stabilisée une différence entre partis et associations. Il en fut de même pour le mouvement démocratique autour de 1789, et pour le mouvement socialiste au 19e siècle. La différence, c’est que l’écologie ne peut pas attendre : la crise écologique progresse de façon irréversible, parce qu’elle touche à la matière, à l’écosystème tel qu’il est remodelé, transformé par les rapports sociaux. Les écologistes n’ont pas le droit d’attendre, il leur faut agir et être « récupérés » par une majorité se joignant à l’action, le plus vite possible.

Or l’État a un rapport particulier à l’organisation de la matière (urbanisme, transports, modèles d’industrialisation et de consommation etc). L’écologie a donc particulièrement besoin de participer aux politiques publiques (locales, nationales, européennes, mondiales). D’où la nécessaire existence autonome d’un parti de l’écologie politique, distinct des associations qui, elles, doivent faire pression et négocier avec quelque gouvernement que ce soit. Ce parti de l’écologie politique doit essayer à tout prix d’arriver à mener des politiques publiques, le « à tout prix » (y compris avec les voix du Modem !) étant strictement conditionné aux politiques que ce parti arrive effectivement à mener, une fois parvenu aux affaires.

L’évolution, ces deux dernières années, en France, de la perception des risques écologiques (OGM, changement climatique) a fait sortir l’écologie de sa phase apocalyptique (« Dong ! dong ! c’est la fin du Monde ! Repentez –vous ! ») pour la faire entrer dans sa phase réformatrice radicale. Il faut FAIRE quelque chose, et ce « faire » est un impératif catégorique qui s’applique à l’État, fût-il aux mains de la droite, comme à chacun de nous.

Ce devoir d’écologie ne profite pas forcément au parti écologiste. Au contraire, il repose, sur une nouvelle base, la tentation d’un rapport « ONG exigeantes- État agissant ». D’où le phénomène Hulot et le choix de Juppé (« le meilleur d’entre eux ») comme premier « vice-premier ministre » de l’écologie.

Je ne crois pas que ce couple, laissé à lui–même (avec une écologie « politique non-politique »), ait plus de succès que l’anti-politique à la Vaclav Havel – György Konrad qui a échoué dans les années 80. L’écologie exige de telles transformations des politiques publiques qu’elle ne peut se contenter d’orienter « de l’extérieur » un pouvoir libéral-productiviste. Il lui faut aussi un parti candidat au pouvoir. Un parti qui n’ait pas d’intérêt distinct des autres écologistes, mais qui se montre le plus résolu et le plus conscient des intérêts d’ensemble du mouvement.

Cela implique que ce parti sache identifier les points de pression où une politique peut être efficace : local, national, européen, et donc sache être capable de se battre pour des pouvoirs locaux et transnationaux plus efficaces, sans attendre qu’ils soient parfaits.

Mais cela implique également que ce parti garde un rapport de quasi-consubstantialité avec les intellectuels et les associations de l’écologie politique : c’est ce que les Verts appellent la co-élaboration.

La re-ONG-isation de l’écologie à laquelle nous assistons aujourd’hui (avec le succès illusoire de l’appel Hulot) correspond à un changement de période : la fin de la période « apocalyptique » de l’écologie politique. Il ne s’agit plus de sonner le tocsin : l’opinion publique et même les médias français ont compris. Il s’agit donc d’être propositionnels, d’être les annonciateurs et les ingénieurs du monde à venir : démontrer que l’on peut s’en sortir. Et c’est là que les Verts ont failli.

Ce que je reproche aux Verts français, et en particulier à ce qui fut pendant 4 ans leur courant « de gauche » ? Pas seulement leurs scandaleuses querelles internes, étalées en permanence sur la place publique au détriment de la lutte commune pour « sauver la planète ». Mais je leur reproche aussi, dans la période récente, leur incapacité à stabiliser des relations avec les associations, l’abandon de la ligne de co-élaboration, et l’abandon, le 13 mai 2007, de la recherche d’une participation aux politiques publiques par des alliances de « gauche plurielle », et le ralliement d’une partie d’entre eux au Non (parmi lesquels des porte-paroles et secrétaires nationaux !!), c’est-à-dire le refus de faire de la politique publique à l’échelle européenne, qui est pourtant l’échelle la plus intéressante pour l’écologie politique.

Salope

En revenant en France, je découvre l’affaire d’État qu’est devenu le fameux « Salope » de Patrick Devedjian (fidèle de Sarkozy) à l’égard d’Anne-Marie Comparini (candidate du Modem en Rhône-Alpes). La presse et la télé s’étendent sur le terme. À mon avis, ce mot prononcé dans une conversation privée avec un tiers ne devient insultant que par ceux qui ont eu l’indélicatesse de le rendre public. Le vrai problème politique est de comprendre ce degré de haine envers une adversaire politique. Mais à ma grande surprise, personne n’explique cette haine de Devedjian pour Anne-Marie Comparini. Pour les jeunes, j’en rappellerai donc l’origine.

Patrick Devedjian, comme Madelin et quelques autres, vient de l’extrême-droite. Il incarne ce ralliement à la droite parlementaire de l’électorat du Front national à laquelle est parvenu Nicolas Sarkozy. Anne-Marie Comparini était une élue de droite au Conseil régional Rhône-Alpes en 1998. C’est de ce Conseil que Charles Millon s’était fait élire président, par une négociation post-électorale avec le Front national. Anne-Marie Comparini fut des quelques un-e-s qui, à droite, refusèrent cette honteuse alliance. Ayant repéré qu’il existait une majorité alternative entre ces quelques élu-e-s de centre-droit, la gauche et les Verts, un conseiller régional vert, Étienne Tête, trouva un vice de forme pour faire annuler l’élection de Charles Million, puis il proposa de confier la présidence de région à Anne-Marie Comparini avec le soutien de la gauche. Ce qui fut fait.

D’une certaine manière, Anne Marie Comparini anticipait de plusieurs années l’alliance à la Prodi entre le centre, la gauche et les écologistes contre Berlusconi… menace politique la plus sérieuse pour Devedjian et ses amis.

Photo TV Boy, sous licence CC



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