Hulot. Bayrou. Airbus
par Alain Lipietz

mardi 6 mars 2007

Finalement, avant la chimiothérapie de Francine, nous prenons deux semaines de vacances. Et la fée Perline a profité du dernier week-end, où toutes les zones étaient en vacances, pour changer le site en profondeur. De la montagne, je suis l’actualité présidentielle, et bien sûr le drame d’Airbus.

Site

A Serre-Chevalier, nous skions doucement et travaillons pas mal. Articles pour la campagne présidentielle-législatives à mettre sur le site (sur la Réduction du temps de travail et sur l’Europe), nouveaux articles à écrire, amendements sur des rapports pour le Parlement européen, conférence-débat demain mercredi avec les Verts briançonnais… même pas le temps de retravailler sur Mallarmé.

Mon site est devenu énorme : 40 ans de recherches et de militantisme s’y trouvent progressivement archivés. Par exemple (réaction au ralliement de Glucksmann à Sarkozy ?), j’ai commencé à y inscrire mes premiers vrais articles militants, ceux de L’Outil des travailleurs, depuis 1971… Certes, je ne suis plus forcément d’accord avec tout ce que j’écrivais à l’époque, mais au moins, on avait de la suite dans les idées… La notion de bilan et de rectification continuelle, sur des objectifs politiques dont on peut contester le réalisme, ne nous était pas étrangère. Cela, nous l’avons un petit peu perdu avec la politique d’aujourd’hui.

Bref, un de ces nouveaux articles archivés est le… 2000e de ce site ! Par ailleurs, le débit des connexions, portant non seulement sur le blog mais sur tous les articles y compris les plus anciens et les plus universitaires, dépassait les mille consultations par jours. Dans ces conditions, notre hébergeur Ouvaton ne pouvait plus suivre et nous faire une proposition adaptée. Nous nous sommes donc tournés vers un autre hébergeur alternatif : Koumbit. C’est un hébergeur québécois qui met en œuvre le fameux logiciel libre AlternC de Valentin Lacambre. Par la même occasion, Perline est passée au SPIP 1.9.2 qui, de votre côté du miroir, présentera quelques améliorations et nouvelles fonctionnalités. Elle a installé Snap : en promenant votre souris sur les passages avec liens hypertextes (en couleur différente du reste du texte), vous trouvez non seulement des infos bulles, mais également parfois une image miniature de ce que vous pourrez voir en cliquant.

Hulot

Nicolas Hulot m’appelle. Il n’est pas content de l’allusion à son 4x4 dans mon article de Libé. Je lui réponds que justement c’est un article contre les bourdes qui ne sont pas des bourdes, et qu’il est bien évident que, dans son métier on peut avoir besoin de se déplacer en 4x4 ! Je lui signale que j’en ai moi-même reconnu l’utilité dans mon blog sur le Kenya… Nous poursuivons la conversation sur l’état de la campagne. Il s’inquiète des faibles sondages de Dominique Voynet, je lui fais remarquer qu’il faudrait d’abord qu’elle soit sûre de se présenter, et qu’on n’a pas encore le compte de signatures. Là, il s’étonne des blocages…

Je crois que Nicolas Hulot est un écologiste sincère. Mais je commence à me demander s’il est politiquement bien réaliste, et s’il n’y a pas dans son entourage des gens qui poursuivent d’autres buts que les siens. J’ai justement lu dans la presse qu’un membre de cet entourage expliquait sardoniquement que les 200 promesses de signatures de maires obtenues par Nicolas sont « gelées » : pas question d’inviter les maires à les reporter sur une autre candidate écologiste !

Bilan des courses , au jour d’aujourd’hui et avant tout nouveau geste de Nicolas, l’épisode Hulot aura servi :

1) à faire croire aux gens que tous les autres candidats, puisqu’ils signent son pacte, sont écologistes,

2) qu’il n’était donc pas besoin d’une candidate de l’écologie politique,

3) à geler le maximum de signatures de maires qui permettraient à cette candidature autonome de se manifester !

À part ça, il faudra un jour comprendre les motifs de l’acharnement de la presse contre une candidate qui, paraît-il, ne ferait que 1 % . Ainsi cet article du Monde titré "M. Mamère prédit une "gifle monumentale" pour Mme Voynet". Il s’agirait d’une remarque de Noël Mamère à une journaliste, en coulisses après le meeting de Montpellier, à propos du seul style oratoire de Dominique. Pourtant, d’après d’autres témoignages, ce meeting fut un succès tonitruant, plus important encore que celui de Noël dans le même lieu, 5 ans auparavant. Et Noël y fit un vibrant discours qui enthousiasma l’auditoire au profit de la candidature de Dominique.

Mais quand, dans Politis n° 939, le délégué à l’Europe du Parti socialiste tape, sur une page et demie, contre la campagne de sa candidate, personne dans la grande presse ne « reprend » l’info ! Est-ce que Politis est devenu tellement négligeable ? ou le « délégué à l’Europe du PS » ? Ou bien est-ce que l’indiscipline des « ego » ne compte que contre l’écologie ? Si la deuxième hypothèse était la bonne, elle serait philosophiquement très juste…

Bayrou

Dans les sondages, Bayrou poursuit son ascension. Les causes que j’avais analysées dans mon billet précédent n’ayant pas varié, il ne faut pas s’étonner de les voir produire les mêmes effets : en refusant de construire une alliance au delà du très sexy PS-MRG-MRC-PCF, le PS condamne sa propre candidate à ne pas représenter d’alternative politique à l’UMP de Sarkozy. Et dans ce cas, Bayrou apparaît comme le moindre mal face à Sarkozy.

Mais d’autres éléments commencent à être relevés par ci par là. Ainsi, une étude d’opinion a montré que Bayrou mord chez les profs, de façon étonnante pour un démocrate-chrétien. Bien sûr, il est lui-même agrégé. Mais il y a là un signe : le traditionnel lien « laïc » qui unissait les profs au PS est en voie de dissolution. Même Olivier Besancenot, dans une émission où il polémiquait avec Bayrou, a évoqué 10 fois l’AGCS qui menacerait l’enseignement public, et oublié de rappeler à Bayrou la manifestation d’un million de profs et de parents d’élèves contre son projet (lorsqu’il était ministre de l’Éducation nationale de Juppé) d’étendre le financement de l’enseignement public à l’école privée, bien au-delà de la Loi Falloux.

C’est qu’aujourd’hui, au fond, la laïcité ne signifie plus vraiment « financer une école publique accueillant tous les enfants quelle que soit leur confession », mais : « combattre l’Islam ». Significatif de ce changement d’état d’esprit : les mails des listes « ResPublica », « UFAL » et autres « Gauches républicaines » dont je suis inondé, et qui notent avec délectation la liste des « personnalités » qui quittent la Ligue des Droits de l’Homme à cause de sa lutte contre l’islamophobie. Voir aussi les réactions à mon billet sur le « FCM de Nairobi » : personne ne s’indigne de l’hégémonie catholique prônant l’abstinence sexuelle comme vaccin anti-Sida, en revanche, feu sur les malheureuses musulmanes locales venues au Forum Social en foulard !

Si la laïcité veut dire ça, alors Bayrou qui, plus papiste que le Pape, s’oppose à l’entrée de la Turquie dans l’Europe, est sans doute le candidat des laïcs ! Mais si les profs ont perdu la foi dans leur mission d’intégrer à la République tous les petits résidents de France, dans le respect de leurs croyances ou incroyances religieuses (mais il y en a qui se battent au sein du RESF), le PS et le souvenir d’Allègre y sont aussi pour quelque chose.

Airbus

Mais le grand événement de la semaine, c’est évidemment le plan Gallois pour Airbus. Encore une fois, on va faire payer aux travailleurs les fautes faramineuses de leurs dirigeants. C’est, dira-t-on, le principe même du capitalisme, mais il est ici particulièrement scandaleux, tant ces fautes des dirigeants ont été étalées dans la presse. Airbus est malade de trois chocs :

1) Les rivalités au sommet entre les Camus, Forgeard, Gergorin etc, arbitrées par Chirac sous les yeux stupéfaits des Allemands. Tous les travers de la technocratie d’État française et de son contrôle des grandes entreprises à capital semi-public nous ont été sordidement rappelés en cette occasion.

2) Les choix faits à l’époque du lancement de l’A380. Et là, il faut quand même rappeler que, point par point, les Verts de Toulouse avaient raison. Ils expliquaient :

* qu’il valait mieux garder à Toulouse l’A320 qui représente beaucoup d’emplois et laisser à Hambourg l’assemblage de l’A380 ;

* que si vraiment la France tenait à construire l’A380 en partenariat avec l’Allemagne, il fallait l’assembler dans un endroit accessible par mer, comme St-Nazaire, au lieu de construire une absurde autoroute à convois vers Toulouse.

Mais qui va écouter les Verts ? Airbus Hambourg commet une faute terrible dans l’organisation du câblage et fait prendre à l’A380 des semestres et des semestres de retard. L’usine allemande veut donc accroître son plan de charge en A320 et pour cela, on déshabille encore ce qui restait en France. Et on ferme l’usine Airbus de Loire-Atlantique… berceau des luttes ouvrières de Mai 68 (grève de Sud Aviation Bouguenais).

J’ai autrefois dirigé la thèse remarquable de Lydie Laigle à propos de la conception partagée, c’est-à-dire le problème de la conception d’un ensemble-marchandise par plusieurs partenaires. Étudiant le problème de la Mégane de Renault, elle montrait que le problème du câblage est une des interfaces les plus difficiles. Ce n’est pas un hasard si les étranges compromis entre la France et l’Allemagne se sont révélés désastreux à propos du problème du câblage.

3) Mais ce qui surtout aura fait chuter Airbus, c’est l’échec de l’A350, dont la première version proposée aux compagnies était beaucoup trop gourmande en carburant. Refaisant point par point l’erreur de Sud Aviation au moment de la conception du Concorde, Airbus a voulu ignorer que le problème essentiel d’aujourd’hui est celui des économies d’énergie…

Alors, que faire pour sauver l’emploi, que faire pour sauver la qualification des salariés ? Les présidents de région socialistes proposent, pour faire pièce aux Länders allemands qui sont copropriétaires d’Airbus, d’entrer eux aussi dans le capital. S’il s’agit seulement de « miser pour savoir », cela peut être intéressant, et cela rejoint toute un courant de révision des préjugés français contre l’utilisation de la propriété du capital (publique, salariale, coopérative) comme moyen… de contrôler le Capital ! Un ami vient de m’écrire : « Ne faudrait-il pas que les usagers se portent candidats à la propriété de la SNCF ? ». Ce regain d’intérêt de la gauche pour la propriété du capital, après deux décennies de privatisations, est tout à fait intéressant.

Mais je ne suis pas sûr qu’il soit ici particulièrement opportun. Les Régions, qui n’ont pas beaucoup d’argent, ont autre chose à faire si elles veulent promouvoir l’emploi : aider les PME et le développement endogène, et surtout financer l’économie sociale et solidaire ou le Tiers secteur. S’il y a besoin d’une recapitalisation de EADS, c’est plutôt l’affaire des États, voire même de l’Union européenne.

De toute façon, une recapitalisation ne réparera pas du jour au lendemain les problèmes de l’A380 et de l’A350. Il faut donc d’abord et avant tout penser le problème sous l’angle : « Comment conserver l’emploi, même dans les entreprises auxquelles on demandera moins d’avions ? » Cela peut passer par « faire de meilleurs avions » : le problème industriel que doit résoudre Airbus. Cela passe surtout par une diversification (plutôt qu’une « reconversion », car Airbus continuera à faire surtout des avions) utilisant à fond le savoir faire des travailleurs de l’aéronautique. Par exemple, la construction des éoliennes, de turbines hydrauliques, etc.

***

Je profite de ce billet pour remercier les très nombreux amis et amies qui, suite au billet précédent, nous ont exprimé leurs encouragements dans cette nouvelle épreuve.



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