L’AG des Verts
par Alain Lipietz

dimanche 3 décembre 2006

L’Assemblée Générale Fédérale est un rite auquel les Verts se plient avec une régularité de métronome, tous les deux ans, au début du mois de décembre. Comme d’habitude, plusieurs motions d’orientation (représentées par des délégués élus à la proportionnelle du vote des militants en régions) doivent essayer d’opérer une synthèse politique. La particularité de cette année, c’est que, la désignation de notre candidate à l’élection présidentielle étant déjà acquise, il n’y a plus véritablement d’enjeu de pouvoir, ni de ligne. Donc chacun tient à faire "entendre sa différence", d’où le nombre de motions initiales. Mais en même temps il faut arriver à une synthèse en soutien à notre candidate.

Cette situation un peu particulière rend les négociations particulièrement pénibles : il faut absolument aboutir, et chacune des factions dispose donc d’un moyen important de chantage sur toutes les autres. Les années précédentes, ce chantage était souvent le fait du courant se baptisant lui-même « résolument ou véritablement écologiste ». Bien évidemment, il n’est ni plus ni moins écologiste que les autres Verts, mais se caractérise tout de même, au niveau du discours, par une insistance sur les aspects environnementaux, et dans la pratique, par l’usage sans scrupule de cette occasion de chantage nocturne. Cette fois-ci, ce courant a vu le ralliement d’un leader prestigieux, Yves Cochet lui-même, dont nul ne peut contester la sincérité du militantisme écologiste.

Comme les deux motions nonistes, dont on ne voyait pas bien les différences, fusionnent dès la journée du samedi, que les deux plus petites motions "crispent" tout le monde, le choix est relativement simple : ou bien une coalition à 4 incluant le courant des plus proches de Dominique Voynet, les deux nouveaux courants (Audaces, dans lequel je m’inscris avec Noël Mamère, et Espoir en actes), et le courant d’Yves Cochet, ou bien une synthèse des trois premiers seulement. Je suis plutôt partisan d’une fusion à quatre garantissant une plus large majorité autour de notre candidate. Mais le courant Espoir en actes, pour des raisons qui lui sont propres, refuse cette synthèse à 4 et impose (toujours à cause de l’obligation d’accord) une synthèse à 3, ce qui sur le papier donne une majorité de 56% permettant de faire adopter une motion d’orientation politique, mais pas une majorité à 60% permettant de donner une direction exécutive au parti.

La nuit du dimanche donne donc lieu à des scènes assez pénibles. Yves Cochet et ses plus sincères partisans ne comprenant pas pourquoi ils sont ainsi ostracisés. Je leur explique individuellement qu’ils paient ainsi, malheureusement, l’attitude de chantage qu’avaient depuis des années exercé les leaders du courant « résolument écologiste », leaders qui se voient par ailleurs reprocher une trop longue alliance en Languedoc-Roussillon avec Georges Frêche.

Le dimanche matin, le débat s’ouvre autour des différentes synthèses opérées dans la nuit. Comme prévu, la sous-synthèse noniste se pose en "plus social que moi, tu meurs". Une de ses oratrices n’hésite pas à vanter la dynamique des Comités du Non, malgré le scandale de la fraude électorale dans ATTAC, malgré la défection de Besancenot, malgré l’écœurement de José Bové. Elle nous lit l’insipide passage de leur programme sur la question du nucléaire ("débat démocratique etc."), en retrait sur ce qu’est déjà prête à admettre une bonne partie du PS, alors que les Verts savent très bien que le PCF, resté la principale composante de ces comités, fait campagne pour le lancement de l’EPR...

De son côté, le courant "résolument écologiste" cherche à soulever l’indignation des délégués hésitants en clamant « Imaginez l’effet dans la presse ! Nous, le courant véritablement écologiste et celui d’Yves Cochet, pourrions être mis dans l’opposition ! Vous faites le jeu de ceux qui voudraient présenter un autre candidat écologiste, comme Nicolas Hulot. »

Ce discours, comme à chaque fois, a le don d’agacer les autres Verts. Un des derniers à intervenir, je tente de mettre les choses au point.

« Depuis ce matin, je réponds à la presse qui se gausse de nos divisions : n’avez-vous pas salué comme une grande victoire l’élection à 60% de Ségolène Royal, ses deux concurrents Strauss-Kahn et Fabius se partageant le reste ? En avez-vous conclu que le PS est déchiré ? Eh bien nous allons vers une majorité qui fera 55%, autour du centre de gravité de notre parti, et autour de notre candidate, et il y aura également deux minorités se partageant le reste des voix. C’est tout à fait normal. Mais chez nous, l’existence de ces deux ailes autour d’un centre correspond à un vrai débat autour du problème fondamental de l’écologie politique : la question de l’articulation entre le social et l’environnemental.

Aujourd’hui les succès d’Hulot et du film d’Al Gore montrent que nos compatriotes et la presse comprennent enfin l’urgence de la crise écologique que nous dénonçons depuis un quart de siècle. Mais il y a plusieurs réponses possibles à cette crise, et les différences tournent autour de l’analyse des causes et des moyens de s’en défendre. Les plus riches peuvent très bien se protéger du réchauffement climatique en construisant des grosses voitures et des maisons bien climatisées, mais ces choix aggravent l’effet de serre pour les autres. Nous nous battons pour l’égalité sociale dans l’accès à un environnement sain. C’est un équilibre très difficile à maintenir entre l’exigence de justice sociale et l’urgence de sauver la planète. Il y aura toujours chez les Verts des gens pour dire « mais il faut avant tout s’occuper du social » et d’autres pour dire « il faut avant tout sauver l’environnement ». Les uns ne sont pas plus écolos que les autres. C’est tous ensemble que nous gagnerons. Car, comme nous l’enseignait René Dumont, il ne peut y avoir un bon rapport entre l’humanité et la planète que s’il y a un bon rapport entre les humains ! »

Bilan des courses : la synthèse à 3 obtient environ les 55% prévus. Prochaine étape qui semble insoluble sur le papier : arriver à réunir 60% pour élire une direction. Ce sera l’objet d’un prochain Conseil national interrégional à rebondissements dont les Verts ont le secret… En attendant, Dominique prononce un remarquable discours de clôture.

Post Scriptum

Retour à Villejuif : un courrier m’attend. C’est le bureau du Comité local d’ATTAC. Il « nous invite à prendre connaissance du message en pièce jointe. Nous espérons vous retrouver nombreux pour cette initiative. » La pièce jointe nous invite le 6 décembre à la réunion de « lancement du collectif unitaire pour une alternative populaire et anti-libérale, avec des citoyens, des associatifs et syndicaux, des élus locaux, dont Claudine Cordillot, maire, Gilles Delbos et Laurent Garnier, conseillers généraux, le Parti Communiste, la LCR, ATTAC et l’APEIS ». La ville est tenue par le PCF depuis des lustres, son maire fut suppléant de Marchais, sa successeure et les deux conseillers généraux sont communistes, etc.

Il était temps. La désignation de la candidate des collectifs du Non n’est jamais que le 10 décembre.



Reproduction autorisée avec la mention © lipietz.net http://lipietz.net/?page=blog&id_breve=194 (Retour au format normal)