Pat chez les Verts. Toulouse et Arno Klarsfeld.
par Alain Lipietz

jeudi 1er juin 2006

Bien sûr, le couloir des eurodéputés Verts de Bruxelles est secoué par les nouvelles qui nous arrivent de Paris : le dépouillement du vote sur le choix de notre candidat à la présidentielle donne l’égalité entre Dominique Voynet et Yves Cochet ! Un mauvais gag, auquel nous sommes assez habitués au parlement européen : il n’est pas si rare que, sur quelque 700 voix, nous tombions sur la stricte égalité. Mais contrairement au PE, et à ce qui s’est passé en Floride dans le duel Bush-Kerry, où il s’agit d’une égalité accidentelle dans des affrontements politiquement significatifs, cette égalité chez les Verts représente une pure application de la loi des grands nombres. Les deux candidats de second tour avaient en effet exactement le même profil (membres fondateurs, anciens ministres, actuellement député et sénatrice) et appartenaient au même courant des Verts, disons au centre-droit du parti, pas très autonomes par rapport au parti socialiste. Les petites différences de second ordre entre eux, qui faisaient pencher la balance dans l’un ou l’autre sens chez les électeurs (« c’est une femme », « il a une belle voix »), ne pouvaient que s’annuler en moyenne. Il y avait autant de raisons de voter pour l’un que pour l’autre, et, sur 6000 voix, la loi des grands nombres l’emporte, cela donne l’égalité. La curiosité c’est que ce ne soit pas seulement en pourcentage, mais en chiffres absolus (à 2 voix près).

Mais le fond du problème, c’est qu’il n’y avait au deuxième tour que deux candidats jumeaux. Cette donnée était elle-même le résultat de la catastrophe du premier tour : la gauche des Verts, celle qui s’affirme la plus exigeante dans les relations avec le parti socialiste et la plus proche des luttes sociales, s’était choisie pour candidate une partisane du Non, qui en outre affirmait avoir très bien su que ce Non ne déboucherait sur aucune dynamique (donc implicitement préférait en rester à Maastricht-Nice) et qui, d’autre part, proposait de rectifier le traité de Maastricht-Nice par… « une conférence intergouvernementale adoptant uniquement ce qui fait consensus », c’est-à-dire court-circuitant le débat populaire et laissant intacts tous les points contestés de Maastricht conservés dans la troisième partie.

Une telle position ne pouvait que provoquer un rejet chez les Verts. Les deux candidats du Non (Cécile et Jean) ont totalisé juste 30%, alors que le Non avait obtenu beaucoup plus lorsque, en janvier 2005, les Verts avaient arrêté leur position. Il s’agit d’une évolution très générale : que ce soit dans la société française ou dans le parti Vert, et sans doute dans le parti socialiste, très peu d’électeurs du Non avoueront, avant des années, qu’ils ont fait une grosse erreur. Mais, massivement, ils se détournent des leaders politiques qui leur ont donné ce mauvais conseil en leur mentant sur les conséquences du Non, et se reportent vers celles et ceux qui avaient eu la sagesse de leur conseiller le Oui pour s’éloigner de l’Europe actuelle, celle de Maastricht-Nice. On le voit dans les sondages où Ségolène Royal écrase Laurent Fabius.

Pour en revenir au deuxième tour des Verts, quelle était « ma » petite différence, entre Dominique et Yves que je connais très bien depuis près de vingt ans ? Dominique me semble plus « sociale » et « sociétale » qu’Yves, elle a moins activement recherché les postes institutionnels, elle est moins dépendante du parti socialiste. Par ailleurs, elle s’est, comme moi, battue avec acharnement pour le Non à Maastricht, et donc pour le Oui au TCE. Alors qu’Yves a voté Oui sans problème à Maastricht, et ne s’est guère bougé pour le TCE rectifiant Maastricht. En outre, son apocalyptisme pétrolier me semble, écologiquement parlant, contre-productif. Mais bon, ce sont des nuances, d’ailleurs ignorées par la plupart des votants Verts, et cela ne m’empêchera pas de soutenir résolument l’un ou l’autre… une fois que les Verts seront sortis de cette tragi-comédie.

Et, si je peux me permettre d’exprimer le point de vue d’un ancien « vainqueur du second tour » avec une avance de près de 100 voix (sans compter la Guadeloupe…) : l’expérience montre que même une victoire aussi écrasante ;-) que la mienne ne permet pas de démarrer la campagne avec un parti pacifié . Je suggère donc fortement au parti et aux deux concurrents de recommencer le vote après une nouvelle période de débats pour approfondir la réflexion sur les « petites différences ». Et je leur conseille vivement de ne pas s’imaginer que le score calamiteux de Cécile mesure en quoi que ce soit l’exigence d’autonomie des écologistes.

Mais je n’ose guère la ramener car je me sens un peu responsable. Je pense en effet que j’aurais logiquement dû me présenter, que j’aurais eu nettement moins de difficultés à l’emporter qu’en 2001 contre Noël Mamère (cette fois, Noël lui-même m’avait demandé de me présenter), parce que j’aurais pu réaliser une synthèse entre le réalisme réformateur des partisans du Oui, qui voulaient sortir vraiment de Maastricht-Nice (et pas seulement dans le discours rrrrrradical), et l’exigence d’autonomie par rapport au PS qui se cachait souvent derrière le vote Non. Mais je n’en ai pas eu le courage. D’abord pour des raisons familiales (mes proches ont trop cher payé les souffrances de 2001) et surtout pour des raisons politiques. En décembre, je n’avais pas trouvé les réponses à plusieurs problèmes essentiels de la société française et européenne. Je ne les ai toujours pas trouvées, ni chez les Verts ni ailleurs. Et quand je ne sais pas, je ne peux pas me promener sur les tréteaux en prétendant, avec un enthousiasme communicatif, avoir la solution. Je me tais et j’écoute. Sans doute une mauvaise habitude de chercheur.

Dans les autres couloirs du Parlement, à Bruxelles, on m’aborde plutot sur le procès de mon père à Toulouse. Félicitations de Patrick Gaubert, président de le Licra… et eurodéputé UMP. Je croise le représentant du Congrès Juif Mondial. Lui aussi me félicite pour le procès de mon père.

Il ne comprend pas la réaction d’Arno Klarsfeld qui, avocat de la S NCF contre d’anciens deportés juifs aux procès de New-York, se répand dans la presse en affirmant que celle-ci ne faisait qu’obéir aux ordres très stricts des Allemands, était réquistionnée et n’a jamais été payée pour sa participation à la Shoah. Contre-vérité flagrante, qui prend le contrepied des conclusions de son père Serge, lors du Colloque de 2000 sur la SNCF sous l’occupation : « Certes, la SNCF n’a pas démarché les Allemands pour qu’ils déportent les Juifs et pour qu’elle en tire un profit, mais elle aurait dû et pu manifester son opposition au rôle qu’on lui faisait jouer, en refusant au minimum d’être payée pour des transports par lesquels elle apportait un réel soutien matériel au crime nazi. Pas seulement en ce qui concerne la population juive, mais également à l’encontre de milliers de déportés résistants partis de Compiègne. Or nous constatons l’absolue indifférence d’une administration, d’une gestion qui ne tolère pas le manque à gagner et qui ne se rend pas compte qu’en réclamant le paiement de ses factures elle se rend moralement encore davantage complice des crimes qui viennent d’être commis…. La SNCF a été régulièrement payée pour avoir mal agi. »

Je lui dis : « Qu’est-ce que je reçois comme lettres antisémites ! --- Et ça vous étonne ? — Non, mais ce qui est curieux, c’est que tous me demandent « Mais pourquoi la SNCF ? » alors que personne ne me demande : « Mais pourquoi l’Etat français ? » — Ah ça ! En France, tout le monde peut attaquer l’Etat, mais la SNCF, c’est Maman ! »

Jugement attendu pour la journée du 6. Nous organisons une conférence de presse le mercredi 7, 11 heures 30, au siège de la délégation du PE à Paris, 288 Bd Saint-Germain.



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